Flotsam And Jetsam - I Am the Weapon
Chronique CD album (47:16)
- Style
Heavy Thrash - Label(s)
AFM Records - Date de sortie
13 septembre 2024 - Lieu d'enregistrement SonicPhish Productions, Gnome Lord Studios, Wayne Manor Studios & Seventh Spike Studios
écouter "Primal"
« Flotsam and Jetsam, le plus allemand des groupes de Heavy Thrash américain ».
Non, ce n'est pas un slogan que la bande de Phoenix revendique, ni une formule piochée dans le pack promo envoyé avec I Am the Weapon. Mais en faisant le tour de tout ce qui caractérise le groupe, c'est une formule qui finit par s'imposer d'elle-même.
Car (#1) Flotsam and Jetsam, c'est la constance : un même style, un même type d'artwork, une même mascotte, une même ferveur inaltérée depuis quasiment 40 ans (« quasiment », car si le groupe s'est bien formé en 1984, son style était initialement plus Speed/Thrash). Et bien qu'il ait pu y avoir des albums moins trépidants au milieu de sa carrière, globalement cette constance s'applique également à la qualité de ses réalisations.
Car (#2) Flotsam and Jetsam, ce sont des pochettes d'album à la fois 200% Metal et éminemment discutables, d'un point de vue purement esthétique. Ce dont le groupe semble se foutre royalement, tout comme Franz – un patch Running Wild gigantesque dans le dos, un logo Accept tatoué sur le mollet, et un gobelet de pilsener aux trois quarts vide à la main – se fout de ce que Karl Lagerfeld peut bien penser de sa dégaine.
Car (#3) Flotsam and Jetsam, c'est une méthode de composition multi-millénaire (un peu d'exagération, dans ce contexte, n'a rien de déplacé) : une mise en bouche qui claque, un couplet gaillard, un pre-chorus en forme d'envol d'escadrille plein d'espoir et d'héroïsme, un refrain plus mélodique – volontiers dickinsonien... Puis c'est reparti pour un tour ! C'est alors le moment du solo, sans inutile esbroufe. Puis rebelote pour un troisième tour de piste, avec éventuellement, cette fois, quelques répétitions ou changements de séquence, et une insistance plus particulière sur le refrain. Toutes forgées dans ce même moule sacré, les compos du groupe ont l'évidence du mariage pétanque/pastis, et en conséquence un abord aussi aisé que naturel.
Car (#4) Flotsam and Jetsam mêle avec un expertise rare les avoinées sévères du Thrash avec la grandiloquence virile du Power Metal – et ce faisant sait se rendre aussi séduisant pour le fan de Destruction que pour celui d'Helloween.
Et enfin car (#5) Flotsam and Jetsam répond strictement à tous les critères édictés par la Confrérie des Gardiens du Riff Éternel. Ceux listés plus ou moins en filigrane au cours des 4 points précédents, bien évidemment – en étant de fiers chevaliers éternellement fidèles à la cause du Metal sacré, en affirmant leur identité visuelle avec la même ferveur aveugle qu'un fan de Dungeons & Dragons, en ne déviant jamais de la seule trajectoire qui vaille... Mais bien d'autres également, car cette « pureté », la formation l'a atteinte en respectant des codes stricts. En nous accueillant à l'aide d'une guitare scintillant dans le crépuscule glorieux d'une veille de bataille. En garnissant la dernière piste de parties orchestrales, afin d'accentuer la superbe de la démarche, et d'offrir un générique de fin à la hauteur des exploits accomplis. En galopant avec fougue, en entonnant les refrains les yeux au ciel, mais également en saupoudrant d'accents clairement Rock'n'Roll certaines compos. Car AC/DC et Motörhead sont assis là haut, tout en haut de l'Olympe. Et il est nécessaire de régulièrement sacrifier un veau gras en leur honneur.
… Honnêtement, ne s'agit-il pas là plus de discipline rigoureuse et de ferveur "à la teutonne", plutôt que de gouaille from Arizona ?
