Bjeima - Haven

Zenhauser est l’un des nombreux avatars du multi-instrumentiste norvégien Bjeima, un artiste aussi prolifique que mystérieux. On le retrouve impliqué dans une multitude de projets aux styles variés : Manimalism (Black Metal avant-gardiste), Blitzkrieg Baby (formation bruitiste et industrielle), Delirium Bound (Black Metal chaotique), sans oublier ses apparitions chez Fleurety et Virus, deux groupes majeurs de la scène expérimentale norvégienne. Mais Bjeima, c’est aussi une myriade d’identités en solo, chacune se consacrant à un univers bien spécifique : Alfa Obscura, Yurei (rock acrobatique et déconstruit), Piandomier (musique pour piano), NoHoN (Black Metal expérimental) et, plus récemment, Zenhauser. Il semble sans cesse en mouvement, insaisissable, se réinventant au fil des projets, comme s’il cherchait à explorer toutes les facettes de la musique sans jamais se laisser enfermer dans une seule esthétique.

Il n’est pas simple de suivre son parcours tentaculaire, tant son œuvre s’éparpille et se renouvelle constamment. Heureusement, il peut compter sur le talent graphique de Kim Sølve, du Trine + Kim Design Studio, qui illustre avec brio chacune de ses sorties. Ses visuels, toujours soignés et en parfaite adéquation avec l’univers musical de Bjeima, permettent de tisser un fil rouge entre ses différentes incarnations. Pour ce qui est de la diffusion, l’artiste semble vouloir se tenir à l’écart des canaux traditionnels : pas de label, peu de promotion, seule sa page Bandcamp fait office de vitrine numérique. Ce choix renforce l’aura énigmatique qui entoure sa musique, donnant l’impression d’un univers clos, autosuffisant, où chaque projet possède sa propre identité bien distincte.

Parmi ces multiples explorations sonores, Haven, le premier album sous l’alias Zenhauser, s’inscrit dans une approche plus électronique, loin des guitares torturées du Black Metal ou des expérimentations bruitistes. Ici, Bjeima s’immerge dans un Dark Électro instrumental, teinté d’ambiances rituelles et d’influences ambient. L’album évoque un espace entre deux mondes, un lieu brumeux où la mélodie se fond dans la texture, où l’atmosphère prime sur la structure. Il y a quelque chose d’hypnotique dans cette musique, une volonté de laisser l’auditeur dériver dans un paysage sonore mouvant, sans repères fixes.

Dès les premières minutes, on reconnaît la patte de Bjeima : une musique entièrement synthétique, où chaque note semble pesée, chaque texture pensée pour créer une immersion totale. Impossible de ne pas penser à la bande originale de Twin Peaks, composée par Angelo Badalamenti. L’influence est palpable dans les nappes de claviers et les mélodies nocturnes, bien que dépouillées du saxo lancinant et de la voix éthérée de Julee Cruise. Mais là où Badalamenti jouait sur la dualité entre l’étrange et le romantique, Haven s’enfonce résolument dans un clair-obscur lynchien plus oppressant, plus introspectif.

Ce qui frappe surtout dans cet album, c’est sa force évocatrice. Malgré une apparente simplicité dans les arrangements, chaque morceau parvient à créer une atmosphère particulière, un paysage sonore qui se déploie lentement. Les rythmiques, souvent minimales, servent avant tout à poser un cadre, une ossature discrète autour des nappes synthétiques. C’est une musique de l’attente, du suspense, où le silence et l’espace ont autant d’importance que les notes elles-mêmes.

Avec Haven, Bjeima prouve une nouvelle fois son talent pour l’expérimentation et son goût pour les atmosphères atypiques. En se détachant des structures classiques et en misant sur la puissance du son lui-même, il signe un disque qui ne cherche pas à impressionner par la virtuosité, mais à immerger l’auditeur dans un monde parallèle, quelque part entre le rêve et la réalité. Un havre, oui, mais un havre étrange, où le confort est toujours teinté d’une légère inquiétude, car l’écoute de Haven est tout sauf apaisante.

Xuaterc

le 29/03/2025