Februus - Surveillance Orgy
Chronique CD album (41:10)
- Style
Death Metal cosmico-avant-gardiste - Label(s)
Transcending Obscurity - Date de sortie
14 juillet 2024 - écouter via bandcamp
La pochette de Surveillance Orgy est particulièrement savoureuse. En effet, tout en étant picturalement généreuse, celle-ci évite les clichés de l'habituelle horde de zombies perturbant un meeting politique / un goûter d'anniversaire / un pique-nique câlin, le tout sur fond d'apocalypse thermonucléaire. Toutefois, celle-ci s'avère trompeuse. Car on pourrait croire, en la voyant, que Februus propose un Tech-Death chirurgical, ou s'oriente vers le Thrash technique pour ingénieurs en bio-technologies. Alors que, bien que son Death Metal soit en effet particulièrement chiadé, si Andreas Karlsson (le Monsieur avec les instruments) avait vraiment voulu utiliser une image suggérant l'expérience vécue par nos oreilles lors de ce trip d'une grosse quarantaine de minutes, il aurait demandé à Daniel Karlsson (le Monsieur avec les pinceaux) de représenter un être humain se faisant broyer par une machine cyclopéenne installée dans la chambre magmatique bouillonnant sous le Krakatoa. Ou l'équipage d'une navette en dérive pulvérisé par l'énergie explosive d'une supernova. Ou la chute sans fin d'âmes perdues dans un gouffre peuplé d'entités sans âge ni pitié.
Pendant les toutes premières secondes de « Gentrification of the Soul » pourtant, on pense en effet avoir atterri en territoire technico-avant-gardiste, chez un cousin de Disharmonic Orchestra. Car c'est la chute indistincte d'un objet creux, puis une basse joliment fureteuse doublée d'une guitare généreusement tricoteuse qui nous accueillent initialement, sans que l'on se doute alors que, un claquement de doigts plus tard, on se fera souffler par un vortex houleux qui nous portera, tels des fétus de paille dans une gigantesque tornade décibellique, jusqu'au terme de cette aventure. Car c'est là le programme de ce one-man-band qui, paradoxalement, joue une musique semblant interprétée par des légions infernales. En caricaturant à peine, on peut résumer les cinq longs titres de ce premier album comme un flot incessant de growl spectral perdu dans l'écho d’abîmes insondables. Plus des leads schizophrènes déchirant parfois les sombres cieux alentours, mais qui bien souvent préfèrent errer, entre autisme expérimental, stridence et malaise, dans d'éternels tourments. Sans oublier une chape sonore massive, incroyablement dense, tourmentée, appuyée sur d'épaisses fondations rythmiques faites de blasts et de double pédale, où règnent le chaos, la confusion, la terreur, et ce genre de créatures colossales et malfaisantes que l'être humain n'entraperçoit habituellement que sur le théâtre des grandes catastrophes, au milieu de déferlantes affrontées en plein ouragan, parmi les nuages rougeoyants lors de bombardements impitoyables, ou entre les lignes dans les romans de Lovecraft.
Pour tenter d'ancrer ce tableau infernal sur des références relativement parlantes, on pourrait citer Cephalectomy, Immolation, Portal. Ainsi que Nocturnus, Demilich et Morbid Angel, ces derniers étant justifiés par la similarité de certaines atmosphères... et par la volonté d'évoquer des noms plus largement connus. Notez que la meilleure façon de profiter de Surveillance Orgy, ce n'est bien évidemment pas en étendant son linge ou en épluchant des carottes, en mode « playlist méli-mélo », entrecoupé de morceaux d'Amon Amarth et de Brutal Pooh Orgy. Non : ce qu'il faut c'est être en parfaite immersion, isolé du reste du monde, dans la pénombre ou les yeux clos, tous les sens tournés vers les remous tumultueux de cette expérience cosmique primale. C'est ainsi que la majesté de certaines visions s'imposera progressivement à vous, que vous vous ferez happer par la lumière de certains tableaux où les ténèbres ne sont alors plus que le Yang imposant d'un Yin sublime. Vous serez alors subjugué par la beauté hypnotique de la scie mélodique parcourant « Gentrification of the Soul » (tiens, vers 5:55). Par la floraison abondante et mélancolique survenant vers 5:32 sur le morceau-titre. Par la légèreté spatiale et jazzy de la bulle se formant à 2:18 sur « Resignation Syndrome ». Ainsi que par la merveille de délicatesse jazzy (encore, oui) qui éclot à 0:24 sur « The Price of Enterprise » – ce morceau de seulement 3 minutes constituant une exception notable sur l'album, et le point d'entrée à privilégier par ceux qui ont peur d'avoir le mal de mer ou des grands espaces à l'approche de cette œuvre monolithique.
Pourquoi, dès lors, ce petit 7/10 ? Tout d'abord parce que l'expérience est éreintante, et difficile d'accès : placer l'album sur la platine se fait presque avec un mouvement de recul. On pourrait d'ailleurs comparer la démarche avec l'effort de volonté nécessaire pour se rendre à la piscine / à la salle de sport, quand on est confortablement blotti chez soi : bordel, on n'a pas du tout envie d'y aller, d'affronter le ciel gris, les visages grimaçants... Pourtant, après coup, on est vraiment heureux d'être allé à l'encontre de son instinct, la sensation étant tellement grisante / agréable une fois plongé dans ce bouillonnant bain ! Autre explication à la tiédeur de cette note : « Resignation Syndrome ». Ce morceau, qui conclut l'album, est le plus long, du haut de ses 14 minutes 25. C'est aussi le moins grisant. Car une fois passées les 4 premières minutes et demie, on est abandonné pour la même durée au sein d'un pénible no man's land hésitant et minimaliste, où le temps passe avec un lenteur infinie... Du coup le retour à la furie death-métallique se fait dans des prédispositions assez mauvaises, d'autant plus que Februus semble alors se chercher, et ne plus vraiment trouver le chemin de ces épiphanies magnifiquement improbables qui nous faisaient apprécier le voyage sur le reste de l'album.
Vous êtes prévenus. À vous de voir, à présent, si vous êtes prêts pour le grand saut dans l’abîme...
La chronique, version courte : pour son tout premier album, Februus nous entraîne au fin fond d'abysses qui seraient sans lumière si celles-ci ne communiquaient pas avec la chambre magmatique de volcans sous-marins, et les toilettes infernales d'entités lovecraftiennes. Sur Surveillance Orgy, le one-man-band suédois propose en effet un Death Metal incroyablement dense, dont l'avant-gardisme cosmico-méphitique peut évoquer un mélange de Cephalectomy, Immolation, Portal et Disharmonic Orchestra. Typiquement le genre d'album qui se marie assez mal avec les 'cahuètes et la première bière fraîche de celui ou celle qui a décidé de décompresser après une journée à se prendre la tête...
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