Mordred - Interview du 01/07/2020

Mordred (interview)
 

L’interview en question se tient pile-poil entre le café de fin de matinée et le déjeuner de Danny. Je commence par lui dire que je n’ai pu voir que le début du show en ligne donné par le groupe le samedi précédent notre entretien (i.e. le 27 juin) parce que celui-ci s’est déroulé relativement tard (il a dû se terminer vers 2h de ce côté-ci de l’Atlantique), mais que j’ai pu en voir la rediffusion depuis leur site. Il m'explique alors que pour la prochaine fois le groupe réfléchit à donner deux shows successifs, afin de permettre à leur deux plus grands publics – l’américain et l’européen – d’y assister sans forcément avoir à jouer les oiseaux de nuit. Ils pensent en faire un premier vers midi (heure de Californie) – ce qui correspondrait à 21h00 en France – et un 2e à 19:00, pour les « locaux » :

 

Très bonne initiative pour les fans, mais ça risque d’être un peu crevant pour vous !

Non. Nous on ne fait que jouer et s’amuser ! Ce n’est pas si dur, pas comme un boulot. Disons que c’est un boulot amusant (Rires)

 

Je profite alors de l’évocation des fans européens pour glisser que, si je n’ai qu’une grosse poignée de vinyles chez moi, l’un d’entre eux n’est autre que In This Life, acheté chez le disquaire le plus proche de mon lycée d’alors :

 

Au lycée vraiment ? C’est vrai que le groupe a déjà une longue histoire derrière lui ! Au cours de ces six/sept dernières années on a eu l’occasion de s’apercevoir que quelques personnes, ici et là, nous ont gardés dans un coin de leur tête ou de leur cœur. Et c’est vraiment quelque-chose qui compte pour nous !

 

Je lui explique enfin que je me suis débrouillé pour mettre la main sur The Dark Parade, l’album qui succédera à l’EP Volition, et que j’aurai donc quelques questions à son propos. De fil en aiguille nous en venons à discuter de la date de sortie de celui-ci :

 

Nous ne sommes pas encore vraiment sûrs de quand on va pouvoir le sortir. A vrai dire des labels se sont montrés intéressés, ce qui aura évidemment un impact sur le calendrier. Donc pour l’instant, tant que les négociations n’auront pas abouti, rien n’est sûr. Mais en même temps on n’a pas envie d’attendre : ça ne devrait donc pas prendre trop de temps. Idéalement on aimerait que l’album sorte au tout début de l’automne…

 

Nous en arrivons à évoquer la longue pause que le groupe a faite entre la sortie de The Next Room (en 1994) et leur retour récent. Il fait alors le tour des activités que les uns et les autres ont eues pendant cette période, avant de s’étendre plus durablement sur son propre parcours :

 

A cette époque j’ai eu envie de reprendre mes études, d’être diplômé, pour finalement mener une vie plus stable. Initialement je m’étais mis en tête d’essayer de faire du design graphique, et puis finalement je m’en suis retourné vers la musique. Parce qu’avec l’expérience que j’avais déjà accumulée en la matière, j’aurais plus de chance d’arriver vite à quelque-chose de concret qu’en repartant de zéro. Mon idée c’était de devenir ingénieur du son. Et c’est effectivement ce que j’ai fini par faire. J’ai commencé par deux ans au Cleveland Community College, puis j’ai continué au Berklee College of Music à Boston…

Une école drôlement réputée !

En effet. Quincy Jones y est passé, ainsi que nombre de grands musiciens. C’est vrai qu’elle coûte incroyablement cher. Mais tu peux t’y faire un maximum de contacts. Et tu as la possibilité de jouer toute la journée avec un tas de musiciens. En fait tu manges et tu chies musique quand tu es là-bas. J’ai donc fini par avoir mon diplôme d’ingénieur en « production de musique contemporaine » et ai dégoté un boulot à New York dans une boîte spécialisée dans le design musical, au sein duquel je suis resté 5-6 ans. Mon gagne-pain consistait à faire l’habillage sonore et musical de spots pour des chaînes comme VH1 ou MTV. J’ai bossé avec des gens vraiment talentueux, souvent main dans la main avec le producteur. On s’enfermait toute la journée dans une pièce, on commandait à manger, et on créait non-stop. Parfois cela pouvait être moins rose, et je n’étais alors plus que l’exécutant qui pousse des boutons. Mais l’un dans l’autre ça a été vraiment une expérience cool.

 

Mais l'envie de jouer à nouveau avec le groupe s'est avérée être trop forte. Ce qui est d'autant plus compréhensible que Mordred n'est pas tout à fait un groupe comme les autres :

 

Cela doit te rendre extrêmement fier que Mordred fasse partie de ces rares groupes qui ont réussi à créer leur propre son, leur propre personnalité musicale, et à ouvrir de nouvelles voies artistiques. En fait il est impossible d’entendre du scratch sur des grosses guitares sans immédiatement penser à vous. Cela fait de vous une référence incontournable. Ça doit faire quelque-chose d’atteindre ce statut quand on est musicien ?

