Bent Knee - You Know What They Mean

Chronique CD album (52:12)

chronique Bent Knee - You Know What They Mean

Imaginez, un groupe qui est en résidence dans une salle et pour n'importe quelle raison que ce soit. Et qu'au final, ils soient là en mode « foutez donc deux micros devant nous, prenez également chaque piste à part, on vous joue tous nos nouveaux morceaux et voilà ce que sera notre nouvel album ». Le genre de truc qui va à l'encontre des neuf dixièmes des mises en sons actuelles, d'autant plus lorsque ça touche un groupe de pop/rock indie et arty sophistiqué. Eh bien là, vous n'y croirez pas mais c'est pratiquement ça avec ce You Know What They Mean de Bent Knee. Pratiquement parce que je m'y suis laissée prendre avant d'apprendre qu'ils ont bel et bien été en studio. Salopards, c'est qu'ils l'ont vraiment bien simulé quand même. Et vous me direz : pourquoi faire ça ? C'est de la merde, beaucoup d'imperfections sur plein de choses, pourquoi vous faites ça ? N'avez-vous aucun honneur ? Vous, qui ressortez, de plus, d'une école de musique prestigieuse, vraiment, vous vous en foutez d'avoir cette prod' cracra et approximative ?

 

Eh bien, sans aller dire que Bent Knee s'en fout, on pourra applaudir la prise de risques : se mettre dans une situation fragile et handicapante à l'heure où n'importe quel pleupleu sans talent qui ne sait pas chanter, ni jouer peut enregistrer un disque en comptant sur la magie du numérique pour arrondir les angles et obtenir un résultat plus ou moins potable, il fallait oser. Et le pire, c'est que le résultat est là : ce You Know What They Mean est pourvue d'une aura toute particulière via ce choix de production atypique et se révèle être surtout une putain de réussite tant l'on sent que ce nouvel écueil de compositions a été taillé pile poil pour ce genre d'exercice. Ou plutôt prend une dimension assez incroyable qui donne une saveur toute particulière qui n'aurait jamais pu exister avec une production plus moderne et propre sur elle.

 

Parmi les meilleurs exemples : la fin planante de « Catch Light » ne donnerait pas cette étrange et douce sensation d'avoir un groupe jouant enfermé dans une capsule spatiale, faisant face à l'immensité infinie de l'espace, notamment via cet effet d'écho typique d'une prise d'enregistrement dans une grande salle vide. Cette sensation que l'on retrouvera de manière encore plus exacerbée sur « Golden Hour », magnifique titre à double-facette, jouant autant sur l'atmosphérique qu'une dynamique légère et posée très trip-hop dans l'esprit. Ou encore le côté dépouillé au maximum d'un « Love Bird », simple exercice claviers/chant (aux chœurs approximatifs étant donné qu'il n'y a pratiquement aucun effet d’apposé sur les voix) n'aurait jamais été pur et émotionnel si la fin de « Lovemenot » n'était pas un déluge over-saturé non dénué de larsens et cradingue, engloutissant quasi-totalement le chant. Et bien entendu, on ne pourra que relever ces divers gimmicks de prise de parole comme l'introductif « Lansing » qui provient en réalité d'un véritable enregistrement d'un concert où le groupe faisait face à des problèmes techniques et devait donc meubler en attendant que la situation s'arrange, le transitoire « Lovell » qui donne davantage l'impression d'un groupe jouant de manière plus ou moins hasardeuse pour s'échauffer, ou encore l'intervention d'un des musiciens (le batteur ?) pour donner le signal d'amorce de la dernière ligne droite de « Catch Light » ou encore la fin de « Cradle Of Rocks » où l'on sent comme une prise de parole à un public réduit. Bref, You Know What They Mean transpire l'authenticité et le live comme rarement on peut encore le ressentir aujourd'hui dans un effort studio, pas même parmi toute cette jeune vague de combos donnant dans le revival 70's. Et ne fait qu'amener d'autant plus d'humanité à toutes ces sonorités bidouillées qui donnent un caractère des plus étranges à cette tambouille indie pop/rock faussement accessible et à de nombreux moments assez björkiens (« Bone Rage » notamment) : certes, ça joue de durement de la pédale d'effets, que ce soit pour les guitares que les violons mais on ne peut que reconnaître que c'est réellement joué et non issu d'un sample ou autre bidouille obtenue via quelques clics dans des sous-menus Pro-Tools. De la même manière que l'on ressent davantage une impression d'effets jouant sur des placements de micro, notamment pour la batterie, loin de bénéficier des joies du compresseur, et non de bidouilles numériques à proprement parler.

