Wovenhand - Silver Sash

Chronique CD album (32:37)

chronique Wovenhand - Silver Sash

Débarrassons-nous d’emblée de l’unique et seul défaut de Silver Sash : le nouvel album de Wovenhand s’avère criminellement, scandaleusement et cruellement trop court. Pour le reste, nous jouissons là d’un pur chef d’oeuvre. Merci, bonsoir. Nous pourrions couper court et nous en tenir à cette sentence ultime et péremptoire qui ne saurait souffrir aucune contestation, au risque de déclencher l’invasion de la Pologne et autant de frappes préventives sur Montgeron, mais il convient de pointer ses qualités intrinsèques, celles qui compensent sa durée frustrante par l’irrépressible envie et l’impérieux besoin d’en inscrire l’écoute dans une farandole de cycles aussi infinis que ceux de la vie elle-même. Jusqu’à dissolution totale de l’âme dans les affres de la plénitude.   

 

A l’instar de Puscifer qui posait sur l’état du monde un regard drapé de l’élégance du cynisme avec Existential Reckoning (2020), de son jumeau dépressif, Author & Punisher avec son Krüller (2022) résonant des questions sans réponses qui renvoient à l’absurdité des décisions menant à la perte du genre humain, ou encore de Godspeed You Black Emperor qui livrait avec G-d's Pee at State’s end ! (2021) sa participation à la composition de la BO de l’Apocalypse, Wovenhand apporte sa pierre angulaire, celle qu’on pose sur la trame sacrée des runes pour se souvenir de la sombre période pendant laquelle le monde aura barboté dans un marasme universel dont il sortira meurtri, chaque nouvelle année, aussi rugissante soit-elle, se dressant comme l’ombre de la précédente et comme la menace de la suivante.   

 

Ce n’est pas un hasard si cet album plein d’un poison salutaire (de cette variété qui transfigure votre capacité à affronter les vicissitudes de la vie en investissant votre système immunitaire, pour peu que vous sortiez indemne de l’épreuve) a connu son mixage pendant la pandémie, après 4 années de douloureuse gestation et 6 ans de silence depuis la précédente sortie de la bande à David Eugene Edwards. La figure de proue de feu 16Horsepower a cette fois-ci uni ses forces à celles de Chuck French, guitariste du groupe de post-hardcore Planes Mistaken for Stars. Le résultat : un album qui prend à la gorge, s’immisce par les pores et envahit l’être.   

 

Entre americana musclé qui tutoie des ciels striés d’éclairs furieux (Duat hawk, 8 of 9) et rock tantrique, exalté par un savant mélange de spiritualité contrite et de grondements tapis dans les entrailles du cœur (Acacia, Dead dead beat, Omaha, Sicagnu), l’album alterne titres amples qui ploient cependant sous le faix des douleurs indicibles tout en progressant avec la désinvolture d’un dandysme décadent, et morceaux de bravoure au rythme aussi effréné que les convulsions de corps en transe. Mais quel que soit le tempo adopté par chacun des titres, c’est la même fièvre qui les traverse de long en large. Dès l’ouverture de l’album, on saisit le génie de composition et les subtilités des arrangements. Tempel Timber se montre lourd, voire pachydermique, mais dans son écrasante chaleur, il avance malgré tout, avec la force du désespoir. Le chant habité et envoûtant de David Eugene Edwards semble s’adresser aux quatre vents, aux éléments et au cosmos tout entier, tel un prêche de la fin des temps. Ce qui frappe également, au milieu de la distorsion des schémas bluesy, c’est l’introduction d’éléments electro, de drone menaçant et d’expérimentations industrielles qui entament une danse de sabbat avec des partitions acoustiques dispensées par le banjo, comme sur 8 of 9 et ses martèlements lancinants comme autant de pas éreintés, imprimés dans la fange, ou sur The Lash dont les accords de guitare déchirent les nappes synthétiques. A ce sujet, la chanson qui clôt l’album (Silver Sash) représente le reflet de celle qui l’ouvre (Tempel Timber), mais dans une version plus nerveuse où la fusion entre machines et instruments conventionnels trouve son point d’équilibre. A vous en foutre la chiale.  

 

Telle une main divine et omnisciente qui porte en elle le poids d’une malédiction et la providence de la résilience, dans un même mouvement, l'album caresse et frappe. Il empoigne et manie la lame qui tranche, éventre, fracasse, éviscère, décapite, empale. Il nourrit l’imagination, bâtit des édifices monumentaux et fragiles sur de vastes plaines sauvages et tourmentées et soigne les cicatrices de cendres, mais il punit sans trembler et noie dans des lacs de sang impur les infidèles, les mécréants, les gueux, les coupe-jarrets et les analphabètes au sabir barbare. Il se glisse dans le velours et se gante de fer. Il étend son ombre la nuit et brandit ses étendards au grand jour. Sans répit. Finalement, il imprime sa marque et laisse son empreinte, dans l'esprit, la chair, les mémoires et les âges. En nous rappelant que ceux qui ont souffert sont les plus dangereux car ils savent qu’ils peuvent survivre.

 

photo de Moland Fengkov
le 12/02/2022

7 COMMENTAIRES

Tookie

Tookie le 12/02/2022 à 08:39:30

C'est évidemment un grand "OUI".

el gep

el gep le 13/02/2022 à 13:22:55

J'accrochais moins à leur virage plus rock, plus costaud, notamment le précédent qui me laissait un peu tiède, un peu comme King Dude fait chez moi, quoi, en moins agaçant ceci dit (beaucoup moins de poseries Gotho gênantes).
Mais faudra que je l'essaie, çui-ci!

Eric D-Toorop

Eric D-Toorop le 13/02/2022 à 14:05:33

La même semaine, 2 albums qui vont truster le haut de notre Top 22, trop fort le rédac chef :)

Pingouins

Pingouins le 13/02/2022 à 17:49:52

C'est marrant je trouve qu'il y a un vague côté Type O Negative dans la façon dont la voix est modelée, et d'autres fois presque post-punk. Duat Hawk est vraiment chouette.

Moland

Moland le 14/02/2022 à 17:32:28

Je déteste Type O Negative. Je vois pas trop le lien. A part ça, cet album est dans mon top2 2022, pour le moment. 

Seisachtheion

Seisachtheion le 15/02/2022 à 20:52:26

Déjà 50 chros publiées Moland !
Congrats !

Moland

Moland le 16/02/2022 à 16:11:44

Merci camarade ! 

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