Norma Jean - Deathrattle Sing For Me

Chronique CD album (53:09)

chronique Norma Jean - Deathrattle Sing For Me

J'ai hésité un bon moment avant de finalement écrire cette chronique. Quand bien même j'avais plus de deux pages de notes, j'ai failli l'abandonner en route. Voire même avant de prendre la route, sans même chausser les pompes de rando. Et du coup, vous l'aurez noté, je suis en retard sur la sortie.

 

J'ai hésité parce que même s'ils ont eu un rôle relativement important dans la scène et qu'ils ont pondu de fort bons albums (Bless the Martyr and Kiss the Child et O'God The Aftermath en particulier) au début des années 2000, j'ai toujours eu un rapport vraiment ambivalent avec Norma Jean.

Pas Marilyn, hein, qui elle a eu le bon goût de mourir il y a un sacré bout de temps déjà (cinquante ans tout pile, en fait, joyeux deathiversaire à elle), et à qui le groupe dont on cause aujourd'hui emprunte le nom de naissance.

Déjà, le côté 'christiancore' me les a toujours un peu brisées. Mais si ça ne fait pas trop chier le monde, à la limite tout le monde fait ce qu'il veut, pourquoi pas.

 

J'ai hésité parce que justement, leur chanteur Cory Brandan (arrivé entre les deux albums sus-cités) est globalement un bon gros bonhomme en mode alt-right ricaine bien craignos, qui ne s'est pas privé de sorties vraiment limite à propos de Black Lives Matters ou autres sujets. Je ne vais pas m'étendre là-dessus, mais vous invite à aller consulter la chronique de Raton de chez Horns Up d'en face, qui développe bien le problème et qui illustre ce pourquoi j'ai hésité : dans l'ensemble, ça me fait chier de faire la pub pour quelqu'un qui, selon mes critères de jugements personnels, rentre dans la catégorie « gros con ».

 

D'ailleurs, ça a fait chier pas mal de monde : de nombreux groupes de la scène hardcore, et même leur groupe « associé » Every Time I Die (avec qui ils ont eu de réguliers échanges de membres du line-up) a fini par publiquement prendre ses distances du fait de ces prises de positions.

Et en gros, pour assurer la transition vers la musique, sur Deathrattle Sing For Me, Norma Jean tentent de nous faire une Every Time I Die, qui sont revenus sur le devant de la scène l'année dernière avec un Radical qui a fini en #1 du top CoreandCo de 2021.

 

J'ai aussi hésité parce que je ne suis clairement pas un gros amateur de refrains catchy ou de voix claires. Et cet album en comporte pas mal, jusqu'au point de prendre des airs presque neo-metal intégrés au hardcore métallique qu'on leur connait. Si ça ne fonctionne pas mal sur les premiers morceaux où elles apparaissent, « Call for the blood » et ses côtés qui tirent sur le psychédélique et « Spearmint Revolt », avec sa dynamique d'ensemble bien gérée entre hardcore chaotique et sections plus posées, la suite directe est – à mon avis – moins réussie.

 

Car la paire de morceaux qui fait suite à la très bonne entame du trio de tête vient trop tôt casser la montée d'ensemble, que l'on espérait voir encore progresser, pour retomber bien durement dans des contrées un peu trop mièvres : « Memorial Hoard », qui pue un peu le remplissage inutile du haut de ses sections très hachées et de sa tendance à la ballade mélancolique, et « Aria Obscura », qui sous ses airs italophiles tombe un peu dans les péchés mignons du metalcore à interludes mielleux qui vient se rapprocher du neo-metal (on retrouvera ce genre de chose sur « Penny Margs » et ailleurs). Même si, sur ce morceau, des riffs intéressants viennent quand même ponctuer l'écoute et sauver les meubles.

