Fátima - Eerie

Chronique CD album (41:43)

chronique Fátima - Eerie

Bienvenue au mois de septembre, mois maudit, celui des marronniers qui s’épanchent sur les trottoirs, celui des rentrées où l’on enterre l’été à gros coup de cartables, celui des retrouvailles tristounettes du quotidien pluvieux et morveux en lieu et place de celui estival, chaleureux et heureux. Un mois où la nostalgie se mêle à la bougonnerie et vient lui titiller les roustons. Et quoi de mieux pour une telle ambiance qu’un bon album de Fátima ? Et ça tombe à merveille car les trois amis ont sorti la bande son automnale de cette année 2024 avec Eerie, 40 minutes bien pesées de leur mélange de (post-?) grunge, de doom aérien, de sludge delayé dans des ambiances orientales et suaves mais aux arrêtes bien écorchées.

 

Je m’étais juré, pour cette chronique, que je n’allais pas utiliser le « N-Word ». Faut dire que ça se fait plus trop, que ça en faire fuir quelques uns, que ça fait mauvais genre, passéiste. Mais tant pis, de toute façon, même le groupe n’hésite pas à l’utiliser dans son dossier de presse. Oui, Fátima n’a pas perdu sa proximité ténue avec Nirvana. Mais ceux qui s’arrêteraient (encore) à cette seule mais toujours prégnante influence dans la musique du trio français risqueraient (encore) grandement de passer à côté d’un des groupes les plus intéressants de la scène actuelle. Car Fátima continue de gagner au fil de sa discographie, et cet album en est un des exemples les plus réussis, en maturité et en qualité dans son grunge très personnel et augmenté de bien des facettes musicales.

Maturité qui transparaît de la construction des morceaux et de l’approche sonore. Les structures sont élaborées, sautant depuis depuis précipices électriques et venteux dans des vides aériens aux issues plus boueuses. Les mélodies sont palpables, organiques, épicées ça ou là de ces quelques toujours accents orientaux subtiles qui donnent à l’ensemble un petit côté « Grunge du Sahara » bienvenu.

La guitare les assure, quasiment en lay-back, alors que la basse plus imposante assurent les rythmiques toute gonflée de distortion, la complémentarité est idéale, sine qua none. S’y ajoute une batterie dont les finesses d’écriture se révèle au fil des écoutes, un peu écrasée qu’elles sont aux premières écoutes par l’efficacité lourde de la prestation; elle est l’argument musical sans concession d’un groupe qui brandit fièrement son fanion doom/sludge au milieu des décibels énergiques de sa base grunge.

Car les riffs sont simples mais magnifiés par une recherche sonore qui fait la part belle aux pedalboards généreux pour varier le propos mais sans non plus se perdre dans des expérimentations de claquettes : l’émotivité prime mais l’efficacité compte.

Maturité aussi dans la prestation vocale. Alors, oui, on sait, on l’a dit, et c’est ainsi : la tessiture rappellera peut-être le joli blondinet de Seattle mais Antoine a une approche beaucoup plus travaillée, recherchée, variée et intelligible, de quoi vite oublier le sale rejeton d’Aberdeen. Une voix qui se distingue aussi par son humilité aussi poignante qu’électrique, à sa timidité rageuse, une voix qui a le pouvoir d’insuffler une énergie émotionnelle vibrante à chacun des titres, elle est un talentueux fil rouge entre les instrumentations fuzzy et les ambiances planantes.

L’approche est donc moins punk mais ne manque aucunement d’énergie. "Portuguese Man O’War" et surtout le superbe "Ceremonies" finiront de vous en convaincre.

 

L’album a un côté très brut, très one-shot, qui fonctionne vraiment bien avec la musique mais le mixage est plutôt d’antan que dantesque. Certaines choses fonctionnent, d’autres sont plus frustrantes. Cette basse parfois un peu trop clingy à mon goût ("Mosul Orb", la dernière partie de "Cyclops Cave"), le son des guitares parfait (le clean de "Three Eyed Enoch" est une dinguerie), la batterie un peu trop roomy à l’occasion et ces voix, superbes mais qu’un peu plus de post-prod aurait pu encore plus sublimer. Du 50/50 donc ? Non, car si tout n’est pas parfait, le tout l’est. On est sur un groupe qui ne triche pas, qui ne se cache derrière aucun artefact facilitant et livre un produit brut, sincère dans lequel on devine toute la présence physique du groupe.

 

Côté études de textes, je n’ai pas fait mes devoirs mais je crois que le Miracle du soleil y est abordé et comme quoi, ça aurait un rapport avec des extra terrestres d’où la pochette de l’album. D’ailleurs, à une époque où on peut faire des visuels pour rien du tout (et qui ne valent pas grand-chose) avec l’IA, les trois compères se sont casser la tirelire à faire ça à l’ancienne et si le sujet ne sera pas au goût de tous, on ne peut que saluer le rendu qui a quand même sacrément de la gueule. Je mets là quelques photos de l’envers du décor :

fatima making off

 

 

Eerie est un album superbe d'un bout à l'autre dont la sincérité entière réussit à entraîner le grunge originel vers des sphères de plus en plus progressives, ambiantes nourries de doom, de sludge et s’articulant autour d’une magnifique fibre émotive. Il devrait rejoindre la discographie des amateurs d'excellente musique électrique aussi vite qu'il a rejoint mon top 10 de l'année.

 

 

On aime bien : une musique riche, sincère, à la fibre brute, pleine de belles émotions, les voix..

On aime moins : rien, même le mixage un peu frustrant parfois, je prends...

photo de 8oris
le 19/09/2024

4 COMMENTAIRES

Tookie

Tookie le 19/09/2024 à 12:25:12

Ouep très bon album ! Un peu les Slift du grunge et avec une pelletée d'émotions en prime.

Thedukilla

Thedukilla le 19/09/2024 à 16:21:55

Un superbe album pour un groupe qui l’est tout autant !
On perd un peu la patte Stoner du précédent, et avec elle un peu d’immédiateté, mais l’opus se révèle avec les écoutes, au point de tourner finalement autant que le dernier Slomosa.
Un grand disque.

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 19/09/2024 à 19:56:32

Putain c't'artwork c'est une vision féérique pour tous les fans de SF...

Dams

Dams le 20/09/2024 à 07:43:05

Juste génial ! Effectivement un des tops de l'année pour moi.
Une nouvelle belle pièce dans une discographie nickel.
Merci 8oris pour la découverte il y a 4 ans maintenant. 

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