Sorcerer - Interview du 29/06/2024

Sorcerer (interview)
 

Salut les gars, merci de répondre à mes questions, et ce malgré le bashing de mon chroniqueur sur l'artwork de votre nouvel album – d'ailleurs il s'excuse ! On l'a adoré cet album, chez CoreAndCo. Sans rancune, n'est-ce pas ? (rires)

 

Guillaume Scaillet : Nan nan, pas de soucis, c’était un bashing en retour, y a pas de problème ! (rires)

Dominique Lucas : Après tout c’est le jeu d’une telle pochette, hein !

 

Puisqu'on en parle d'ailleurs, et histoire de rentrer directement dans le vif du sujet : si vous en parliez un peu, de ce fameux artwork ? Qu’est-ce que vous avez voulu transmettre à travers ce visuel ?

 

GS : C’est une idée qu’on avait depuis un moment : on voulait figurer un chevalier, ou plus globalement une tenue médiévale. Du coup, on a beaucoup cherché des idées autour de ce concept précis, et on s’est accordé sur l’idée d’une photo avec un traitement assez moderne et ce cadrage très particulier. Tout était assez scripté avant le shooting, vu que dans les thèmes que Dom aborde dans ses chansons, il y avait comme… comme une sorte d’appel d’air à ce niveau-là, en fait. Le choix de cette pochette est assez instinctif, à l’image de toute la compo de l’album : on savait qu’on avait envie de faire ça, il y avait une volonté esthétique, mais qui nous semblait aussi thématiquement en lien avec le nom du groupe, l’univers musical, tout ça. On sentait qu’on avait envie de creuser dans cette direction médiévale-là. Du coup, après, j’ai contacté Alane Delhaye, un comédien que je connais et qui a notamment joué dans Le P’tit Quinquin, une série Arte que j’adore. On voulait vraiment une gueule, le genre à faire office de pochette impactante, qui sortirait un peu des sentiers battus par rapport à ce dont on a l’habitude dans le hardcore, en allant plus lorgner du côté du metal mais tout de même avec sa particularité, quelque chose que les gens vont tout de suite situer. L’idée, c’est que quand tu vois passer cet artwork dans un bac à vinyles, tu te dises : « Mais qu’est-que c’est que ça ? » Et ça a plutôt bien marché dans la mesure où beaucoup de chineurs achètent justement parce que ce genre de décalage les surprend sans qu’ils ne sachent de quoi il s’agit.

DL : L’occasion pour moi de rebondir par rapport à ce qu’a dit ton chroniqueur sur la pochette : c’est presque le but de la manœuvre en fait, en ce sens où ça va interpeller. On ne va pas se mentir : toute l’imagerie médiévale belliqueuse est à la mode depuis les années 80. Nous, ce qu’on voulait, ce n’était pas un chevalier en armes hyper vénère avec un aspect très heavy. Au contraire, on voulait quelque chose de beaucoup plus froid, triste ; et le fait d’avoir un gros plan comme un shooting de mode renvoie à du plus actuel. Comme disait aussi Guillaume par rapport à mes paroles, orientées dépression, remise en question et idées noires, on voulait représenter un mec au bout de sa vie plutôt que flamboyant, l’air de dire « J’ai tout niqué ! » Dans la démarche, c’est justement le contraire : ce personnage n’est ni beau gosse, ni héroïque, c’est un Monsieur Tout-le-Monde dont on expose les faiblesses et qui a probablement un passif assez lourd. On pose ça là, et après les gens ressentent absolument ce qu’ils veulent ; qu’ils trouvent ça drôle ou triste, peu importe. Du coup ça nous fait marrer mais ça ne nous étonne qu’à moitié en fait d’avoir aussi ce genre de retours, puisque ça fait partie du jeu (rires).

 

Pour rentrer un peu plus dans le concret, revenons sur Devotion, l'album, qui s'avère le premier LP de votre discographie. Quelle différence notable par rapport à la préparation, l'agencement et la composition de vos trois EP ?

GS : C’étaient un peu les mêmes logiques à chaque fois en fait. On a toujours essayé d’avoir une approche artistique globale en termes d’imagerie mais aussi de compo à l’intérieur des chansons ou de structurel dans le disque. Là, c’était simplement un changement d’échelle, ce qui représente plus de travail parce que c’est un premier LP, et par conséquent on sait qu’il faut tout donner, mettre sur la table tout ce qui mûrit depuis la création du groupe. Donc la phase de composition a en effet été assez longue, pendant laquelle moi et Tim (l’un des guitaristes de la formation, ndlr) avons fait le gros du truc. Bien sûr, on échangeait, affinait et ajustait avec les autres, et on a essayé de fabriquer un tout cohérent ; on savait qu’on voulait rester dans des durées assez propres au hardcore, c’est-à-dire ne pas faire un skeud de 40-45 minutes. C’était un peu tout le challenge de l’album, puisque dans Devotion il nous a fallu trouver l’équilibre entre les ambiances mélodieuses qui se déploient dans le temps et le côté hyper bourrin propre au hardcore plus moderne.

