Öz Ürügülü - Della Morte dell’Artista
Chronique CD album (29:09)

- Style
Nawak Metal instrumental - Label(s)
Autoproduction - Date de sortie
17 mai 2024 - Lieu d'enregistrement Iggittpop Studios
- écouter via bandcamp
C’était il y a 8 ans déjà. Öz Ürügülü se mettait à table pour nous livrer un Fashion and Welfare merveilleusement intriguant, aussi aventureux qu’espiègle, cheminant sur des sentiers zigzaguant entre Secret Chiefs 3, The Onironauts et Ultra Zook. Au première abord, il faut avouer qu'on avait eu un peu peur que ces Suisses ne soient trop cérébraux, trop « Les musiciens parlent aux musiciens »… Mais bonne surprise : si la dextérité technique était bien au rendez-vous, rien d’intimidant dans l’utilisation qui en était faite. C’était un peu comme de tirer des pénos pour le fun dans le terrain vague du bas de la rue, en compagnie d’un Zidane décontract’ : on voyait bien que les gars auraient été capables de nous en foutre plein la vue – d’ailleurs ça driblait dur avec leurs instruments – mais ils n’étaient clairement pas là pour se la raconter, juste pour prendre du bon temps…
Voilà qu’arrive le printemps 2024, et avec lui les élections européennes. C’est pour aider à une saine prise de conscience de l’inquiétante montée de l’extrême droite sur le vieux continent, que le groupe a sorti le 17 mai Della Morte dell’Artista, troisième album-pamphlet dénonçant l’agonie du monde artistique italien suffocant sous le poids des lois ultraconservatrices instaurées par une Georgia Meloni qui…
Comment ?
La Suisse n’est pas dans la Communauté européenne ?
Cette petite demi-heure est 100% instrumentale, et si message politique il y avait, il serait muet ?
Ällö, 'ÿ ä qüelqu’üӥ ?
Cette petite poussée délirante était intentionnelle, si si. Histoire de se mettre au diapason du ton özürügülien. Quoique si celui-ci est certes propice aux facéties, il diffuse son humour sans effusions bruyantes, de manière plus tongue-in-cheek que clownesque. Mais allez, effectuons une checklist, histoire de voir, huit ans après, où en est la formation. Celle-ci, rassurez-vous, est toujours aussi malicieuse. Elle reste par ailleurs sur les rails « Nawak Metal instrumental » où elle cheminait tantôt, ce positionnement stylistique lui permettant de continuer à remuer du boule sur des rythmes Math’n’Jazz décalés, plaquer quelques méchants riffs Metal, s’astiquer les cuivres, relire les contes des 1001 Nuits, et faire des spéciales cace-dédi aux chapelles Dub, Funk, Surf Rock, Swing, Lounge & co. C’est donc telle une joyeuse procession aussi hétéroclite que séduisante que les Suisse s’en reviennent nous proposer une lecture en diagonale de l’ensemble des Guides du Routard, ainsi que du recueil Surréalisme ou Dadaïsme : entretiens avec Jean-Claude Van Damme.
L’un des atouts d'Öz Ürügülü, c’est qu’il ne se contente pas d’entremêler ses ingrédients en d’improbables recettes – comme l’a fait encore récemment Snailforce!, par exemple. Ainsi, sur Della Morte dell’Artista, dès qu’il le peut le groupe façonne ses morceaux autour de thématiques données, évitant ainsi de faire de l’album un grand kaléidoscope dont on ne sait plus distinguer le début de la fin. Prenons l’exemple de « I Think My Hair Is on Fire » : cette trépidante compo donne l’impression d’écouter la musique d’un jeu de plate-forme interprétée par un Snarky Puppy prenant momentanément ses instructions auprès de Mike Patton. Si l’on s’arrête à présent sur le cas « The Little House Carlos' Mother Used to Live In », qu’entend-on ? La confrontation du « Night on Bald Mountain » de Mussorgsky – traversé de Surf Rock sombre, et revisité par Panzerballet – avec une version foisonnante de l’univers de Carlos Santana, dont sont joués quelques passages du « Black Magic Woman ». Enfin ça c’est pour les trois premières minutes, parce qu’après le morceau dévie dans le tourmenté-poil-à-mémé, comme pour rappeler qu’il ne s’agit pas non plus ici de portes ouvertes au grand public à l’occasion de la Fête de la Musique.
Mais les Suisses vont plus loin encore – ou alors c’est dans ma tête, je vous laisse en juger.
Car « Zeta Ridiculi » est l’occasion pour ces jobards de se livrer à une apolo-J implicite. En effet, un improbable fil conducteur semble traverser ces riches cinq minutes : celui de la dixième lettre de l’alphabet. Car parmi les ingrédients les plus protubérants mélangés dans cette grande salade Nawak, on trouve du Jazz, du Jasmin (cf. les grandes louches de musiques moyen-orientales), du Jackson (Michael, dont le « Thriller » s’invite pendant trente bonnes secondes à partir de 2:48), de la Java (à 4:42), de la Jamaïque (Ragga/Dub en vue à 1:30), et même des saccades nettement dJent. Et si je ne craignais pas que vous téléphoniez aux urgences psychiatriques, j’avancerais que « Santiago and a Missing 8th » fait peut-être pareil avec la lettre S, étant donné que parmi les acteurs majeurs de cette 4e piste figurent un Saxo tout puissant, des accès de Swing dément (à 3:30), du Surf Rock, de bonnes grosses Saccades, et même, pour conclure l’aventure, un petit clin d’œil au « Stairway to Heaven » de qui-vous-savez.
… Un vrai jeu de piste, mais plus fun que prise de tête !
Youpi, donc, puisqu’il faut conclure. Car, bien que la seconde moitié de « The Little House Carlos' Mother Used to Live In » n’apporte que peu de soleil dans nos vies, il faut bien l’admettre : Öz Ürügülü ne déçoit pas… Au contraire ! Du coup c’est sans hésitation que l’on renouvelle notre abonnement à ce fournisseur de services « Nawak instrumental ». On va même considérer la possibilité d'une souscription à l’option dëlüxë, tiens…
La chronique, version courte : Della Morte dell’Artista renouvelle les plaisirs auparavant procurés par Fashion and Welfare en continuant de dispenser ses savantes élucubrations musicales mêlant espiègleries Jazz, saveurs moyen-orientales, Metal élégant, épisodes cinémato-progressifs, épices multi-stylistiques et rictus Nawak. On conseille aux fans d’Estradasphere et de Secret Chiefs 3 d’y mordre à pleines dents.
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