Quietus - 0,012% Biomass

Chronique Maxi-cd / EP (21:09)

chronique Quietus - 0,012% Biomass

Après un fort bon Chaos is order yet undeciphered (que j'ai découvert en retard à travers la chronique de Tookie au moment de devoir rédiger celle-ci) sorti en l'an de grâce 2020, un très bon cru temporel dont nous avons tous et toutes allègrement profité à fond, souvenez-vous, voilà que les Carolomacériens de Quietus remettent le couvert avec cet EP de 4 morceaux, sous le titre 0,012% Biomass.

 

Pour rentrer dans l'explication de texte, « Carolomacérien », ce n'est pas une ère géologique (malgré quelques similitudes ici et là dans la musique avec des ambiances à la The Ocean, qui aiment bien ce genre de termes), c'est simplement le petit nom que l'on donne aux personnes originaires de Charleville-Mézières, riante bourgade située... quelque part. J'imagine.

 

De l'autre côté, « 0,012 % Biomass » c'est, je pense, en étant toutefois à peu près sûr de ne pas me tromper dans mon interprétation, ce que représente la masse (littéralement) de l'humanité mise en rapport à celle de l'ensemble des êtres vivants sur la planète. Fun fact, c'est aussi un cinquième de la proportion d'habitants de Charleville-Mézières par rapport à celle de l'ensemble du pays (mais ça n'a probablement rien à voir pour le coup). Bref. Au vu des titres relativement animaliers des morceaux, ainsi que sur la (jaune et jolie) pochette, pourvue d'un blob, on peut donc imaginer (et là pour le coup je suis moins sûr de moi) que la thématique de la disproportion entre l'usage des ressources naturelles et la présence de l'activité anthropique sur la planète sera au centre du concept de cet EP. Mais peut-être pas, je n'ai pas pu lire les paroles. Tout juste ai-je pu saisir un vibrant « God Hates Cowards ! » martelé sur le premier morceau « Cockroaches ».

 

« Cockroaches » ouvre donc les hostilités sur un départ en caisse claire isolée (un peu du style de celui de « When I Lost My Bet » de Dillinger), avec une basse bien mise en avant. On retrouvera par ailleurs ce type d'intro à la batterie sur les morceaux suivants, sur ce qui me semble être le cercle de la caisse claire sur « Peau de Chagrin », sur cymbale sur « Oiseau de Malheur ».

 

A partir de là, de la batterie roulante et des riffs cassés qui s'ensuivent, Quietus enchaîneront, sur la grosse vingtaine de minutes que dure 0,012% Biomass, de multiples plans qui iront s'enjailler dans biens des facettes du hardcore au sens large. Si le son en lui même rappellera volontiers des groupes tels que City of Caterpillar (sur « Peau de Chagrin » notamment) ou même Gospel, avec une orientation moins screamo et plus post-hardcore tout de même, ils n'hésiteront pas à alterner cela avec des riffs beaucoup plus abrupts et saccadés que n'auraient pas renié certains groupes de hardcore assez modernes, des plans plus chaotiques, des ralentissements bien amenés sur des gros coups de guitare rythmiques ou encore la combinaison réussie de deux guitares (l'intro presque dissonante du quatrième morceau « La Gestation de l'Hippocampe » par exemple), etc...

 

Et c'est bien ça qui rend cet EP intéressant, cette capacité à faire appel à ces multiples côtés de façon fluide. Pour ne prendre que le morceau le plus long, sur « Oiseau de Malheur » (qui atteint la barre des sept minutes), des moments de basse ronde et sludgy à la batterie plus fine qui vont chercher ensuite un martelage plus proche du hardcore sombre, avant de rebasculer sur une phase qui renvoie aux moments plus calmes de Botch (du genre de ce qu'on trouvait sur An Anthology of Dead Ends notamment), entrecoupés de riffs plus proches du hardcore chaotique, une simili-interlude au piano et un ultime virage de distorsion, on peut dire qu'il y en a vraiment pour tout le monde.