Mais les recettes ancestrales, même suivies à la lettre, peuvent aboutir à des catastrophes culinaires. Ainsi que, plus rarement, à de très heureuses surprises. Selon que celui qui les suit est un tâcheron ou un maestro des fourneaux. Et il faut bien reconnaître que ces dernières années, le chef américain s'est surpassé. À un point tel que Blood in the Water a bien failli se glisser dans mon Top 2021. Scoop : cela ne devrait pas être le cas pour le couple I Am the Weapon / Top 2024. Notez que c'est passé "à ça". Car l'album est truffé de sources généreuses d'endorphine métallique. Mais il connaît aussi quelques moments creux, de ceux qui interdisent les podiums.
Commençons donc pas les évoquer. C'est le ventre de l'album, dont les abdos sont loin d'être irréprochables, qui pose problème. Des pistes #5 à #9, la tablette de chocolat est tantôt apparente, tantôt masquée par un début d'esquisse de poche à houblon. Ainsi « The Head of the Snake » sonne comme du Metal de darons bien trop prévisible, bien trop rabâché, en pilote automatique. Avec, pour confirmer la sentence, un refrain qui sent la balade digestive dominicale, pépère de chez pépère. Plus loin les banalités continuent avec un « Gates of Hell » qui démarre pourtant de manière fort prometteuse, mais qui s'avère vite aussi trépidant et innovant que la perspective d'une soirée Bundesliga sur le sofa de Tonton Günther. Et puisque sur CoreAndCo on ne se satisfait pas de petite bière, on regrettera que la belle fougue riffée de « Cold Steel Lights » soit émoussée par un refrain trop plein de sucre Power caricatural. Même ambivalence pour « Kings of the Underworld », fort d'un chant-coups de bélier sur les couplets, mais qui se noie dans la barbe-à-papa Heavy sur le refrain (… rappel : votre interlocuteur raffole du Thrash, mais beaucoup moins du Power Metal).
Autour de ce ventre mou en revanche, la tête comme les jambes (j'aurais pu parler de « la queue », mais je vous connais...) de la tracklist d'I Am the Weapon donnent dans la catégorie « mannequin détail ». À commencer par « A New Kind of Hero », archétype de la charge Heavy / Thrash dont l'accroche, l'entrain et le souffle sont de ceux qui galvanisent les armées de vestes à patches. « Primal » motive tout autant les foules, mais cette fois dans une dynamique plus typée cuir, testostérone et Rock'n'Roll. Et s'il est certes moins définitif, le morceau-titre se distingue par son approche décidée et musculeuse qui emprunte, le temps de quelques embardées houleuses (première occurrence en tout début de titre) et de quelques cris plus gutturaux que la moyenne, à l'univers du Death Metal. Il faut ensuite se rendre en piste #6 pour laisser « Beneath the Shadows » nous recharger les batteries à l'aide d'un riff stéréo saccadé particulièrement énergique, qui débouche rapidement sur une séance de roulage des mécaniques punchy très typée Overkill. Puis c'est quand l'heure des au revoir approche que Flotsam and Jetsam revient à une formule gagnante. Sur « Running Through the Fire », dont la structure s'éloigne un peu de la routine habituelle, qui montre une fougue réelle lors de couplets cinglants, et qui fédère à l'occasion d'un refrain faisant l'unanimité – une formule véritablement gagnante ! Puis sur « Black Wings », qui en fait des caisses mais sans jamais aller trop loin, et termine donc l'épopée avec panache et le sentiment du devoir accompli.
Pour tout dire, I Am the Weapon aurait pu être un formidable EP. Il n'est finalement qu'un bon album de Heavy / Thrash, qui ne fait clairement pas tâche dans la discographie du groupe... On ne sait pas si ce dernier pense être une arme blanche, une arme à feu ou un explosif, mais dans tous les cas on est content de constater que celle-ci n'est ni émoussée, ni enrayée, ni un pétard mouillé !
La chronique, version courte: comme Blood in the Water et The End of Chaos avant lui, I Am the Weapon garantit trois quarts d'heure de Heavy / Thrash « de bonhomme » à l'ancienne, avec les bottes en cuir, les charges héroïques et les crépuscules flamboyants. En milieu de tracklist la bière s'avère parfois moins fraîche et le steak moins saignant, mais à moins de ne goûter que les mets inventifs et extrêmement raffinés, peu de chance de ressortir de ce festin tradi' sans se frotter la panse de contentement.
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