 

Toujours par rapport à l’artwork et le concept qui le sous-tend, justement : est-ce que la musique et les paroles sont intrinsèquement liées à la composition ? Y a-t-il eu un réel fil conducteur par rapport à ça ?

 

DL : De mon côté, je n’attends pas forcément de direction particulière sur les compos pour écrire mes textes. Guillaume me propose les compos telles qu’elles sont, et après j’essaye d’adapter en fonction de ce que ça me fait.

GS : En termes de compos, on a surtout essayé de garder l’identité qu’on savait être la nôtre depuis le tout premier EP, ce qui nous a permis de nous faire « remarquer », entre gros guillemets et toute proportion gardée. En tout cas, on sentait qu’il y avait quand même une singularité dans le son. L’enjeu était donc un peu de pousser ça à son paroxysme, c’est-à-dire de garder le côté bourrin tout en allant explorer toujours plus loin par-delà les frontières du style. Il n’y avait pas vraiment de fil rouge, mis à part essayer de faire des compos qui génèrent des images. D’où la dimension cinématographique de la pochette, mais qui se trouve aussi dans la musique en elle-même : on essaye de faire quelque chose de teinté, en quelque sorte.

 

Pour cela, nouveau nom derrière la prod’ : Amaury Sauvé, dont le CV contient déjà des groupes de renom comme Birds in Row et Plebeian Grandstand. Pourquoi ce choix ? Est-il venu vous voir, avez-vous choisi de bosser avec lui ?

 

GS : Nan, je crois que ça se passe rarement dans ce sens-là (rires). Ça doit arriver, mais en ce qui nous concerne ça fait plutôt partie de tout ce processus de vouloir allier du moderne avec de l’organique, un peu tout le principe du groupe, quoi. Comment prendre le revers du truc, sachant qu’on est un peu hardcore avec une dimension bagarre ? Allons donc voir un producteur connu pour des productions plus « post », qui s’éloigne un peu du style, en sachant qu’il ne s’est pas beaucoup occupé de groupes qui s’en approchent. C’était un pari, et c’est ça qui m’intéresse quand je vais en studio : comment ça va sonner ? En allant dans ce sens-là, tu ne peux que créer quelque chose d’unique, qui a, a minima, peu été fait. La rencontre entre les deux est intéressante dans la mesure où on arrive avec notre méthodo tandis que lui a la sienne très particulière qui consiste à enregistrer en live – ce qui nous sort de notre zone de confort. Comment allaient se mélanger l’approche très intellectuelle d’Amaury Sauvé qui est vraiment un geek dans le bon sens du terme, et notre côté plus instinctif, à l’arrache : là réside toute l’originalité de Devotion.

 

« Un mix de heavy hardcore moderne, de metalcore old school, et d'une touche d'emo », abonde votre communiqué de presse pour décrire Devotion. Quelles références sont à l'origine de cet amalgame de genres ?

 

DL : Le problème vis-à-vis de cette question c’est qu’on écoute tellement de styles, que ce soit dans le metal extrême, le hardcore ou même d’autres comme du rap ou de la pop, qu’on pourrait faire du namedropping pendant une heure et demie. Donc concrètement, dans les compos, on ne s’intéresse vraiment à rien en particulier ; si on a envie de prendre une direction, eh bien vas-y, on va tester. Ça ne veut pas forcément dire qu’on va la retenir à la fin, mais en tout cas on teste des choses. Évidemment, on avait quelques noms plus évidents que les autres au tout début du projet pour nous donner des pistes, mais même si elles sont toujours présentes, je pense qu’aujourd’hui si tu demandes à dix personnes de parler de la musique de Sorcerer, ils te donneront dix noms différents. Et en fin de compte c’est tant mieux, puisque le but de la manœuvre, c’est qu’à la fin chacun en arrive à dire « Putain, ça sonne Sorcerer ! »

GS : Après, concrètement, on a tout de même conscience que l’album, et même le groupe, sonnent un peu comme No Surrender de Kickback, voire un peu Nine Eleven ou encore Converge.