Effectivement. Se dire que ce que l’on a créé dans son coin a au final réussi à influencer d’autres formations, c’est assez génial !

 

Le chapitre historique de cet entretien touchant à sa fin, nous nous sommes ensuite penchés plus particulièrement sur les sorties à venir, en commençant par l’EP :

 

Un petit mot à propos de l’artwork de Volition: en dehors du fait qu’il accroche particulièrement l’œil et qu’il illustre parfaitement le propos d’un titre comme « Not For You », on peut y voir la volonté de signifier que l’EP fait la synthèse de toute votre discographie en allant de Fool’s Game (cf. le masque) jusqu’à The Next Room (cf. le costume, qui peut rappeler celui du danseur). Est-ce que cela faisait vraiment parti des instructions données à l’artiste ?

Non, ce n’était pas forcément l’idée, mais j’aime ton interprétation. C’est Andy Pilkington lui-même – l’artiste, donc – qui a proposé cette pochette. On en a évidemment parlé ensemble. On voulait par exemple qu’y figurent le bouffon, le masque... On tenait à ce concept d’un Mr Loyal qui renforce l’idée que l’on vit dans un grand cirque. Et à ce blason, dans le fond – qui est un peu le blason de Mordred. Et ce qu’Andy a réalisé à partir de ces quelques idées éparses nous a bluffés. On a immédiatement adoré.

Il y a de quoi ! Cet EP, vous l’avez initialement proposé soit au format digital, soit au format vinyle. Ce n’est que plus tard qu’a été proposée la possibilité de l’acquérir en CD. Cela montre un attachement particulier du groupe pour ce support de niche : es-tu toi-même un « vinyle freak » ?

A vrai dire nous sommes tout d’abord partis uniquement sur une version digitale. Et la raison en était simple : le COVID 19. Il nous a empêchés de pouvoir disposer d'une version physique dans les délais que nous espérions. Les versions CD et vinyle devraient néanmoins être disponibles début août, avec un système de précommandes qui permet d’ores et déjà de les réserver. Mais effectivement, le vinyle reste un format important pour nous. On en a déjà sorti plusieurs par le passé, un vert de mémoire, ainsi que certains dans d’autres couleurs. Et il se trouve qu’on voulait faire quelque-chose de spécial pour cet EP du retour. Celui-ci sera donc disponible sous forme d’un vinyle principalement noir et argent, plus des ajouts reprenant les couleurs de la pochette.

 

Point que Danny n'a pas forcément réalisé: son agenda colle à celui d’un autre artiste connu...

 

Un fait que je n’ai réalisé que récemment, c’est que « The Baroness » est sorti la même année que le grand retour de Faith No More avec Sol Invictus. Et que Volition est à présent disponible peu de temps après que Mr Bungle se soit reformé. On pourrait y voir un signe… L’invitation à contacter Mike Patton pour mettre en place une tournée commune par exemple !

(Rires) Pourquoi pas ! Malheureusement ce genre de projet est particulièrement difficile à mettre en place en cette période de pandémie. Et par ailleurs, les membres du groupe ont chacun des boulots, des familles… Donc les paramètres à prendre en compte sont nombreux. Evidemment, si une telle opportunité se présentait, on ferait notre maximum pour la saisir. Mais notre démarche actuelle est plutôt d’y aller étape par étape...

... la prochaine consistant a priori à trouver un label pour sortir l’album, c’est ça ?

En effet, il faut que l’on évalue sérieusement les propositions qui nous sont faites. Mais il est certain que l’on a envie de tourner à nouveau l’année prochaine. En sachant que comme toutes les tournées ont été repoussées pour l’ensemble des artistes, il va y avoir de la concurrence sur la route ! Il nous faut prendre ça aussi en compte... Mais on va trouver un moyen de tourner, je te le dis. On réfléchira à comment mettre ça en place durant les mois qui viennent.

 

Bien que le sujet soit un peu prématuré pour le moment, nous commençons à parler dans le détail du nouvel album :

 

L’album s'ouvre sur « Demonic #7 », un morceau qui renvoie à l’époque du tube « Falling Away » : démarrant sur une mélodie épique qui aurait pu sans mal être agrémentée d’un bruit de sirène, celui-ci embraye assez vite sur une alternance houleuse de scratches et de riffs Thrash saccadés avant que Scott ne chante « And we all fall down from here ». Les vieux fans ne pouvaient espérer un accueil plus chaleureux ! Personnellement ça m’a fait instantanément perdre trente ans !

(Rires) Pour autant le parallèle que tu soulignes avec « Falling Away » n’est pas intentionnel. C’est juste que ce titre est particulièrement caractéristique de notre personnalité, en tant qu’êtres humains et en tant que musiciens. Je pense que d’autres passages de l’album sont également susceptibles de réveiller ce genre de vieux souvenirs. On est vraiment dans la continuité de ce que l’on faisait auparavant, tout simplement parce que cette musique, c’est nous, c’est Mordred !

