E-an-na - Alveolar

Chronique CD album (49:00)

chronique E-an-na - Alveolar

Imaginons que l'on n'ait jamais entendu parler de Negură Bunget : avec seulement Dirty Shirt et E-an-na comme points de repère, on aurait été tenté de penser que la scène Metal roumaine se résume à quelques bandes de joyeux fêtards pour qui il n'est de bon concert sans alliance entre violons et mosh parts, chœurs joyeux et grunts ursidés, trémolos et palinka. Il faut dire que les deux formations ici mentionnées font partie des rares à avoir vraiment percé hors de leurs frontières, et qu'en effet elles partagent cette conception d'une musique qui, si elle se doit de développer une dimension velue et brise-nuque, repose quand même énormément sur l'énergie festive du folklore local. Et quitte à avoir beaucoup en commun, les deux groupes – qui ont joué ensemble, forcément – se partagent de précieuses ressources : Roxana Amarandi, chanteuse et violoniste, ainsi qu'Andrei Oltean, chanteur et multi-tradi-instrumentiste, l'une et l'autre étant membres honoraires du Transylvanian FolkCore Orchestra que Dirty Shirt embarque avec lui dès lors qu'on lui laisse l'occasion de prendre ses aises sur les scènes où il se produit.

 

Alors forcément, à fréquenter les mêmes bars et partager les mêmes convictions, on finit par cuisiner des popotes relativement semblables. On l'avait déjà constaté sur le très bon Nesfârşite, et de ce point de vue pas de changement quatre ans plus tard sur Alveolar. Ce constat s'impose dès « Mioritic Metal », instrumental virevoltant qui ouvre l'album dans la grande tradition des « Ciocarlia » (cf. Dirtylicious) et « Latcho Drom » (Letchology), la flûte y jouant toutefois un rôle plus prépondérant que le violon, la touche dirtyshirtienne se voyant du coup nuancée d'un petit goût de Vladimir Cosma (... vous la sentez cette envie de revoir le Grand Blond ?). Et puis les chœurs, là, sur « Călăuză », à 1:04 : eh oui, du pur T-shirts crados ! Ces saccades félines sur « Suit în Nor » ? Oui, moi aussi j'ai l'impression de voir Rini et Robi se secouer la crinière de concert. Et cette métallisation naturelle d'un air initialement 200% tradi' sur le conclusif « Floare de Fier », plein de violons, de punch et de chœurs ? Oui, on s'y croirait, une fois de plus.

 

Pourtant ces récurrents flashs de déjà-vu ne sont finalement qu'anecdotiques. Car chez E-an-na le chant féminin reste plus dominant que chez le grand-frère en haillons. Ainsi que la touche folko. Du moins est-ce le ressenti de ce côté-ci des enceintes. Par ailleurs la touche Néo se fait moins prégnante, les métalleux de la bande ayant à priori un background plus Left Hand Path qu'Adidas.

 

Cette mise en avant accentuée d'une musique traditionnelle loin d'être uniforme contribue à colorer la tracklist d'Alveolar de couleurs nombreuses : plutôt moyen-orientale – dans les traces d'Orphaned Land, presque – sur « Fântânile de la Capătul Lumii ». Plus New Age sur la deuxième moitié de « Cenuşiu ». Légèrement slave sur « Biba ». Et carrément médiéval sur un « Călăuză » donnant envie de danser la tarentelle. Le ton se fait par contre plus fourmillant, plus celtique, mais aussi plus jazzy sur un « Ies » qui devrait ravir les fans du Diablo Swing Orchestra de Kristin Evegård.

 

Cet ascendant relatif de la sandale sur la santiag gênera peut-être les plus intolérants aux roucoulades, notamment vers le milieu de l'album, de « Fagure Negru » à « Dulce ». Le premier de ces trois titres peut en effet s'apparenter au retour dans le cocon maternel, le suivant à la complainte d'une triste mamouchka ressassant ses souvenirs dans une morne chaise à bascule, tandis que le dernier nous enveloppe d'une ouate rosée joliment anesthésiante. Mais même les plus allergiques à la barbe-à-papa devraient se laisser convaincre par le souffle folklo-épique de « O, Romaniţa », par la séance de gorilla dance initiée sur « Suit în Nor », aux irrésistibles « Floare de Fier » et « Ies » évoqués précédemment, ainsi qu'au pinacle « 'colo 'mbia » qui mêle pulsations tribales, flûte shamanique et ferveur païenne en un hymne bien plus grand que la somme de ses composantes.

 

Fourmillant, étincelant, pétillant, ensorcelant – quoique pas si simple à réduire à quelques qualificatifs pourtant triés sur le volet, du fait de la diversité de ses visages – E-an-na attaque un peu moins frontalement que le sémillant bulldozer Dirty Shirt. Il mériterait d'ailleurs – vilain lapin que je suis – de ne plus être sans cesse renvoyé à son parrain des Carpates. Avec Alveolar, il confirme les excellentes impressions laissées par Nesfârşite, et se hisse suffisamment haut dans nos oreilles, estime et cœur pour atteindre la porte d'un Top 2023 décidément sacrément peuplé !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: en 2019 Nesfârşite avait allumé un grand soleil vitaminé dans notre ciel « Folk Metal à ressorts ». Quatre ans plus tard, E-an-na fait plus que confirmer avec un Alveolar suffisamment riche et varié pour qu'on ne puisse plus le réduire à un excellent disciple de Dirty Shirt, mais qu'on se voit obligé de le considérer comme un grand nom à part entière de cette scène qui donne autant envie de voyager, que d'headbanguer et de faire la fiesta.

photo de Cglaume
le 07/12/2023

2 COMMENTAIRES

noideaforid

noideaforid le 07/12/2023 à 15:14:40

c'est vrai qu'à l'écoute forcément on les compare à dirty shirt, mais au bout d'un moment j'ai trouvé les éléments folk différents, donnant un côté plus '' doux'' que les T shirt sales et aussi un côté plus sage. Je serais du genre à faire découvrir à mes potes dirty shirt mais à mon meilleurs pote E-an-na car  plus intimiste.

cglaume

cglaume le 07/12/2023 à 15:18:52

Nos avis se rejoignent donc 🙂

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