Black Mountain - IV
Chronique CD album (56:14)

- Style
stoner / space rock / rock psychédélique - Label(s)
Jagjaguwar - Date de sortie
1 avril 2016 - écouter via bandcamp
Autant l'avouer d'emblée, à l'heure de la rédaction de cette chronique ultime, je découvre à peine (je n'en ai poncé jusqu'à la moelle de la lie que 3 albums sur 5 à ce jour, pour le moment, sans compter les projets annexes de ses membres) ce groupe au nom relativement passe-partout tout droit venu de Vancouver, mais force est de constater que sa discographie offre de larges territoires à explorer à l'envi, histoire de combler allègrement les lacunes et s'enrichir à chaque parcelle défrichée. Aussi, ne vais-je pas me poser en exégète patenté de son oeuvre, mais me contenter de partager avec notre aimable lectorat mes premières notes d'aventurier en goguette sur ces vastes terres musicales.
Adonc, user du qualificatif vaste pour évoquer l'univers de Black Mountain relève de l'euphémisme, car à l'écoute de ses albums, on y découvre moult influences toutes aussi réjouissantes les unes que les autres, sans que ces références de bon aloi viennent perturber le plaisir, car, curieusement, celles-ci ne parasitent pas l'expérience et ne laissent jamais un arrière-goût de bagage mal digéré ou de pastiche bancal, mais, au contraire, se posent comme autant d'éléments qui rassurent sur la solidité des oeuvres des aînés dont sa musique se réclame sans complexe. Du reste, Black Mountain ne puise pas uniquement dans le vivier de vieilles figures tutélaires du rock (d'aucuns penseront à Roxy Music, The Stranglers, The Doors ou encore The Stooges, voire David Bowie), puisqu'il peut autant séduire des fans de groupes plus contemporains, comme King Buffalo, Crippled Dark Phoenix ou encore All Them Witches, tandis que les amateurs de Coldplay les connaissent déjà, puisqu'ils ont ouvert pour le groupe de Chris Martin. On pourrait dérouler le chapelet du name-dropping de catin de luxe tant on passe d'une ambiance, voire, d'un genre à l'autre, selon les albums, et au sein d'un même opus, d'un titre à l'autre. Si bien que, loin de s'éparpiller aux quatre vents de l'inspiration, Black Mountain s'amuse plutôt à varier les plaisirs et partant, propose une large palette de fins mets au menu qui n'entraîne miraculeusement aucune indigestion, illustrant ainsi à merveille l'adage selon lequel abondance de biens ne nuit pas. D'ailleurs, le miracle de sa musique dont les influences qu'on y repère sautent aux oreilles repose sur le constat étonnant suivant : au lieu de la gêne que ces balises pourraient engendrer, elles enchantent l'auditeur qui jamais ne criera au pillage mais ne pourra que saluer la maîtrise de l'ensemble relevant, dans un sens, d'une certaine démarche expérimentale. Car dans le fond, chacun y apporte ses propres références, le fruit de son propre parcours, ses propres expériences de vie. C'est sur cette assise que la musique des Canadiens s'invente sa règle des 3 antes : rassurante, réjouissante, passionnante.
Prenons donc l'album IV, sorti en 2016 (le dernier en date, Destroyer, date de 2019 et propose une tout autre tambouille sans qu'on n'ait le sentiment de changer d'enseigne) : celui-ci oscille entre chansons sans fioriture (Florian Saucer attack), rentre-dedans, sobres mais nerveuses, qui ne s'encombrent d'aucun détour pour mieux chercher à aller droit au but, emportant l'auditeur dans un wock'n'woll débridé, et longues virées psychédéliques aussi fiévreuses et intenses qu'un coït réussi qui prennent le temps de faire monter la température, à l'instar du titre d'ouverture Mothers of Sun ou celui de clôture, Space to Bakersfield, 2 des 3 plus longs de l'album, respectivement 8 et 9 minutes d'invitation au stupre sous champi pour mieux tutoyer l'infini. Le 1e ne dévie pas de sa trajectoire, avec sa rythmique bien marquée, métronomique et hypnotique en diable, bien campée sur ses appuis, tandis que la guitare fait pleurer ses soli. Le second clôt l'album dans une ambiance bluesy que Pink Floyd ne renierait pas, hautement sensuelle, nimbée d'une aura mystique distillée par les nappes des claviers comme autant de doux soupirs d'extase feutrée qui atteint son acmé au gré du long solo de guitare plein de sueur. Entre-temps, on aura eu droit à des titres plus langoureux, aux rotondités sexy et nonchalantes, comme Defector, avec ses envolées spatiales aux synthés, ou Cemetery breeding avec ses accents pop rock contrit à la REM, des chansons (Constellations) aussi décadentes que celles de Sonic Youth, période Washing Machine, ou encore des ballades acoustiques interprétées par des anges déchus qui foutent littéralement la chiale : Line them all up et son pendant solaire Crucify me.
Y en a pour tout le monde, tous les goûts, toutes les sensibilités. Du reste, le groupe jouit de deux voix, l'une masculine, l'autre féminine. Cela donne lieu à des entrelacs de lignes de chant au fort pouvoir sexuel lorsque celles-ci se répondent, se succèdent et se chevauchent littéralement. La paire Stephen Gordon McBean / Amber Webber constitue l'un des principaux atouts du groupe. L'alchimie qui opère entre leurs prestations participe de la personnalité originale de Black Mountain. Au vu de la noria de références qui surgissent à chaque titre, on pourrait céder à la tentation de conclure que le groupe ne réinvente pas l'eau chaude à couper le beurre ni ne casse trois briques de canard, et pourtant, le plaisir l'emporte sur toutes les réticences. Il faut souligner le fait que, loin de singer un son suranné, le groupe multiplie les clins d'oeil tout en insufflant à sa musique une touche de modernité, et les claviers jouent là un rôle primordial. C'est ainsi que You can dream revêt des atours d'electro suave. Ou que Over and over the chain lui laisse carrément tout l'espace dans sa longue intro progressive de presque 3 minutes sur les quasi 9 minutes du titre, donnant ainsi le ton : lorsque les guitares s'emballent, c'est pour mieux emporter dans les hautes sphères du cosmos la litanie des paroles, répétant à l'infini les mots du titre de la chanson, dans une spirale entêtante et envoûtante. Il n'est alors pas délirant d'invoquer l'esprit des Swans. Et pourquoi pas de Hawkwind, aussi, puisque la liste des grands noms qui promènent leur ombre tout au long de cet album ne s'avère pas exhaustive.
Si vous avez effectué le voyage dans sa totalité, je ne puis que vous recommander de poursuivre le trip, dans tous les sens de ce terme, avec le reste de la discographie, à commencer par In the future (2008) et Destroyer (2019, sans Webber), ou encore, de naviguer au hasard de l'univers de Black Mountain pour mieux vous laisser surprendre par ce que vous y apportez vous-même.
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