Augury - Fragmentary Evidence
Chronique CD album (55:02)

- Style
Brutal techno-death - Label(s)
Nuclear Blast - Sortie
2009 - Lieu d'enregistrement Surgeon's Lab Studio
écouter "Simian Cattle"
Il fut un temps – immémorial, que même que jadis et naguère, à côté, c’est avant-hier – où le chroniqueur qui vous cause connaissait Mr Bungle à peu près aussi bien que les leaders de la Manif Pour Tous maîtrisent les théories darwiniennes. En ces temps reculés où le top du sexe en ligne se consommait sur 3615 ULLA, les groupes qui injectaient des étincelles malicieuses dans mes prunelles tout juste post-ados s’appelaient Atheist, Cynic, Nocturnus, Sadist, Disharmonic Orchestra, Theory in Practice, Death, Pestilence, Carcariass & tutti la techni family (amis de l’englitalien, bonsoir).
… Mais ça bien sûr, c’était avant le drame…
Parce que figurez-vous que, ne trouvant plus sa ration de frissons fripons dans une scène techno-death s’asséchant du fait d’un manque manifeste de groupes motivés / compétents susceptibles de la maintenir en vie, votre serviteur dut opérer une reprogrammation de son GPS métallique afin de suivre désormais le chemin menant aux tréfonds du brutal death, puis (sans transition) celui du grand chapiteau du nawak metal. Et quand le chroniqueur en question voulut s’en revenir à ses amours premiers, après quelques gros kiffs encourageants (Necrophagist, Gorod…), quel ne fut pas son dépit quand il se cassa le nez sur une surenchère de violence technique à laquelle s’adonnaient alors de grosses brutasses métronomiques répondant aux doux noms d’Origin, Odious Mortem, Spawn of Possession ou encore Decrepit Birth.
« Eh les gars: on n’avait pas dit qu’on mettait la technique au service de la composition pour pondre des putain de morceaux qui non seulement font écarquiller les yeux mais donnent en plus envie de décapiter du troll à dos de Mirage 2000? Non parce qu’à se branler ainsi la nouille à 350 km/h sur vos panzers, vous risquez non seulement de vous péter le frein, mais également le sac à noix, le coccyx et toutes ces choses dont on ne se soucie que quand ça commence à brûler! »
Il se trouva alors que des petits malins issus de terres cousines des nôtres – bien qu’américaines – lâchèrent un obus sacrément rondelet. Concealed qu’il s’appelait, ce Manifeste pour un Metal Meilleur. Alliant grosses blastances et mélodies angéliques, growl profond et chant féminin, les québécois d’Augury réussirent peu ou prou à séduire à la fois les chirurgiens / bûcherons autistes et les amateurs de dentelles expertes. Whaaouuuuu! qu’on s'est tous dit à l’époque. Quoique, même travers que du côté de la nouvelle génération des horlogers du death: on peinait un peu à trouver en son sein un vrai tube entêtant qui donne envie de se rouler de plaisir dans les fraises à la chantilly.
Du coup, dans le doute, quand en 2009 arriva Fragmentary Evidence – le 2e épisode de la saga Augury –, on ne put s’empêcher d’acquérir le bestiau... En sachant qu’il y avait de bonnes chances pour que le propos ne se soit pas adouci des masses, le groupe ayant même remercié sa chanteuse entre temps.
