Nasty Savage - Jeopardy Room
Chronique CD album (43:59)

- Style
Heavy Tech-Thrash typé - Label(s)
FHM Records - Date de sortie
4 octobre 2024 - Lieu d'enregistrement Morrisound Recording
écouter "Brain Washer"
Il y a mille raisons qui peuvent expliquer qu’on kiffe un album. En ce qui concerne Indulgence, le 2nd album de Nasty Savage, la plus valable d’entre elles, c’est qu’il développe un univers captivant, sans équivalent, et que – pour le dire comme Stéphane Bern évoquant le meurtre d’Ériphyle par son fils Alcméon – il bute sa mère. Il en existe pourtant une autre, pour votre interlocuteur : c’est un des rares albums que je possède au format vinyle – ce qui est parfaitement ridicule puisque je n’ai pas de platine. N’empêche : cela ajoute quelques étoiles dans mes prunelles lorsque le nom de ladite galette est prononcé alentours.
Tout ce blabla afin de vous expliquer pourquoi l’annonce de la sortie de Jeopardy Room – 20 ans après Psycho Psycho, le 4e volume de l’encyclopédie nasty – a déclenché une sirène joyeuse dans mon arrière-boutique cérébrale. Et pourquoi il n’a pas fallu longtemps avant que la galette s’en aille caresser mes tympans par l’entremise d’écouteurs insérés là où ces choses habituellement s’insèrent.
Mais il faut au préalable que je vous conte l’épopée Nasty Savage. Car, quand même, c’est une sacrée histoire. Que je vais vous restituer dans le désordre. Parce que c’est plus rigolo (… et que ça demande moins d’efforts). L’une des particularités de ces troubadours américains, c’est qu’ils ont, en guise de frontman, un ex-catcheur un brin barjot, qui aime foutre le boxon sur scène – notamment en se fracassant de vieilles TV sur la trombine, ce qui avait le chic de lui faire terminer ses shows avec le poil un brin ensanglanté. Ayant commencé à faire du bruit dès 1983, et s’étant fait signer peu après chez Metal Blade (ils ont placé un titre sur la compil’ Metal Massacre VI), ces loustics furent parmi les premiers à attirer les projecteurs sur leur petite scène locale… celle de Tampa, Floride. Oui oui. D’ailleurs Death et Xecutioner (qui changera par la suite de nom pour Obituary) ont ouvert pour eux. Autre anecdote découlant du même ancrage géopgraphique : Glen Benton – le fils de Belles&Putes à la tête de Deicide – a auditionné pour devenir leur bassiste…
Inutile de préciser qu’on ne cause donc pas ici d'un groupe de papys de seconde zone…
Et les gus n’ont décidément pas renié leurs origines, car près de 40 ans après l’enregistrement de leur premier album aux désormais célèbres Morrisound Studios, ceux-ci ont rempilé au même endroit pour mettre en boîte la 5e saison de leurs aventures discographiques.
Pourtant non, Nasty Savage n’a pas pour spécialité ce Death Metal old school dans la grande tradition américaine. Même si, pour soutenir Nasty Ronnie – le chanteur, désormais seul membre d’origine à tenir encore la barre – le line-up inclut dorénavant d’ex-Brutality (James Coker à la batterie et Pete Sykes à la guitare), ainsi que le bassiste actuel de Nocturnus AD et ex-Disincarnate, Kyle Sokol. Non, si certains riffs tarabiscotés peuvent parfois évoquer le style de la bande à Mike Browning, nos bons sauvages proposent de fait un Thrash relativement technique, mais également coloré de touches Heavy/Prog un peu décalées. Le résultat s'avère assez difficile à décrire, et par ailleurs plein de personnalité. Si jamais, pour vous faire une idée du son d’un groupe, vous ne pouvez faire autrement que de comparer avec d’autres formations plus renommées, dites vous que chez Nasty Savage il y a à parts plus ou moins égales : 1) du Coroner, 2) du Mercyful Fate (même si Ronnie a laissé tomber les cris aigus) et 3) du Destruction, période Release From Agony.
Mais ne serait-il pas enfin temps de causer plus spécifiquement du nouvel album ?
Eh bien c’est fou, mais malgré les années et les changements de personnel, Jeopardy Room sonne comme si Ronald Reagan était encore à la Maison Blanche. Car sans sentir le grenier mal aéré, sa prod’ – comme drapée dans un voile léger mais indéniablement oldy – entretient une esthétique un brin rétro. Et le groupe d’en rajouter une couche en multipliant les gimmicks à gros néons flashy : inévitable intro lugubre dans son coulis de synthé ambiant, voix parfois retouchée, effets stéréo qui fleurent bon le futur made in 80s, halètements féminins préorgasmiques (c’est tellement « Parental Advisory Explicit Lyrics » !), solos en pagaille, plage purement instrumentale (cf. « The 6th Finger »)… Sans oublier la remise au goût du jour de « Witches Sabbath », morceau à la théâtralité poussiéreuse très typée Mercyful Fate ayant figuré sur la première démo Raw Mayhem – et sur laquelle les frères Tardy (d’Obituary, oui oui) viennent jouer les guests de luxe.
« OK, là tu décris les décors… Mais le scénario : il est bien ou non ? Il y a de l’action ? »
De l’action, oui, il y en a. Dès le morceau-titre, à la fois fougueux et vicieux – typique de la patte du groupe, pour tout dire. Avec cet éternel placement de voix de Mr Nasty, qui semble plus commenter l’action que chanter à proprement parler. Puis on passe à l’un des tout meilleurs titres nouveaux, « Brain Washer », et son riff imparable joué le menton relevé et les épaules largement déployées, comme pour indiquer que les boss sont de retour. Autre vraie nouveauté qui déboite, « Operation Annihilate » galope à bride abattue sur les couplets, et offre une superbe envolée twin à mi-course, de celles qui donnent l’impression de voir une impressionnante broderie de granite confectionnée sous nos yeux, à l’aide de marteaux-piqueurs virtuoses.
Le reste de la tracklist galope moins vite, tortillonne un peu plus, mais toujours dans le respect des standards établis par le groupe – autrement dit sans qu’on ne trouve rien de sérieux à y redire, si ce n’est sur « Southern Fried Homicide », dont les guitares à la fois moins techniques et moins originales usent de clichés peu captivants, histoire que les fans les moins exigeants puissent headbanguer sans choper de migraine.
Alors si vous avez envie de vous offrir tout à la fois
1) un voyage dans le temps garanti sans toiles d’araignées dans les cheveux en fin de course, ni odeurs de moisi
2) un généreux bouquet de riffs à la fois tordus et raffinés
3) une expérience métallique relativement inédite, à forte personnalité
Jeopardy Room sera pour vous comme les tablettes 3 en 1 pour votre lave-vaisselle : un produit efficace qui fera briller à la fois oreilles et yeux, et vous permettra, fort d’une culture musicale augmentée, de repartir encore mieux armés pour de nouveaux festins musicaux.
La chronique, version courte : 20 ans après son prédécesseur, Jeopardy Room vient affirmer haut et fort que la personnalité de Nasty Savage n’est pas négociable – et donc que son Thrash relativement technique, clairement iconoclaste, et teinté de Heavy occulte, ne changera pas d’un poil, non mais ! Il vient par la même occasion rappeler que le groupe a beau ne pas figurer dans le Top Buzz de la chaîne Metal-Bogosse, il fait partie de la race des seigneurs, des faiseurs de scène, et des créateurs d’œuvres intemporelles… Qui ne plaisent pas forcément à tout le monde – mais n’est-ce pas là le lot de toute musique « noble » ?
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