Ken Mode - VOID

Il y a bien un avantage à m’être copieusement emmerdé à écouter et à chroniquer Null en 2022, c’est que je n’ai désormais plus peur d’être déçu par Ken Mode. Le travail de deuil a été fait, les séances de psychothérapie ont été fructueuses, surtout à 60 balles remboursées par la Mutuelle Générale de l’Education Nationale et j’ai accepté la vérité telle qu’elle m’est apparue : je n’ai pas trahi Ken Mode en en restant indifférent à Null. C’est plutôt lui qui m’a laissé tomber en allant jouer la carte de l’expérimental, en allant citer Einstürzende Neubauten en interview. Pour vous dire, je suis quelqu’un d’honnête, j’ai fait des efforts pour me cultiver en écoutant un disque des allemands en entier, mais c’était franchement au-delà de mes forces et de mes facultés auditives de compréhension. Moi, ce que voulais, c’est que, toute la vie, Ken Mode me rejoue en boucle le formidable Blessed sorti en 2015, c’était qu’il copie/colle onze fois de suite un titre aussi fou que "Frye" (Mennonite, 2008) et qu’ils me laissent tranquille avec leurs velléités expérimentales foireuses.

Et puis, va savoir pourquoi, je me suis dit qu’il fallait peut-être que je passe l’éponge et que je donne quand même à ce Void une chance de faire ses preuves. 

Mes voeux ont certes été exaucés dès les deux premiers titres avec les deux pamphlets noise/hardcore totalement dans les standards habituels du groupe que sont "The Shrike" et surtout le monumental "Painless", sublimé par un solo de saxophone complètement arraché. Après avoir partiellement endormi ma méfiance, Void reprend peu à peu le chemin de Null et dessine des atmosphères plus nuancées, délaisse une partie de sa virulence pour installer une morosité et une tristesse lancinantes. Malheureusement, dans une moindre mesure que sur Null, tout ne marche pas comme prévu, même si tout n’est pas à jeter aux orties.

Côté pile, on retrouvera le crescendo implacable de "These wires", le final écrasant de "A reluctance of being", les interventions bien senties de Katryn Kerr dont les notes de piano entêtantes et angoissantes viennent contribuer au spleen ambiant. Comme ses cousins de Kowloon Walled City, Ken Mode joue des contrastes entre silence et lourdeur et parvient à jouer avec peut-être plus d’habileté sur les nuances de sa noirceur que sur Null, mais sans que, hélas, cela ne suffise à me convaincre totalement.

Je me surprends, écoute après écoute, à demeurer indifférent, au pénible "He was a good man, he was a taxpayer", à sentir poindre l’agacement en écoutant l’anodin instrumental "We’re small enough" au synthétiseur incongru ou l’anodin "Not today, old friend" qui tient lieu de conclusion à l’album. Comme si, malgré les efforts et la sincérité indiscutable des frères Matthewson, une partie de mon esprit restait fermée, comme imperméable, à une grande partie de l’énergie du désespoir déployée, et qu’à la fin de ces 40 minutes seul un sentiment diffus d’apathie et de lassitude prévalait.

Me voilà bien gêné à l’écriture de la conclusion de cette chronique d’un album que j’aurais aimé apprécier à sa juste mesure. Il ne me plonge certes pas autant dans la torpeur que son prédécesseur, mais même avec la meilleure volonté du monde, Void n’arrive pas à faire naître l’enthousiasme que j’appelais de mes vœux. Dommage, encore une fois.

Marc

le 18/10/2023