 

Bref, Land Animal, son grand frère, avait été un vrai coup de cœur pour moi à sa sortie il y a trois ans. You Know What They Mean dépasse des pieds à la tête tous les espoirs que j'avais pu avoir pour Bent Knee, notamment en partant dans une direction totalement différente, le tout sans perdre de son ADN tant on sait que l'on a affaire au même groupe. Mais un groupe qui nous prouve qu'il est définitivement hors-norme, pouvant emprunter n'importe quelle direction musicale sans perdre de sa pertinence. Mais surtout en parvenant à un résultat aussi surprenant que génial, qu'importe les contraintes avec lesquelles il appréhendera l'exercice. Un peu comme une Björk dopée aux hormones quoi...

photo de Margoth
le 14/12/2019

4 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 16/12/2019 à 13:12:02

On ressent quand même le côté "live" dans le son, et c'est bien dommage, car il y a des pépites là-dedans.

Margoth

Margoth le 16/12/2019 à 14:54:29

Bah, ce côté live du son est justement l'intention : tenter de capturer en studio (car oui, apparemment, ça a été mis en boîte en studio) l'essence live du groupe, avec donc toutes ses imperfections et autres galères techniques potentielles qui peuvent intervenir. On aime ou on n'aimera pas certes mais il faut reconnaître que certains titres perdraient pas mal de leur intensité et intérêt avec une prod' conventionnelle toute clean, toute propre, celui que j'ai mis en écoute notamment.

pidji

pidji le 16/12/2019 à 18:05:42

oui généralement je suis fan, mais là il y a pas mal de saturation je trouve, et sons trop stridents.
Mais ça n'empêche pas que certains titres sont vraiment bons ;)

albireo

albireo le 09/02/2020 à 18:40:40

J'ai découvert le groupe en première partie de la tournée de Haken. Courtney n'était pas présente et ce fut ainsi "Ben Levin Group" qui se présenta.
La claque.
Sauf que je me suis dit "chantées par un chanteur qui envoie du bois, ça doit déchirer 10 fois plus". J'ai eu confirmation dès le lendemain.
En effet, j'ai acheté leur 3 derniers disques en papotant avec Ben et Jessica (des crèmes adorables ! Je leur achetais 3 album, en même temps :-D) et qu'entends-je en appuyant sur play ? Une femme qui chante... Exceptionnellement bien, en plus (il faut transformer le côté un peu nasillard perçu habituellement comme bof en une qualité qu'elle utilise à merveille !)
Et là, re-claque ! Mon préféré a été "Land Animal" car sublime de la première à la dernière note ; les autres albums comportant du sublime avec du déchet.

J'ai donc attendu avec impatience la sortie de ce "you know what they mean"...
J'ai d'abord été totalement décontenancé. Le style est là, même si épuré et sombre. Courtney chante toujours aussi bien. Il m'a fallu plusieurs écoutes pour découvrir que cette noirceur était faite de lumière et de génie. J'aime presque tout. Mais cet album contient parmi ce que Bent Knee a composé de mieux avec notamment un "Catch Light" absolument magnifique et un "Golden Hour" sublime à pleurer. Bent Knee a déjà composé quelques chansons de ce type. Je pense à "I'm still here" sublime elle aussi.

Je suis d'accord avec la rubrique : le côté live offre un contact charnel avec le message musical qui, souvent, transcende les chansons. Peut-être qu'une batterie un peu moins en carton aurait été la cerise sur la gâteau, mais finalement cela participe au côté charnel.

Comme le dit Pidji, la saturation peut gêner. Autant elle est est rigolote (tellement elle est importante) et pertinente en intro de "Bone Rage", autant elle aurait pu être un rien moins présente dans les refrains vraiment réussis de "Egg Replacer" et dans "Lovemenot". Dans cette dernière, je comprends l'expression de la folie passionnelle mais c'est un peu too much et je vis cette partie (la fin) comme une longueur. Rien de méchant. Le groupe nous a habitué à ces moments discordants pour lesquels la frontière entre génial et raté est très mince.

Un très grand disque à un boyau de pneu de indétrônable "Land Animal".
Un très grand groupe !

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