 

Ce nouvel album continue de proposer des mélanges stylistiques intéressants, notamment le morceau-titre, basé sur une rythmique typique des musiques de carnaval :  

 

Je me rappelle avoir lu qu’à l’époque où tu as composé cet album, tu écoutais beaucoup de Jazz de la Nouvelle-Orléans…

Exactement, oui. Et la rythmique qu’on évoquait est justement très courante dans ce genre de musique. Forcément, ayant été beaucoup exposé à ce genre de sonorités, cela m’a conduit assez naturellement à ajouter tous ces cuivres, et à écrire les paroles sur ce sombre défilé qui – évidemment – se réfère à la vie politique américaine.

 

La discussion glisse ensuite à nouveau vers les shows en ligne évoqués une heure plus tôt :

 

Vous avez déjà donné deux shows en ligne à l’heure actuelle, et un troisième est en préparation. Comment vivez-vous ce nouveau mode d’« expression live » ? N’est-ce pas trop frustrant de jouer devant personne d’autre que des caméras – ou devant un public très restreint ?

C’est vrai que cela faisait un sacré bail que l’on n’avait pas entendu un tel silence après la dernière note de nos morceaux : il n’y avait pas un bruit, pas un cri, pas un applaudissement (Rires) Bon il y avait bien deux-trois « Whou-hou ! » lancés par les techniciens, mais c’est tout. Mais il faut arriver à s’y habituer, comme le font ces personnes que tu vois à la télé, dans les émissions desquelles il n’y a pas de véritable public. Trevor Noah se débrouille vraiment bien dans ce type de conditions : son rythme lui permet d’enchaîner les punchlines et de passer à autre chose sans que l’absence d’un vrai public se fasse sentir. Pour d’autres par contre, quand ils ont fini de faire leur truc, ça s’arrête et il n’y a plus qu’un grand vide. Ça en est presque gênant parfois (Rires).

Pour réussir à jouer en faisant abstraction de ce vide, avez-vous eu besoin de recourir à des « substances stimulantes » ? 

Non. J’avoue que je ne suis pas capable de jouer si je plane, ou si j’ai abusé de ce genre de choses. Je me connais : si j’ai bu un coup ou deux, pas de problème, mais il ne faut pas que ça aille plus loin. Pour autant là je ne parle que de moi, je ne suis pas forcément représentatif de tout le groupe sur ce genre de sujets…

Haha, OK, on ne demandera pas de noms ! Le show que j’ai vu comportait des sketches, de fausses publicités, une séance d’effeuillage, une interview… C’était bien plus que le concert que l’on va voir entre potes dans le club de sa ville ! Qui a eu toutes ces idées ?

Quatre-vingt-dix pour cent de tout ça a été pensé par Scott et Jeff. Ils ont pris en main l’organisation et la réalisation des shows, ont tourné beaucoup des vidéos que tu as vues, tout ça main dans la main avec quelqu’un qui bosse pas mal avec le groupe : Christian Powell – il est d’ailleurs crédité sur l’EP tout comme sur l’album à venir. Il joue de la guitare, il sait tenir une caméra : il a été d’une grande aide aussi bien d’un point de vue créatif que d’un point de vue technique ! Comme de mon côté je suis plus concentré sur l’écriture et l’enregistrement des titres, ainsi que sur les tractations avec les maisons de disques, on peut dire qu’on se partage efficacement le boulot entre les différents membres du groupe.

Après avoir contribué à faire se développer le metal dans de nouvelles directions musicalement parlant, vous allez peut-être faire de même au niveau de l’aspect live, via l’inclusion de tous ces éléments inhabituels mais qui rendent l’expérience vraiment intéressantes

Ecoute, on verra bien où tout cela nous mène. L’une des constantes quand on essaie des choses nouvelles, c’est que ça met souvent du temps avant de vraiment décoller. On ne sait jamais… La première question que je me pose, c'est comment cela se serait-il passé si l’on était resté ensemble après The Next Room. Et à présent, on peut en effet également se demander ce que donneront sur le long terme ces show en ligne. Pour le moment on fait ça pour le fun, mais on s’améliore petit à petit : le show de samedi dernier était meilleur que notre tout premier. Pour les fois prochaines on compte aller plus loin en invitant des groupes plus récents, histoire d’avoir du sang frais et de mettre le projecteur sur de nouveaux talents. Le tout en faisant bien attention à ce qu’on se fasse plaisir avant tout !

photo de Cglaume
le 30/09/2020

3 COMMENTAIRES

Eric D-Toorop

Eric D-Toorop le 02/10/2020 à 11:59:39

Chouette interview, ça doit être un bon gaillard.

cglaume

cglaume le 02/10/2020 à 18:06:26

Il est très sympa oui (il m'a accordé une grosse heure !)

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 02/10/2020 à 22:59:36

Oldschool !

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements

  • Bongzilla + Tortuga + Godsleep à Paris, Glazart le 14 mai 2024
  • Devil's DAY #2 à Barsac (33) les 18 et 19 mai 2024
  • Seisach' metal night #5 et les 20 ans de COREandCO !
  • Seisach' metal night #5 et les 20 ans de COREandCO !