 

Converge ! Ça tombe bien que tu en parles, puisque l’album m’y a beaucoup fait penser ! Notamment sur un passage de « The Eternal Grief »…

GS : Ah complètement ! Moi j’adore Converge et en particulier sur leur époque Deathwish, qui s’élevait au firmament du genre. Ça comprend les groupes américains comme Converge en tête de liste justement, Touché Amoré, mais aussi toute la branche européenne avec la Church of Ra (projet collaboratif entre plusieurs musiciens et groupes francophones de groupes orientés post-ceci et cela, à l’origine d’un album sortie en 2014, ndlr) – on est des énormes fans d’Oathbreaker, Deafheaven et j’en passe, des références présentes depuis nos début et qui finalement sont beaucoup moins hardcore que post-black, par exemple.

 

D'ailleurs, concernant l'origine de Sorcerer, que pouvez-vous dire ? La naissance du groupe en 2020 est-elle liée de près ou de loin à la crise du Covid ?

 

Dl : Pas tout à fait ; avec Guillaume, on se connaît depuis 10 ans. Avant Sorcerer, on a déjà eu un groupe dans un tout autre genre, beaucoup plus DIY – Mind Awake –, avec lequel on a aussi fait du studio et de la tournée. On l’a split-up en 2019, mais on avait déjà l’idée, à ce moment-là, de fonder un groupe un peu plus abouti.

GS : Oui, c’était déjà dans les bacs ; après, le groupe en tant que tel n’était pas, (soupir)… Dans l’idée, on projetait simplement un groupe de metal hardcore.

DL : Un projet, en fait, qui nous permettrait de reprendre nos racines d’ados ; moi, tu vois, j’ai grandi en écoutant du blackened death et du metalcore. On voulait un peu jouer avec tout ça et voir ce que ça pouvait donner, mais c’est vraiment pendant l’avant et l’après-Covid qu’on a trouvé notre line-up actuel, avec ses sonorités si particulières.

GS : Plus précisément, on l’a trouvé juste avant et on était censés enregistrer notre premier EP dans la période où le confinement a fini par être décrété, on a donc décalé le projet à l’été. On aurait effectivement dû le finir plus tôt (Joy est sorti le 16 avril 2021, un an après la création du groupe, ndlr), mais en fait ce n’est pas plus mal. On a bien conscience d’avoir bénéficié du « retour à la vie » après plus d’un an d’arrêt total, ce qui a mis Sorcerer sur les rails dans la mesure où on a fait partie du renouveau.

 

Justement, comment met-on un groupe sur les rails au sein d'une scène parisienne où il y a beaucoup de « concurrence » ? Comment êtes-vous sortis du lot ?

 

DL : Déjà, il faut préciser qu’il y a une pléthore de groupes à Paris maintenant. La capitale a longtemps été le vilain petit canard de la scène hardcore française, même européenne de manière plus générale. Ce n’était pas forcément une ville connue pour toutes ses formations génialissimes ; on a eu Kickback, Providence – qui ont fait le tour du monde – quelques années après, mais pendant 10 ans sa scène est restée très tranquille. C’est vraiment à partir de la période post-Covid que beaucoup de nouveaux groupes ont commencé à y émerger, aussi bien à l’initiative de jeunes musiciens que des anciens qui ont reformé des projets. On a fait partie de la nouvelle vague, qui a relancé un peu la mode à Paris.

GS : En fait, tu as eu une première nouvelle vague qui ne possédait pas non plus énormément de noms ; il y avait Worst Doubt qui était là depuis hyper longtemps, presque dix ans déjà, et qui mènent toujours en mode locomotive, ou Comity

DL : Et encore, Comity, c’est même plus vieux ; ils font vraiment partie de la génération qui ont dix ans de plus que nous, que tu peux assimiler à Es La Guerilla, Hangman’s Chair, etc. Alors que notre génération post-trentenaire, c’est vraiment nouveau, comme dit Guillaume.

GS : En fait à la base, tous les groupes qui poppent en ce moment sont vraiment arrivés entre 2021 et 2022, donc ce n’est pas pour nous jeter des fleurs, mais on a quand même eu cet avantage-là de faire partie des nouveaux visages, d’une nouvelle vague de groupes qui se donnaient les moyens de ne pas avoir l’air de musiciens du dimanche. Donc pourquoi on a mis moins de temps que d’autres groupes, qui peuvent attendre dix à quinze ans, pour jouer au Hellfest ? Il y a effectivement un peu de chance qui a pu jouer, mais aussi beaucoup de manière de faire, à savoir en ce qui nous concerne : ne rien laisser au hasard, faire comme si, dès le départ, c’était un projet pro, avec des mecs qui savent ce qu’ils veulent, où tout est un peu léché sans jamais verser dans le vieux cliché beauf français. Si tu fais de la musique qui veut s’exporter, eh bien sans te prendre au sérieux, il faut quand même faire les choses sérieusement, voire un peu survendre le truc. À notre petite échelle, créer une espèce de hype a plutôt bien marché.

