Tenue - Arcos, bóvedas, pórticos

Chronique CD album (36:17)

chronique Tenue - Arcos, bóvedas, pórticos

Des arches, des voûtes, des portiques... Autant de courbes sous lesquelles nous transitons, que l'on traverse sans y penser, qui peuvent offrir un abri en soutenant le poids du toit et la masse des murs, mais à travers lesquelles la vie s'écoule, la vie s'enfuit, les jours défilent au pas de l'ennui, ou autres méandres.

Après tout, bien que le consensus scientifique (en l'état actuel des connaissances) admet que l'univers est plat, tout ce qui existe et dispose d'une masse à l'intérieur de lui courbe l'espace-temps, de façon même infime. Et que dire de nos vies ? Qui peut affirmer que sa vie a été une ligne droite, toute tracée, plutôt qu'une série de directions prises plus ou moins aléatoirement et de virages qui ont parfois laissé un peu de gomme sur la bordure ? Clairement pas moi.

Ouep, les courbes sont les structures fondamentales de nos existences.

 

Bref, trêve de rallongis. Arcos, bóvedas, pórticos, le nouvel album de Tenue, trois ans après leur très bon morceau-album Territorios, continue de porter le style dont la Galice, d'où ils sont originaires, est la terre promise, perpétuant l'héritage des grands noms que sont feu Ekkaia ou Ictus (c'est d'ailleurs Ivan Ferro, l'ancien guitariste de Ictus, qui enregistre leurs disques). Mais il n'est pas dénué de ces courbes, de ces déviations, dont certaines sont pour le moins.... surprenantes, à la fois pour le style et pour ce que l'on connaissait du groupe jusqu'ici.

 

Comme notre très cher camarade Freaks l'écrivait dans sa chronique du précédent, « c'est Crusty quand la section rythmique se veut plus entreprenante, Skramzy lorsque les descentes de manche se tournent vers des mélodies plus aigus et apportent la petite pointe de drama, enfin Emo-violent lorsque la guitare se veut plus tranchante », et c'est toujours le cas sur celui-ci, avec un certain nombre de touches blackened qu'on leur associait déjà également.

Et pourtant, disait-on, cet album est assez propice aux surprises. Le groupe lui-même – dans une interview très complète avec Retumba – admet qu'il s'agit d'un disque étrange, qui a de quoi laisser perplexe sur quelques petites choses, mais qui s'insère dans leur processus de composition plutôt instinctif et qui reflète leurs différentes influences et goûts musicaux variés (un peu comme nous le confiaient également Massa Nera lors d'un entretien avec leur batteur), en assumant de ne pas vouloir faire un nouveau groupe d'emocrust 'traditionnel'.

 

Ainsi verrons-nous surgir des trompettes (improvisées sur le fil par un ami - Gabriel Saito - au moment de l'enregistrement de l'album ; ce qui, petite pensée en passant, n'est pas sans rappeler l'outro de Domesday de Burning Bright) d'entrée de jeu sur l'ouverture « Inquietude », qui reste cependant le morceau le plus 'normie' selon Miguel (lors de cette interview toujours), et pas mal d'autres surprises tout au long de ces cinq morceaux, dont je ne ferai pas de liste exhaustive, mais dont je dirai simplement qu'elles ne sont pas exemptes de bossa nova et d'ambiances lounge.

De plus, l'arrivée d'un quatrième membre (l'ancien bassiste ayant désormais attrapé la seconde guitare), Tenue ont voulu varier les empreintes vocales, avec par exemple des choeurs inspirés du midwest emo ou des passages aux abords post-punk (le nouveau bassiste étant justement le chanteur d'un groupe de post punk de Bilbao), bien que le chant soit quasi intégralement hurlé et écorché comme d'habitude.

 

Mais si vous connaissiez les précédents méfaits du groupe et que ces dernières lignes vous font courber un sourcil, rassurez-vous, même si on pouvait déjà retrouver quelques riffs un peu plus dansants sur Territorios (souvenez-vous, vers la barre des 22 minutes) : Arcos, bóvedas, pórticos reste profondément ancré à la croisée des chemins que l'on connaissait déjà à Tenue et leurs fulgurances screamo/neocrust, avec peut-être même quelques excroissances supplémentaires, telles ces zones qui font furieusement penser à Envy ici et là, et même des coucous adressés à un hardcore chaotique et dissonant que peuvent pratiquer des Converge ou des Botch, sur le début de "Letargo" notamment (et pour l'inclusion de ce genre de phases dans un écrin screamo, on renverra de suite au dernier très réussi album de Dreamwell).

Et dans tout ça, les voir récemment défendre ce nouvel album en concert m'a globalement confirmé ce que je ressentais à l'écoute des enregistrements : j'aime énormément, mais j'y trouve, pour chipoter, essentiellement des problèmes sur certaines transitions. Ce qui est toujours compliqué à gérer lorsque l'on pose autant de sections différentes dans un album et dans chaque morceau.

Sur les déviations stylistiques opérées, chacun et chacune se fera son idée, ce n'est pas à moi de me prononcer. Il m'a fallu plus de temps que pour les précédents pour l'apprécier pleinement, mais je trouve aujourd'hui, malgré ces petites réserves exprimées, qu'il s'agit d'un excellent album.

 

Ajoutons que tous les membres de Tenue sont très largement ancrés dans une démarche et le milieu anarchiste DIY à tous les niveaux, à la fois pour leur groupe, la scène dans laquelle ils évoluent et le développement d'initiatives politiques et sociales locales dans un pur esprit libertaire.

« La scène Emo-Crust Ibérique continue à perpétuer le souvenir des « pionniers » et les idées noires révolutionnaires qu’ils transposaient en riffs. Des riffs qui malgré le désespoir qu’ils traduisent, s’écouteront toujours le poing fermé » écrivait encore Freaks. Là encore, on ne peut lui donner tort.

 

Au final, si les cinq morceaux composant l'album sont 'anormalement' longs pour le style pratiqué (si on omet l'école Fall Of Efrafa / Morrow et compagnie), il convient de voir Arcos, bóvedas, pórticos comme une longue plage unique (à l'instar de Territorios) divisée en cinq parties d'une progression marquée par des changements parfois radicaux, dans une architecture donc proche de ce qu'on peut trouver chez Comity, mais dont l'influence est très nettement trempée dans un bassin proche de l'Imperivm de Ictus.

 

Bref, ce groupe, monté au départ à deux à l'arrache pour pouvoir faire la première partie cohérente d'un groupe screamo, propose désormais un fond varié et ne tenant pas en place, rebondissant entre toutes les cases où on voudrait l'enfermer : Arcos, bóvedas, pórticos est pensé pour être écouté de bout en bout, avec ses riffs changeants en permanence qui en font pourtant tout sauf une une ligne droite, plutôt un objet courbé sur lui-même, où chaque instant voit les autres en amont et en aval, et la fin renvoyant au début, pour un nouveau cycle.

 

A écouter car rien n'a changé mais tout commence.

photo de Pingouins
le 02/10/2024

2 COMMENTAIRES

Tookie

Tookie le 02/10/2024 à 11:08:51

<3

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 11/10/2024 à 15:56:39

Des morceaux de crust de plus de 1:30 min on peut appeler ça du prog. J'aurais presque dû l'accoler à ma chro de Nails tiens...

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