Sqürl - Silver Haze
Chronique CD album (38:47)

- Style
Rock dronesque - Label(s)
Sacred Bones Records - Date de sortie
5 mai 2023 - écouter via bandcamp
On les connaît, les cinéastes mélomanes, ceux qui savent utiliser de manière pertinente la musique des autres quand ils ne la composent pas eux-mêmes. Que de grands noms ayant inscrit au patrimoine du 7e art des œuvres essentielles, incontournables et éternelles. David Lynch, Martin Scorsese, Coppola, père et fille, Stanley Kubrick, Quentin Tarantino, Tran Anh Hung (combien de cinéphiles ont découvert « Creep » de Radiohead grâce à Cyclo ?), Michael Winterbottom, Olivier Assayas, John Carpenter. Liste non exhaustive. Du reste, certains poussent leur amour de la musique jusqu’à filmer de véritables musiciens en plein exercice de leur art, les incorporant à la fiction : dans Clean, cette histoire de rédemption d’une femme détruite par la drogue du monde de la musique, Assayas restitue l’énergie folle de Metric, Lynch réserve une apparition de Marilyn Manson dans son chef d’oeuvre ultime Lost Highway, Tarantino place au centre d’une scène de Kill Bill part 1 le groupe de garage rock nippon The 5,6,7,8’s,Winterbottom, quant à lui, construit l’histoire d’amour ô combien torride de 9 songs autour d’extraits de concerts de Franz Ferdinand, Elbow, Black Rebel Motorcyle Club ou encore Primal Scream, tandis que dans Only lovers left alive, son film de vampires wock’n’woll exilés à Tanger, Jim Jarmusch incorpore 2 captations de concerts, de White Hills et de Yasmine Hamdan. D’ailleurs, la prestation de cette dernière, filmée et enregistrée in extenso pour les besoins du film, figure dans sa bande originale. On doit celle-ci au groupe que le réalisateur a formé en 2009 pour la bande-son de The limits of control avec le producteur Carter Logan : Sqürl.
Un nom qui renvoie à Coffee and cigarettes, un autre film de Jarmusch, dans lequel il s’offre le loisir de diriger notamment les White Stripes, Tom Waits et Iggy Pop. Celui-ci aura droit en 2016 à un documentaire sur son groupe les Stooges : Gimme danger. Depuis, le duo a sorti plusieurs EP’s et assuré la composition de BO d’autres œuvres du réalisateur à la chevelure argentée, comme Paterson, cette fable célébrant les petits riens en nous rapprochant d’un couple loin des êtres extraordinaires des histoires romanesques, car il vit ce que tout amour peut espérer : faire de chaque jour un poème. Pour autant, nonobstant un CV déjà bien fourni, Sqürl n’avait jamais sorti d’album à proprement parler. Sorti en 2023, Silver haze représente donc son 1e véritable méfait.
Si les précédentes sorties du combo s’inscrivaient toutes dans une relation étroite avec une autre œuvre, comme Some music for Robby Müller qui accompagne le documentaire de Claire Pijman sur ce directeur de la photographie décédé en 2018, avec qui Jarmusch a travaillé, cet opus existe indépendamment de tout autre projet, mais il n’en demeure pas moins chargé d’une dimension hautement cinématographique. Sqürl sait bâtir des ponts entre l’image et le son, par la seule force de la musique. Étonnamment sobre dans ses compositions, l’album plonge néanmoins l’auditeur dans des atmosphères denses et riches en évocations sollicitant l’imaginaire. Sans esbroufe, mais avec la délicatesse des poètes les plus inspirés, il raconte moult histoires qui se déploient au gré des arpèges de guitare éthérés et poussiéreux, des nappes diaphanes des claviers et des voix baignant dans une reverb que ne renieraient pas les habitués de lieux interlopes comme le Bang Bang Bar de Twin Peaks. Le tout emporté par la nonchalance tour à tour chaleureuse et obscure de tempos languides. Que ce soit des instrumentaux comme « Berlin ‘87 » qui ouvre le bal avec cette lenteur qui semble traîner derrière elle le faix du monde, ou son prolongement « The end of the world » servi par un texte récité par Jarmusch avec une prosodie intensément dramatique, les deux trouvant leurs pendants lumineux avec « Garden of glass flowers » et ses mélopées cristallines comme la rosée du matin caressée par les 1e rayons d’un soleil de printemps encore frileux et avec « John Ashbery takes a walk » servi par la douce voix de Charlotte Gainsbourg, Silver haze progresse avec une cohérence que lui jalouserait quiconque tente d’extraire de la beauté du chaos.
Aux manettes, Randall Dunn qui associe son nom à ceux de Sunn O))), Zola Jesus, Earth, Boris ou encore Marissa Nadler. Choix judicieux qui sied au travail que le duo effectue sur les textures de ses morceaux. Entre drone et couches multiples de guitares fiévreuses. C’est l’ingé son qui a suggéré l’idée des collaborations : le guitariste Marc Ribot, Annika Henderson et Charlotte Gainsbourg au chant. Chacun apporte sa touche et se glisse dans l’ensemble avec aisance tout en lui conférant une variété de couleurs qui restent dans la même palette. A la manière d’un collage, l’album se construit à partir d’une série d’éléments épars que les musiciens ordonnent et assemblent. Mais si derrière l’apparente sobriété de l’ensemble, on perçoit aisément le travail des arrangements et la recherche d’une certaine forme de complexité refusant la tentation de la technicité, on saisit rapidement la raison pour laquelle cet album s’avère réussi : de son penchant pour une sorte d’abstraction, il puise un fort pouvoir narratif.
2 COMMENTAIRES
8oris le 01/06/2023 à 08:48:08
Très beau papier, plein de belles tournures. :)
Comme dirait CGlaume "typiquement le genre de chronique qui donne envie d'écouter l'album même si le style musical ne t'attire pas forcément"
Moland le 01/06/2023 à 09:44:02
Haha merci d'avoir lu. Y a pous qu'à écouter
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