 

A partir d'ici, j'ai hésité parce que j'ai eu une sorte de dissonance cognitive entre mon image mentale du hardcore métallique de Norma Jean et un mix improbable qui est venu se coller dans mes conduits auditifs : ce côté clair neo presque à la Linkin Park mélangé avec des riffs...... qui me renvoient le Hacride post-Amoeba en pleine gueule. Franchement, au début de « Aria Obscura », le bon riff me fait rigoureusement penser à celui de « Overcome » des frenchies. Et le refrain de « A Killing Word » (qui par ailleurs comporte la seule section de grosse double pédale de l'album) m'englue encore dans cette improbable mixture.

 

Ce qui m'a finalement décidé, c'est que si on passe sur quelques 'morceaux-transition' (« Parallela » comme ballade de mi-album, « el-roi » vaguement réminiscent d'ambiances à la Radiohead et peut-être plus plaisant si on est perché, et qui joue sur le Nietzschéen dans les paroles, la fameuse phrase sur l'abysse tout ça), il y a tout de même du très bon sur Deathrattle Sing For Me.

 

L'entrée en matière déjà : après l'intro très lo-fi de fond de saloon « je branche mes instruments, check check », l'arrivée du son très propre est énorme, dans le plus pur style « j'vais t'en mettre une ». En intro, « 1994 » fonctionne donc vraiment bien à mon sens. Ca lui donne un petit côté générique de série « mystères » de la fin 70, début 80 (ou du type de la récente Ovnis).

Et cet usage du lo-fi en début de piste est assez usité sur cet album, puisqu'on le retrouve sur de nombreux morceaux, sans toutefois que ça ne devienne lassant : il n'y a plus vraiment l'effet de surprise, mais ça marche quand même.

J'ai personnellement beaucoup aimé « Any % », plus court et direct dans une direction hardcore chaotique / mathcore endiablé, « W W A V E » sur lequel j'aurais adoré entendre la voix de Keith Buckley d'Every Time I Die, car ce morceau aurait pu figurer sur Radical dans le style, et dans l'ensemble de nombreuses incartades ici et là qui font clairement le taf.

 

Enfin bref. J'ai hésité, mais nous y voilà. « C'est un métier », comme dirait l'autre.

Ici, Norma Jean tentent de nous faire une Every Time I Die / Cave In, mais, à mon avis, en moins réussi dans l'ensemble, notamment du fait des parties les plus claires et aérées : là où on partait en road-trip sur les anneaux de Saturne chez Cave In et où celles d'ETID portaient un groove et un timbre réellement accrocheurs, Norma Jean ne parviennent pas, selon moi, à faire de ces sections un point fort de Deathrattle Sing For Me.

C'est dommage, car les parties les plus directes sont au contraires souvent vraiment bonnes, avec un son excellent, assez rond pour être chaleureux tout en étant assez bas du front pour claquer des gueules. Mais elles sont tirées plutôt vers le bas par les autres, sombrant trop facilement dans une forme de banalité trop entendue désormais un peu partout. Les morceaux où Norma Jean concentrent le plus leurs idées, les plus courts, sont à mon sens au final les plus dignes d'intérêt, car ils maintiennent une continuité de tension suffisante pour maintenir une attention certaine, quand les plus longs se perdent parfois un peu en inutilités et en remplissages évitables (le dernier, « Heartache », est par exemple amputable de deux bonnes minutes, je pense).

Il y a vingt ans, ce n'était pas la même limonade, et les tontons de Norma Jean se plaçaient là, ils avaient le rocking chair avec leur nom dessus, posé sur la scène hardcore internationale. Mais aujourd'hui, avec la profusion de groupes qui ont essaimé – et notamment dans leur sillage (enfin, dans le sillage de la formation d'il y a vingt ans) – ils ne parviennent pas totalement à sortir du lot, malgré des compositions souvent très bien amenées. Pour le dire ouvertement, je me suis de nombreuses fois déconcentré au fil de l'écoute de Deathrattle Sing For Me. Ca m'emmerde, parce que dans l'ensemble il est vraiment pas mal, mais c'est la vérité.

