Draw Me a Sheep - Abracadabrantesque

Chronique CD album (35:15)

chronique Draw Me a Sheep - Abracadabrantesque

Dès la vitrine d’Abracadabrantesque, on n’a qu’une envie : caler l’album sur notre platine. Tant de friandises, de mouvement, de couleurs, de clins d’œil, de traits d’esprit, de promesses d’aventures : c’est sûr, bien qu’on ne sache pas de qui ou de quoi il s’agit, on va être les meilleurs potes du monde avec Draw Me a Sheep ! Non seulement parce que visuellement c’est foisonnant, mais parce qu’au centre de cette agitation colorée figurent d’évidents indices qui font immédiatement clignoter, en fond de caboche, les loupiotes « Nawak forain », « Circus Metal » & « Crazy cartoon cabaret ». Mais également parce que ce patronyme renvoie bien évidemment au Petit Prince et sa monomanie ovine, et qu’il y a pire référence – à moins, bien sûr, qu’on n’envisage son Metal qu’accompagné de démons lubriques, d’entités lovecraftiennes, ou d’experts-comptables du Mordor. Et enfin parce que ce titre transpire la malice, les pétards et l'usage amoureux de la langue française…

 

Cette dernière impression – cf. « l'usage amoureux du françois » – est à la fois avérée – les titres des pistes en attestent – et très contestable. Bah oui : l’album est entièrement instrumental. Pas facile, dans ces conditions, de faire croustiller le verbe et claquer les rimes. Autre impression qu’il est bon de revoir un peu à la baisse : la dimension « Nawak ». Certes, cette grosse demi-heure de musique chatouille plus joyeusement les oreilles qu’un sachet de Frizzy Pazzy ne picote une langue collégienne. Certes, les genres – Metal extrême, musiques tropicales, Funk, Prog, Jazz manouche, meshuggophonie… – profitent de cette joyeuse cour de récréation pour s’entrechoquer en d'éblouissants geysers de notes. Certes, Mike Patton validerait sans nul doute la démarche globale, et pourrait même revendiquer la lointaine paternité d’un « La Chose » à la merveilleuse hyper volubilité, et à la basse joliment clownesque. Mais peut-on vraiment parler ici, sans aucune arrière-pensée, de Nawak Metal instrumental ?

 

Pas vraiment.

 

Le registre de ce trio toulousain – dont fait partie Victor Minois, l’un des gratteux de Psykup – est un Metal instrumental aussi technique que jovial, aussi progressif qu’accrocheur. Les genres qu’il malaxe ont déjà été évoqués dans le paragraphe précédent, mais cela ne suffira pas forcément à se faire une image précise de ces jolies floraisons de notes et de rythmes issus de guitares prolixes accordées à l’extrême opposée des robinets à basalte de Grave et Dismember, ni d’une batterie qui peut se montrer velours et satin comme elle peut te blaster les molaires et t’envoyer de la double dans les rognons. Notez que, si vous avez de bonnes fréquentations musicales, vous aurez peut-être déjà eu l’occasion de ressentir de telles sensations, notamment en écoutant Emiliano Sicilia, le Freak Guitar de Mattias Eklundh, les exactions cartoono-instrumentales de Toehider, les gratouilleries jubilatoires de Nano Sigo (cf. « Gripsou »), ou les délicieux mélanges chaud/froid de Sleep Terror. Sans parler de ces fugaces impressions de croiser Gorod (à la fin de « Probotector »), ou un Carlos Santana rêvassant en terrasse (cf. « Diabolo Menthe »).

 

Piste après piste, riff après riff, de l’énorme basse slappée ouvrant « Cock-a-Doodle-Doo » jusqu’au vaste tomber de rideau qui s’enchiptunise à la fin de « Error 404 », on progresse d’étonnements en émerveillements. Régulièrement on se dit : « Là c’est sûr, c’est le meilleur morceau du lot ! ». Et patatras, on se le redit deux pistes plus loin. On lâche quelques généreuses pelletées de « Whouawh… Ah, ouais, quand même !! ». Et l’on ne cesse de ressentir ces merveilleux frissons que connait le conquistador lorsqu’il débarque en terres inconnues, et qu'il constate que non seulement celles-ci s’avèrent hyper accueillantes, mais qu'elles promettent encore beaucoup d’autres heureuses surprises à l’explorateur persévérant. Effectuer une sélection à partir d’un festival métallique aussi uniformément prodigue n’a que peu de sens, mais on s’obligera à vous recommander plus particulièrement « Bubblegum », véritable feu d’artifice de notes, de groove et d’émotions qui nous masse le fond des tripes au tabasco, « Probotector », superbe voyage mélodique affolant de virtuosité, ou encore « El Trago De Más », qui enfile un sombrero pour tantôt filer tel Speedy Gonzales, tantôt sulfater comme Pablo Escobar, tantôt inviter au déhanchement comme Salma Hayek.

 

Malheureusement pour lui, Draw Me a Sheep n’a pas su frapper à ma porte suffisamment tôt pour éviter la relégation dans la « Too Late Academy ». Trop tard, en effet, pour pouvoir mentionner Abracadabrantesque parmi les incontournables du haut du Top 2023. Mais pas trop tard, heureusement, pour que – tel le vieux lapin jaune qui franchit la ligne d'arrivée après la tortue, mais a fait la course avec du bon son dans les oreilles – vous vous plongiez dans ce grand bain de bonheur musical.

 

... Eh les gars : vous pouvez envoyer la suite (... qui s'intitulera Perlimpinpin ? Bravitude ? Karcher ? Les paris sont ouverts) : je suis d'ores et déjà dans les starting-blocks, et cette fois je ne louperai pas le départ !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte : virtuosité, accroche, malice, liberté, effervescence, fraîcheur, générosité… On ne peut s’empêcher de déployer un large bouquet de substantifs enthousiastes pour décrire Abracadabrantesque, 2e album de Draw Me a Sheep. Car cette grosse demi-heure d’un Metal prog instrumental à la fois fun, hyper-technique et incroyablement séducteur manifeste toute les qualités des rares formations qui ont su s’exprimer de manière convaincante dans ce registre hyper pointu – à savoir Mattias Eklundh (Freak Guitar), Sleep Terror, Emiliano Sicilia, Toehider (en mode cartoon) et Nano Sigo. À consommer sans modération, si d'aventure votre quotidien manque de Whaou et de joie de vivre. Et dans le cas contraire également.

photo de Cglaume
le 16/01/2025

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