 

Quatre ans plus tard, vous voilà en effet programmés sur la Warzone du Hellfest, l'Xtreme Fest et le Motocultor, rien que tout ça en un seul été et ce n'est déjà pas rien. Cela vous donne-t-il le sentiment d'avoir franchi un cap dans la carrière du groupe ?

 

GS : Tous ces fests-là, on nous les a même bookés avant l’album, mais ça s’est quand même fait en deux temps. On a intégré le roaster de Rage Tour via Manux (producteur et agent spécialisé dans le punk, aujourd’hui affilié à WeCare Booking, ndlr) ; depuis, on est rentré chez Stronger Booking, la référence dans le hardcore à l’échelle européenne, mais Manux nous a beaucoup aidé à développer le groupe et à toucher d’autres scènes. Les scènes alternatives et hardcore, même parisiennes, qui sont très en forme, demeurent en effet assez peu communicantes. L’idée, c’était de représenter le groupe qui allait faire la jonction entre la niche et ce qu’on connaît déjà très bien, le public français n’étant pas forcément très versé dans le hardcore que nous pratiquons. Du coup, tous ces festivals se sont positionnés là-dessus, et on a « transformé l’essai » en sortant l’album dans la foulée, ce qui fait qu’on peut y jouer sur la base d’une vraie galette, issue d’un vrai groupe, qu’on peut vraiment défendre.

 

Enfin, pour se remettre dans le contexte : le concert de demain, vous l’avez préparé différemment du reste ? Y a-t-il un petit trac qui joue, même si vous avez déjà fait des grosses scènes ?

 

DL : Personnellement, je l’ai préparé comme n’importe quel autre concert. On a plein d’autres gros festivals qui arrivent cet été, donc on s’’est préparé avec de la résidence, en prenant la chose au sérieux. Mais je n’ai pas non plus envie de me dire : « Ah, je joue au Hellfest, il faut que je sois quelqu’un de différent ! » Alors certes, le public n’a pas forcément toujours les codes d’un concert de hardcore de 80 personnes, mais l’idée reste d’être le plus carré possible, de donner ce que tu as de mieux et de te faire plaisir, et les gens adhèrent ou non en conséquence.

GS : On est bien sûr hyper contents, mais la différence, c’est qu’on est conscients d’être un groupe qui peut avoir beaucoup de choses à proposer, c’est pour ça qu’on s’est au moins doté d’un bon ingé son. Bien sûr, au moment où on te parle, 24 heures avant, on est en mode « peace » ; après ça reste une ouverture de Warzone, donc on sait que ça ne va pas être forcément blindé mais ça fait quand même quelque chose. Moi, le Hellfest, je n’y serais pas venu en tant que public, mais par rapport à ce que ça signifie pour un groupe français ce n’est vraiment pas à prendre à la légère, c’est même à respecter vis-à-vis du signe de reconnaissance que t’accorde la communauté. C’est un show comme les autres, mais pas tout à fait non plus puisque ça fait un peu date, donc tu as quand même envie d’assurer dessus.

DL : Vis-à-vis du CV du groupe c’est même clairement une case à cocher, bien sûr ! Je disais plus ça dans le sens où un petit show dans une petite salle, on va le faire aussi sérieusement qu’au Hellfest. On ne va pas non plus dénigrer une énième date en Allemagne, dans la mesure où même là il pourrait y avoir quatre personnes qui vont adorer, nous soutenir et nous revoir peut-être six mois plus tard. Donc oui, c’est sûr qu’on est super contents d’être là et que ça va être mortel demain matin !

 

 

 

NDLR : interview réalisée par Pidji, questions et retranscription par Aldorus Berthier. Photo signée Moland Fengkov.

 

photo de Pidji
le 03/09/2024

6 COMMENTAIRES

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 03/09/2024 à 12:34:35

Ah je vous raconte pas les frissons à l'écoute des réponses aux deux premières questions pendant que je transcrivais 😍

el gep

el gep le 03/09/2024 à 13:18:00

Noooooooon !!!???!!
C'EST LE P'TIT QUINQUIN !!!
Quelle classe !

Moland

Moland le 05/09/2024 à 02:48:26

Et l'auteur du portrait, on le crédite  pas ? Appelez-moi le directeur ! 

cglaume

cglaume le 05/09/2024 à 07:03:05

** Pense-bête pour l’itw de Clawfinger **

pidji

pidji le 05/09/2024 à 12:40:15

Oups dsl Moland, my bad, oubli !

Moland

Moland le 05/09/2024 à 16:52:06

Pidji : tu auras la vie sauve :)

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