Impure Wilhelmina - Radiation
Chronique CD album (56:00)

- Style
Pur-Impure - Label(s)
Season of mist - Sortie
2017 - écouter via bandcamp
"Est-ce que j'ai bien éteint le gaz ? Ha bah j'suis con, j'suis tout à l'électricité."
"Qu'est-ce que ça fait un trou dans un trou ? Hum, alors ça, j'sais pas trop à qui le demander..."
Le long trajet séparant mon domicile de mon lieu de travail offre la possibilité de se poser tout un tas de questions existentielles. Il m'arrive aussi d'avoir des interrogations vraiment pertinentes.
La dernière en date étant :
Peut-on apprendre à aimer l'art ?
Doit-on apprendre pour aimer l’art ?
La tentation d'évacuer ce problème par une réponse franche, directe, négative ou affirmative est naturelle, mais, comme toujours lorsqu'il est question d'art, la nuance est de mise.
Sans reprendre le modèle d'argumentation scolaire "thèse / antithèse / synthèse", on peut entamer une petite réflexion en nous penchant sur une oeuvre : le faire sur un album d'Impure Wilhelmina simplifie même presque le travail.
S'attaquer à la musique des suisses, c'est s'intéresser à une oeuvre riche en émotions. Or, l'émotion est ce qu'il y a de plus immédiat, de plus direct et de plus sincère dans le rapport à l'art. On peut ainsi être choqué, amusé...ou touché voire carrément ému.
Dans ce dernier domaine, Impure Wilhelmina est depuis bien longtemps passé maître. Autrefois, en alternant le crié avec une voix plus posée, le chant a toujours été un vecteur d'émotions. Partiellement sur "Black honey" puis totalement sur ce "Radiation", le chant s'est éclairci.
On sent un besoin et un plaisir à chanter, à travailler la mélodie sans la rugosité du cri. Le résultat est ici particulièrement réussi dans la mesure où la mise en place des lignes de chant rappelle celle des albums précédents...non sans en y apportant une nouvelle musicalité.
Le plus marquant reste sans doute le ton solennel de certaines phrases ("By ravens and flies") et la grande application avec laquelle chaque mot est choisi puis posé.
Mais il est impossible d'ignorer le travail des musiciens. Là encore, en regardant la carrière d'Impure Wilhelmina, on peut se rendre compte qu'émouvoir est une constante qui n'a connu aucune faiblesse malgré 6 albums.
Si l'on part du principe que la création d'un artiste est le résultat de son point de vue et de sa sensibilité, on ne peut "apprendre" à aimer ce que balance l'artiste. On ne peut prévoir ce que l'artiste va faire à l'avance. C'est le cas avec I.W dans la mesure où la bande ne s'auto-parodie jamais, mais évolue toujours sans jamais opérer de révolution radicale.
C'est pour cela qu'on retrouve quelques gimmicks qui ont déjà faits leurs preuves, sans pour autant songer que les guitares manquent d'inspiration.
Même si I.W délaisse le côté hurlant et violemment déchirant de sa musique, demeure toujours une charge émotive puissante. Une tension semble s'accumuler pendant 45 minutes pour être relâchée plus brutalement sur "Murderers". Ce que provoque cette piste, la plus "rentre-dedans" de l'album, ne naît en rien d'une éducation à l'art : il y a quelque chose qui sort des tripes aussi bien lorsque les cordes vocales du chanteur prennent cher, que lorsque le batteur s'arrache ou que le guitariste gratte plus vite et plus fort.
Cette approche quasi-contemplative d'une oeuvre suit la pensée de Schopenhauer qui considère que nous sommes tous capables d'avoir une émotion suscitée par une création. Pour ce disque, des novices d'Impure Wilhelmina (ou du rock en général) peuvent ressentir aisément toute la tristesse et la vision sombre des suisses dans l'interprétation. Il est inutile de comprendre les mots, inutile même d'avoir une culture musicale importante : tout est dans le ton, dans l'ambiance, bref, dans sa globalité. "Radiation" est beau, mais il est aussi très triste, et ça, on le comprend dès le morceau d'ouverture aussi grave que touchant.
Pourtant, affirmer que "Radiation" ne s'apprécie que de manière "primaire" reviendrait à passer à côté de tout un univers et de tout un historique qui comptent dans la construction de ce disque. Une appréciation qui ne peut être que le résultat d'une éducation musicale et d'une appréhension avertie de l'art musical et ses techniques.
Alors oui, il est possible d'être naturellement touché par cet album, mais placer la démarche du groupe dans son histoire lui offre une toute autre dimension. Encore faut-il se sentir familier avec le genre...
Plus dur que du rock, trop mélodique pour du hardcore, trop évolué pour se limiter à un qualificatif, I.W. est une entité qui navigue entre plusieurs univers musicaux. Cette complexité exige donc une oreille avertie, habituée à plusieurs genres et leurs mélanges. Il faut aimer se perdre dans les méandres des compositions du groupe qui durent en moyenne 5 bonnes minutes pour y déceler des influences assez diverses.
Le travail harmonique des guitares cherche à créer une forme de malaise, sans qu'il ne soit jamais question de violence comme sur "Child" alors que la piste "Torn" gonfle l'intensité avec un passage emprunté au (black-)metal avec un classique mais efficace passage marqué par un gros blast (une démarche comparable à celle d'"Uncomfortable life" sur "Black honey"). Un choix finalement peu surprenant lorsqu'on connaît Vuyvr, le projet black du chanteur...
