Fátima - Turkish Delights

Chronique CD album (34:31)

chronique Fátima - Turkish Delights

Avant de chroniquer des albums sur CoreAndCo, je partais bien mal dans la vie. Bercé au son d’Henri Dès (“La Glace Au Citron” fait sans hésitation partie des 10 albums que j'emmènerais sur une île déserte), il a fallu que j’attende d'avoir soufflé mes 10 bougies pour découvrir ce qui me ferait délaisser les tortues ninjas et les LEGO : la scène grunge des années 90. L7, Tad, Mudhoney, mais surtout, avant tout, après tout, au dessus de tout Nirvana. Je n’exposerai pas ici mon amour inconditionnel pour ce groupe que j'ai découvert avec l’abrasif In Utero avant de m'être fait retourner la tronche par Bleach, ce concentré désoxydant de rage sombre et lourd à la frontière entre rock, metal et punk et accessoirement mon album préféré du trio d’Aberdeen.



Imaginons un instant qu’après ce premier pas dans le heavy rock sombre, le trio aurait été se réfugier chez Earache Records plutôt que de signer chez Geffen, que le blondinet aux yeux d’azur aurait troqué ses albums des Beatles pour ceux de Black Sabbath, que les Melvins auraient splitté permettant à Dale Crover de garder son siège de batteur. Peut-être que de cette uchronie (dystopique ou utopique, à vous de voir), un grand groupe de grunge teinté de doom mélodique serait né. Mais le 5 avril 1994, les cartes ont été rebattues différemment. Heureusement, comme le destin fait parfois extrêmement bien les choses, il nous a servi sur un plateau d’argent un trio parisien autoproduit: Fatima.

Imaginez un peu la puissance mélodique, l’énergie débordante et la qualité d’écriture pop du Nirvana des jeunes années associées à la profondeur lourde et efficace du doom. 

Evidemment quand on pense doom et Nirvana, tu as forcément un coreux qui se pointe avec son t-shirt de Earth. Mais on est ici dans une dimension différente de celle proposée par Dylan Carlson. Moins expérimentale, plus immédiate, plus instinctive, moins lancinante, moins drone. Ici, on envoie la sauce, on en projette plein les murs et on l’étale à grand coup de pelle.

Les guitares sont fuzzy, bourdonnent joyeusement dans les tympans. Ca buzze, ça grognent, c’est blurry à souhait et on s’y plaît. Les solos de guitare ennuyeux sont mis au pilori au profit de leads au service des morceaux, aux consonances parfois orientales, simples ornements ("Concubines Of Salem") ou complexes piliers ("Charly Chang"), renforcés par des effets dosés à la perfection (flanger gazeux et autre chorus liquides).

Elles sont solidement soutenues par une basse ronde, simple, profonde, chorusée mais surtout implacable d’efficacité ("Saliva Bath"). La batterie, rentre-dedans et minimaliste, n’en perd pas pour autant en volonté de s’affirmer et le fait pleinement à grand renfort de toms et de cymbales intelligemment mis à contribution. 

Enfin, les voix dessinent des lignes complexes et inspirées ("Toy Poodle"), de satisfaisantes griffures sur une toile instrumentale solide à la richesse sonore assez incroyable dans lesquelles elles se font reliefs escarpés que l’on gravit sans peine. Légèrement saturées, parfois gémissantes, sporadiquement plaintives mais tout le temps pleines d’une émotion naturelle, elles nous entraînent avec elles. Humbles, elle savent aussi se mettre en retrait et se faire nappes, psalmodies entêtantes, litanies aériennes, ethérées, magistrales.  Alors évidemment, la proximité avec le déifié Kurt Donald Cobain (je me permets de rajouter son deuxième prénom histoire de faire vaciller de son piédestal l’iconique représentant des gilets troués) est immédiate. Mais, il ne s’agit que de proximité, pas d’imitation. On est loin d’un pastichant Daniel Johns (Silverchair), d’un Wes Scantlin (Puddle Of Mudd) qui fait du creep throating à propos d’une meuf, ou d’un conventionnel Shaun Morgan (Seether) . Rien de tout cela car, ici, la proximité se trouve dans l’intention, dans la sincérité, dans l’interprétation qui sont toujours parfaitement justes.

Le mixage, bien qu’il ne soit pas exempt de quelques faiblesses (surtout concernant l’équilibre et la mise en avant des des instruments) est malgré tout de très bonne facture et réussi le pari de faire la part belle aussi bien à la facette doom du groupe qu’à son côté grunge.





Turkish Delights est une véritable friandise, un petit bijou d'émotion palpable et organique, qui laissera aux fans de grunge comme à ceux de doom un inénarrable goût de reviens-y en proposant une adéquation parfaite de deux styles musicaux autour de morceaux solides et interprétés avec les tripes. 





On aime: le mélange grunge/doom qui fonctionne à merveille, la qualité d’interprétation, les ambiances...

On n’aime pas: le mixage parfois mais on aime tellement le reste que l’on oublie cette micro-faiblesse.


photo de 8oris
le 29/05/2020

2 COMMENTAIRES

Dams

Dams le 31/05/2020 à 11:32:51

Une fois passée les similitudes avec la voix, c'est une excellente découverte. 
Merci 8oris

Tropéano

Tropéano le 31/05/2020 à 12:48:47

Un wannabe clone de Cobain au chant (assez drôle au demeurant) et une musique vraiment maladroite. Très peu pour moi. 

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