 

On peut tout de même se dire que ce n'est pas si étonnant puisqu'hormis le chanteur, tous les autres membres ne sont là que depuis … cinq ans au maximum. L'histoire de leur line-up est si fourni en patronymes qu'il me semble presque qu'il s'agit d'une tentative de reproduire (au moins quantitativement) la série de noms des premières pages de la bible. La boutade mise à part, cela joue forcément sur l'écriture des morceaux, la continuité d'une année à l'autre et l'évolution du groupe.

C'est pour ça que je me dis que peut-être que Norma Jean devrait changer de nom, désormais, et devenir un autre projet. Ce qui éviterait de devoir juger les nouveaux efforts à l'aune de ce qui a été produit sous ce nom, mais par d'autres personnes, il y a longtemps.

 

Enfin bref, au final, peut-être suffit-il de s'en tenir à la chronique éclair (et éclairée) de Tookie : « Il est bien. Voilà. Pas de quoi faire sauter une braguette mais ça déplie un slip ».

Alors je n'aurais personnellement pas utilisé cette analogie, mais l'idée y est. Et je suis d'accord : cet album est objectivement bien. Et les écoutes le bonifient. Celles et ceux qui apprécient plus le côté clair que moi en profiteront peut-être plus, parce que le bonhomme sait clairement chanter.

 

A écouter tout de même, en gardant un rictus ennuyé signifiant que ça reste pénible que les réacs parviennent malgré tout à produire de la bonne musique.

photo de Pingouins
le 30/09/2022

7 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 30/09/2022 à 08:47:18

Je navais pas vu/lu que c'était un gros con le chanteur, bah merde alors. C'est bon de se renseigner des fois 😅

Dams

Dams le 30/09/2022 à 09:16:22

En total adéquation avec toi pour cet album, oui ça sent la tentative à la ETID/Cave In, mais sans la même réussite. L'album est correct sans plus.

@pidji, comme toi je découvre cette histoire aussi...😳

Seisachtheion

Seisachtheion le 30/09/2022 à 09:35:04

Et donc on fait quoi ?

cglaume

cglaume le 30/09/2022 à 09:58:57

Je propose qu’on en cause sur le forum… 😅

Eric33

Eric33 le 30/09/2022 à 15:55:47

Moins marquant que hall hail c'est certain...
Après les déboires du chanteur ne doivent pas influencer le chroniqueur non plus..
Il faut penser musique avant les conneries dîtes ou non...Je veux dire qu'on en arrive à un époque où il faut tellement que les choses soient dans le politiquement correct que ça en devient fatiguant... Chacun a le droit à la parole que ce soit naze ou pas, la plus grande des vertus reste l'ignorance avant tout.

Pingouins

Pingouins le 30/09/2022 à 16:28:33

Salut Eric, merci pour ton retour !
Personnellement je pense qu'il faut penser les deux : musique ET conneries dites par le chanteur. Mais il me semble que j'ai assez fait la distinction entre les deux dans la chronique, et que j'ai été clair sur le fond dans les deux cas, en expliquant pourquoi.
Chacun a le droit à la parole même si c'est naze, mais si c'est nazi, non. Là c'est pas nazi (sinon je n'aurais de toute façon pas fait la chronique), c'est juste naze : du coup je le dis :). Parce que pour moi, ce n'est pas du "politiquement correct" ou incorrect, ce sont des prises de position, par exemple.

En tout cas c'est toujours bien de pouvoir en discuter calmement. Donc je te remercie pour la forme de ton message :)

Eric33

Eric33 le 30/09/2022 à 18:27:17

Merci à toi aussi pour ta réponse.
Après c'est malheureux mais il y a tellement de musiciens pro cathos redneck extrémistes aux Etats Unis que ça en devient navrant...
Très bonne chronique en tout cas!

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