Bada - BADA
Chronique CD album (49:59)

- Style
noise psychédélique / drone élégant / indus chamanique / post rock furtif / post metal expérimental - Label(s)
Pomperipossa Records - Date de sortie
11 avril 2020 - écouter via bandcamp
Le monde se divise en 2 catégories : ceux qui connaissent Anna Von Hausswolff et ceux qui l'ont découverte récemment. En effet, fin 2021, la miss a défrayé la chronique malgré elle, par le truchement d'un improbable mais non moins inquiétant effet Streisand à l'envers, la propulsant sous les feux de la rampe du grand public, les médias de tous bords relayant l'affaire la concernant, de Libération à la BBC, en passant par LCI, Marianne, France Culture ou encore Télérama, liste non exhaustive. Alors en pleine tournée européenne, la voici contrainte d'annuler un concert à Nantes, après que des intégristes catholiques ont bloqué de manière menaçante les accès à l'église censée accueillir l'événement. Dans la foulée, l'Eglise Saint-Eustache, en plein coeur de Paris, annule également, obligeant les organisateurs à parer le concert du sceau du secret, dans un temple protestant, conférant aux spectateurs y assistant le statut de happy few tels que l'entendait Stendhal. Le monde s'en trouve alors divisé en 2 nouvelles catégories : ceux qui ont connu la chance de participer à ce concert, et les autres. La miss n'en est pourtant pas à ses débuts (et n'est pas la 1e artiste de l'histoire : Amenra, Bruit, Sting, ou encore Wolf Alice, récemment, ont déjà communié avec la spiritualité de tels endroits) dans cette habitude de se produire dans des lieux de culte, toujours en accord et avec la bienveillance des responsables. En outre, alors que les ras-du-bulbe reprochaient à sa musique un caractère sataniste, notamment à cause d'un contre-sens donné aux paroles d'une de ses chansons qui parle de drogue de façon métaphorique en évoquant des ébats avec le diable, la Suédoise proposait un show sans aucune ligne de chant, son spectacle restant axé sur l'utilisation de l'orgue, instrument sur lequel elle a jeté son dévolu depuis des années, jusqu'à lui consacrer un album entier (All Thoughts Fly, 2020, chef-d'oeuvre de liturgie moderne) qui dénote par rapport au reste de sa discographie qui allie rock gothique expérimental, folk dépressive et post-metal possédé.
En clair, l'univers d'AVH s'avère vaste et protéiforme, car elle appartient à cette famille d'artistes qui explorent, ne restent pas sur leurs acquis, savent s'entourer, toujours avides de nouvelles collaborations et de découvertes de nouveaux horizons au monde dont ils se font les démiurges inspirés. Les réduire à une caricature d'interprétation relève, au mieux, de l'aveu de carence culturelle, au pire, de la stupidité la plus crasse. Gageons de la voir un jour signer une collaboration de bon aloi avec un groupe de metal extrême, à l'instar d'autres Circé de génie comme Jarboe (avec Neurosis), Emma Ruth Rundle (avec Thou), AA Williams (avec Mono) ou encore Chelsea Wolfe (avec Converge) pour étendre davantage les frontières de la Création. En attendant, elle signe des projets qui enrichissent son territoire, notamment en associant son nom à celui de Filip Leyman pour la bande-originale de The Most Beautiful Boy in the world, un documentaire de Kristina Lindström et de Kristian Petri sur Björn Andresen, jeune ange dépressif, même après 50 ans, à cause des conséquences du tournage de Mort à Venise, de Luchino Visconti, film qui objective sa beauté d'éphèbe. A l'heure où nous bouclons cette chronique, ladite BO a reçu une nomination parmi les 5 du film pour l'équivalent des Oscar ou des César en Suède.