La rencontre avec ce type de musique (en général) est souvent quelque peu...abrupt pour des novices. Pourtant, derrière ce mur sonore se cache aussi de nombreux moments de finesse. On découvre ainsi grâce à une production éclairée (et bien plus légère que sur les précédents albums) et quelques artifices bien pensés, le travail ciselé de chacun des membres.
Par exemple, pour le chant, la finesse s'exprime par la superposition de deux voix, le choix des mots (deux passages dans la langue de Molière raviront les francophones dans les dernières pistes) bien pesés donnent un peu plus de "corps" et de poids aux compos.
Il est courant que les articles musicaux utilisent des comparaisons avec l'art culinaire...et ce n'est pas un hasard ! David Hume, au XVIIIème siècle, se servait déjà des plaisirs gustatifs pour parler de notre rapport à l'esthétisme. Selon cet inspirateur de Kant, nous sommes tous capables de trouver quelque chose de beau et de réussi. Mais, au même titre qu'un plat raffiné ou qu'un vin d'un grand château, il nous faut une certaine éducation et des connaissances pour profiter pleinement de toutes ses nuances.
Grossièrement, on peut donc dire que ce n'est pas en écoutant Katy Perry ou Pantera que l'on sera capable d'apprécier complètement "Radiation" (bien que l'un n'empêche pas l'autre).
Dans une interview de Juin 2017 sur ce même webzine, Mario (batterie), en abordant la question du chant mélodique, disait qu'il s'agissait d'une évolution logique. À vrai dire, TOUT l'album se fait dans la continuité de "Black honey". Moins de 30 mois séparent les sorties des deux disques et le line-up n'a connu aucun changement depuis la précédente tournée. Ce disque (comme beaucoup d'autres) est le résultat d'un ensemble : de vieux morceaux joués en live, digérés par des musiciens qui ne les ont pas nécessairement composés, de sessions studio et de répétitions, d'une envie de changer, d'expérimentations personnelles et d'écoutes extérieures.
"Techniquement", sur des points purement objectifs (et encore) comme le son, cet album est une réussite. Le mix et le mastering sont parfaits, l'écoute se fait très confortablement et correspond parfaitement à l'ambiance de ce disque.
Le son met aussi en relief un travail de l'ombre : celui d'une base rythmique dont le travail résonne clairement (particulièrement sur les coups de batterie délivrés avec une certaine intensité).
On retrouve sur ce disque tous les éléments qui font d'I.W...un groupe précis qui exige également une certaine habitude à l'écoute, car, encore une fois, nous sommes loin d'un album bâclé et écrit par des musiciens qui ne se sentent pas concernés.
Seules des oreilles exercées, rompues "à l'exercice du genre" décèleront l'ensemble le travail minutieux et attentif des suisses.
En cela que "Radiation" est aussi le parfait exemple de l'oeuvre qui exige une certaine "éducation", un entraînement, pour en apprécier tous les détails.
Il faut donc être réceptif aux émotions que transmettent les musiciens, mais également être sensible au travail technique, à l'histoire et à la lente évolution d'Impure Wilhelmina pour profiter pleinement de cet album. Mais, au-delà de cette conjonction demeure un point très important qui dépasse la sensibilité et l'éducation : il faut savoir offrir et laisser du temps.
Avec I.W, les premières écoutes sont rarement les bonnes : il faut du temps pour décanter, il faut du temps pour s'imprégner du son et des mots. Il faut aussi se remémorer les albums précédents, pour mieux vérifier le fossé qui se creuse petit à petit entre "Prayers and arsons" et ce disque. Le temps permet aussi de voir tout le travail de ses auteurs.
"Radiation" est une oeuvre complète, parce qu'elle est précise, travaillée, tout en demeurant sincère.
Le genre d'album qui, au-delà d'un éventuel effort d'éducation à l'art mérite surtout de la curiosité.
10 COMMENTAIRES
pidji le 26/06/2017 à 14:30:16
il n'y a que toi qui peut en parler aussi bien :D
Tookie le 26/06/2017 à 16:38:43
Merci, mais si quelqu'un peut me dire ce que ça fait un trou dans un trou, je suis curieux d'avoir vos réponses...
cglaume le 26/06/2017 à 19:08:37
Ça fait un candidat En Marche (bah quoi... ?).
Moins politique: un puits dans un bled?
Maldoror le 27/06/2017 à 11:05:08
Une pute en Lozère!
Sinon balèze la mise en exergue de Hume et Katy Perry
daminoux le 27/06/2017 à 13:06:01
une kronic qui donne vraiment envie de plonger dans cette album...... viviement qu'il arrive....
Xuaterc le 27/06/2017 à 17:17:47
Deux trous dans un trou, ça je sais...
Crom-Cruach le 28/06/2017 à 14:15:44
Ta chro m'a convaincu d'apprécier le groupe.... NAON. :)
Freaks le 21/10/2017 à 11:16:32
Quelques réserves et pas mal d'aprioris, vite terrassés en Live... Grosse presta des Suisses hier.. Des comme ça c'est quand tu veux Daminoux..
Des chroniques comme ça aussi ;)
daminoux le 23/10/2017 à 16:48:00
on remets la semaine prochaine....
Freaks le 23/10/2017 à 19:55:08
A que ouai ;)
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