Alors, ce nouvel opus réussirait-il à faire basculer les québécois du côté lumineux de la Force, et à les faire briller au firmaments des Totems et autres Vénérables Anciens présidant au conseil d'administration du genre? Eh bien… Mouarf, pas tout à fait: status quo. N’empêche, reconnaissons que, bien que plus brutal et plus blasté que l’album de leurs débuts, Fragmentary Evidence reste bien plus accessible d’accès que les missiles envoyés par ses confrères. C’est d’ailleurs assez fascinant d’écouter avec quelle facilité le groupe passe de déferlantes sauvagement venteuses à des épisodes mélodiques scintillants, de cargaisons d’enclumes à la Spawn of Possession à des trips atmosphérico-spatio-jazzy à la Cynic. C’est sûr, l’ENORME basse fretless de Dominique Lapointe (le summum du genre!) qui claque comme un fanion hyper ventilé au tout 1er plan met beaucoup d’huile dans les couloirs sinueux de ce labyrinthe métallique. Et l’apparition de mâles lignes de chant clair au milieu de growls’n’shrieks déjà bien variés évite la lassitude. Mais ce n’est pas que là que repose le secret du groupe. Leur secret, c’est…
… Eh bien tout simplement que ces mecs sont des monstres, ceux-ci ne se contentant pas seulement de pousser leurs instruments dans leurs derniers retranchements, mais sachant également les utiliser comme de véritables armes au service de tueries métalliques! Prenez l’excellent « Simian Cattle »: voilà ce que l’amateur de techno-death attend… Du complexe, du beau, du grand, de l’exaltant! Cela le groupe l’a bien compris. Et il nous abreuve donc de visions grandioses qui nous extraient de nos sièges moites pour planer tout là-haut, au milieu des Colosses gravitant dans ces parenthèses où la Musique tutoie les dieux. Mais aussi d’envolées héroïques hors du temps (« Sovereigns Unknown », sous-titré « Augury écrit un morceau pour Blind Guardian »). De murs colossaux derrière lesquels trônent des forces puissantes, maléfiques mais magnifiques (mazette le début de « Orphans Of Living »!). De refrains qui galvanisent et de breaks qui fauchent les pattes (excellent « Brimstone Landscape », sur lequel brillent également Syriak et Leilindel d’Unexpect). De coulées lumineuses poignantes (comme ce tapping divin ouvrant « Oversee The Rebirth »).
...Mâtin, que c’est bon!
Sauf que, enfants de leur époque – et participants donc d'office "presque" malgré eux au grand jeu de « Qui veut gagner des BPMs? » –, les québécois ne réussissent pas complètement à éviter les circonvolutions étouffantes, les nerderies jazz sans point d’accroche et les leads qui jouent perso. « Jupiter To Ignite » – l’un des plus Cynicquiens des morceaux de l’album – en est une démonstration claire et sans appel. Le groupe y joue un peu trop les premiers de la classe, préférant le « trip atmo-technique » aux « tripes metal ». Même reproche sur « Faith Puppeteers » qui en met partout, au risque de nous perdre en route. Mais le morceau archétypal de ce travers reste « Oversee The Rebith » et ses 11 minutes 11: découpé en 3 morceaux, et fermement canalisé de manière à permettre aux diverses pépites qu’il recèle de briller pour la gloire d'une structure solide, l’œuvre aurait été colossale. Alors qu’en l’état il nous reste sur les bras un énorme pavé certes majestueux, imposant et impressionnant, mais manquant de direction, d’accroche globale – et par la même occasion de mémorabilité.
Alors sans doute le problème est-il que mon logiciel cérébral n’est pas parfaitement adapté pour aborder un tel pavé. Du moins c’est la conclusion qui ressort du concert d’éloges provenant d’une critique quasi-unanime. Car les moments d’extase ont beau être nombreux, plus nombreux encore sont les moments où le torrent de notes et de blasts me laisse exsangue, sur le bord du champ de bataille. Et les écoutes répétées ne font que légèrement infléchir cet état de fait, sans le modifier en profondeur. Snif. Quoique jouons-la « positif »: il a beau briller tellement fort qu’il nous en aveugle parfois, il a beau gesticuler tellement vite qu’il nous donne fréquemment le mal de l’air, Fragmentary Evidence est un véritable trésor recelant de nombreux joyaux métalliques étincelants. Alors même si l’on aurait préféré plus de Rhââ Lovely que de Coitus Interruptus, ne boudons pas notre plaisir…
La chronique, version courte: à la fois terrassant et captivant, massif et majestueux, tumultueux et truffé de pauses mélodiques, Fragmentary Evidence poursuit dans la voie initiée par Concealed, entre les Grands Anciens du techno-death et la nouvelle génération des marteaux-piqueurs du brutal death chirurgical. Parfois frustrant parce que trop peu focalisé et un poil geek, l’album nous procure quand même de grosses brouettées de frissons extatiques.
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