L'évocation de la BO du film nous sert de transition parfaite, puisque Filip Leyman, qui la co-signe avec AVH, se retrouve aux commandes des synthétiseurs dans le line-up de Bada, projet collectif auteur de l'album qui nous intéresse ici. Le monde se divise en 2 catégories : ceux qui connaissent Anna Von Hausswolff, et ceux qui la suivent dans ses autres projets, comme ce groupe. L'excellentissime festival Roadburn aux Pays-Bas en a livré une captation live en 2021, dans sa version dite redux, pour cause de covid. L'occasion de sentir l'énergie qui circule entre les musiciens pour livrer une partition qui relève de l'improvisation toute chamanique et de constater que leur musique se vit assurément en live. A défaut de pouvoir participer à leur sabbat habité, nous disposons de cet album sorti en 2020, sobrement intitulé Bada. Entièrement instrumental, il fournit un aperçu relativement clair et complet de la magie qui opère d'un point à un autre des domaines musicaux qu'il parcourt sans jamais se perdre en chemin.
L'absence de chant permet une totale immersion introspective dans le subconscient de l'auditeur plongé dans la densité de la musique, qui se déploie en différents mouvements tous reliés entre eux, sans transition ni temps mort, de manière fluide et cohérente pour former un ensemble monstrueux et polymorphe. Il convient, pour s'en faire une 1ère idée, d'écouter les 3 premiers titres, qui, bout à bout, présentent une progression d'une évidence confondante. L'ouverture Början, au fort pouvoir cinématographique, nous prend par la main, dans ses nappes doucereuses qui préfigurent les envolées élégiaques des guitares et le martèlement lancinant de la batterie de Klander, presque 4 minutes plus tard, dans une dynamique propre au post-metal dans ce qu'il livre de plus poignant. Ett Gammalt Ansikte prend la suite et hausse le ton en apportant une touche plus hypnotique, la batterie devenant sauvagement tribale tandis que les autres instruments se contorsionnent dans la fièvre d'une transe industrielle. Ces 3 morceaux ne formant en réalité qu'un même titre remplissent à merveille leur office, dans le crescendo de leur structure respective : baliser le chemin. La suite du voyage s'apparente alors à ce que les Anglo-saxons appellent un roller-coaster, alternant longues plages post-rock contemplatives et crissements noise indus, le tout dans un équilibre fragile qui confine au génie. La musique de Bada se montre tour à tour froide comme la pierre mais séductrice comme la tentation de l'abandon au moment où on baisse les armes face à la mort imminente et organique comme les battements d'un coeur, notamment quand, à la fin de Fogden, de cristallins arpèges viennent apporter un contrepoint salutaire aux drone electro et incisif des lamentations déchirantes de Avslag. On croit avoir fait le tour de cet univers sombre, quand débutent les 11 minutes de Dött Kluster, qui gagne progressivement en ampleur cathartique, comme le chant funèbre de sirènes en déshérence, mais c'est sans compter avec le final tonitruant de l'album : ultime surprise, Träslöjd se jette dans 7 minutes de krautrock psychédélique qu'on voudrait voir se prolonger à l'infini pour y dissoudre allègrement son âme.
4 COMMENTAIRES
Pingouins le 07/01/2022 à 10:06:25
Super chro moland, j'écoute ça en rentrant de l'escalade :)
Moland le 07/01/2022 à 19:42:19
Merci camarade. Tu me diras si l'écoute fut à la hauteur de la chronique. Ou le contraire. Et vice versa.
Pingouins le 08/01/2022 à 17:11:51
Vraiment chouette. Je retrouve des ambiances à la Cult of Luna (période A Dawn to Fear) sur le second morceau, Neurosis en particulier sur le 3eme, et bizarrement quelque chose de proche de Wolves in the Throne Room sur Fogden, les ambiances me font penser à celles de Two Hunters.
Moland le 08/01/2022 à 22:14:29
Oui, tes références ne sont pas folles. Je suis moins connoisseur de WITTR mais j'aime bien alors je vais aller écouter le titre que tu cites. Content que ça t'ait plu. Merci pour ton retour.
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