 

Surtout si l'on y ajoute les tremolos altiers de « Peau de Chagrin », les riffs plus aigus typiques des styles plus orientés math-chaos ou l'ambiance tendue et tordue des zones de calme de « La Gestation de l'Hippocampe », et une fin d'EP extrêmement abrupte et assez inattendue, dois-je dire.

 

Bref, à moins d'une écoute attentive, il sera difficile de vraiment garder en mémoire les subtilités des morceaux du fait de la profusion de plans très variés, qui se suivent et ne se ressemblent pas. Mais ça tombe plutôt bien pour celles et ceux qui apprécient justement ce type d'exercice, et dont je fais partie. Car ici, rien n'est brouillon et ce bouillonnement d'idées est loin de ressembler à un bête collage en patchwork de pièces rapiécées. C'est la foire sans être le foutoir, le foisonnement sans être le bazar. Non, au bout du compte, une vraie cohérence d'ensemble se retrouve, notamment grâce à certains gimmicks qui reviennent (les intros de morceaux généralement sur batterie isolée, certains riffs ou lignes tels le riff sludgy vaguement The Oceanesque sur « Oiseau de Malheur », etc), des jeux de voix entrecroisées en hurlé/spoken qui se reprennent entre la fin de « Peau de Chagrin » et le début d' « Oiseau de Malheur », es riffs fort accrocheurs mine de rien... on a quand même quelques repères. Et cela incite très fortement à se renvoyer la plaque régulièrement pour intégrer ces subtilités et profiter à fond des morceaux.

 

Ensuite, tout à fait personnellement, je ne suis pas complètement convaincu par certains passages vocaux en clair, mais je suis un peu pénible avec ça, aussi prenons les choses dans l'autre sens : les voix hurlées sont très bien (bien que peut-être pas assez présentes à mon goût) et souvent bien utilisées dans les jeux de contraste ; les voix claires ont quant à elles le mérite de ne pas être 'trop chantées' à mon sens, pour un résultat finalement assez sobre et digeste de ce côté là, malgré mes éternelles réticences. Parce qu'il est souvent difficile de poser de bonnes voix claires dans le hardcore, tout de même.

 

Au final, on a sur cet EP un côté foisonnant, florissant, qui m'évoque un peu dans la démarche (toutes proportions gardées) ce qu'avaient pu faire Refused sur The Shape of Punk to Come : ni tout à fait ceci, ni tout à fait cela, tout en intégrant des bouts de chaque côté de l'éventail du punk-hardcore, mais qui hérissera sans doute celles et ceux qui recherchent des choses plus... traditionnelles, disons. Toujours dans ce type de démarche, bien que plus orientés postcore, on peut aussi penser aux Strasbourgeois de Yurodivy et leur excellent Tell Me When The Party's Over, avec Quietus ont par ailleurs partagé la scène.

 

Quietus s'inscrivent donc pour moi là-dedans : une sorte de hardcore « alternatif », « pluriel », qui ne se restreint pas à un cadre établi et choisi une approche variée de la distribution de décibels, bourré de subtilités malgré sa courte durée. Saluons également l'excellente autoproduction.

 

A écouter lorsque l'on ne parvient pas à choisir entre toutes les possibilités offertes par le menu et que l'on décide alors de tout prendre, parce que pourquoi pas. Surtout que pour une fois, c'est la bonne décision.

photo de Pingouins
le 10/03/2022

2 COMMENTAIRES

Pingouins

Pingouins le 12/03/2022 à 11:21:12

Le groupe vient malheureusement d'annoncer son démantèlement, le jour même de la sortie de cet EP...

Tookie

Tookie le 12/03/2022 à 12:30:42

Ha c'est con ! En tout cas j'aime vraiment bien leur côté à bouffer à tous les râteliers et ce sens de l'inattendu qu'ils ont su cultiver jusqu'à ce dernier EP.

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