Frontierer - Unloved

Chronique CD album (01:00:48)

chronique Frontierer - Unloved

Frontierer c'est vraiment des sadiques. Vous voyez la Chambre de l'Esprit et du Temps dans Dragon Ball(1), dans laquelle quinze jours équivalent à une heure passée dans le monde réel ? C'est un peu mon cas avec ce groupe, et au prorata ça fait donc quelque chose comme 1000 ans que j'attends leur nouvel album au moment où j'écris ces lignes(2). Alors faire la chronique de celui dont la team CoreAndCo ne s'est pas encore occupée ça ne comblera que très relativement un si grand vide mais c'est toujours ça.

 

Premier constat : trois ans – pardon, 1000 ans – d’intervalle entre l’un des meilleurs albums de tous les temps et Unloved, à l’échelle d’un même groupe on a connu plus long mais c’est déjà le signe d’une période de maturation a priori encourageante. En se fiant strictement à l’agencement de la tracklist, le pari est même réussi, « Tumoric » ouvrant les hostilités sous un tonnerre de breakdowns plus dévastateurs les uns que les autres, établissant une politique soigneusement respectée par chaque morceau. La filiation avec Orange Mathematics saute d’emblée aux oreilles, et même la parfait en imposant ce nouveau mastard comme un monstre de technicité stratosphérique.

 

Si Unloved s'est plus qu’imposé comme album de la confirmation pour Frontierer, son coup de propulseur définitif en direction des gros festivals, il a forcément dû prendre le parti d'une esthétique plus grand public. Un défi à l'aboutissement à la mesure de son invraisemblance au sein d'un sous-genre de niche du calibre du chaotic hardcore. Rien qu’à son usage des distos, infiniment plus mélodiques (« Electric Gag ») voire carrément ambiantes (« Unloved & Oxydized »), ou à son mastering plus appuyé sur les lignes de basse ou la caisse claire (« Designer Chemtrails »), une rupture imperceptible se dessine avec suffisamment de panache pour fédérer des pits rompus à toute la diversité du metal comme de la scène hardcore au sens large.

 

Certes, la constance obsédante de Frontierer dans la déstructuration poussée à un degré monolithique pourrait presque laisser poindre une sensation de stagnation à l’écoute d’Unloved, là où son prédécesseur raffinait son anarchie intrinsèque en annihilant tout point d’ancrage rythmique. La dynamique du skeud tout rouge tient tout de même parfaitement la route en exploitant une belle sélection de samples électroniques de manière plus lente, saccadée, et par conséquent avec un sens du tempo d’autant plus maîtrisé dans leur expérimentation (« Neon Barnacle »). Le groupe s’embourgeoiserait-il dans cette volonté, parfaitement réussie du reste, de fluidifier ses sonorités ? Peut-être. Rien à regretter toutefois, dans la mesure où là où aurait dû se perdre un élément déterminant de son identité musicale, quelque chose de nouveau le remplace, le sublime même, avec brio. Du bordel outrageusement génial dans son informité, Frontierer glisse imperceptiblement vers l’entropie mathématiquement millimétrée dans son immédiateté. The Dillinger Escape Plan saillerait presque des accords surnaturels de « Heartless 101 » - avec le chanteur et le guitariste de Car Bomb en feat sur cette dernière, quelle classe…

 

Une partie de la presse anglophone semble avoir reproché à Unloved sa durée, trop longue pour pleinement se laisser emporter par le raffinement de chaos qu’il déploie. Rien de quoi rebuter les convertis déjà conquis par les 52 minutes d’Orange Mathematics, à plus forte raison que son successeur multiplie les subtiles envolées de guitare et de basses. Les sonorités d’Unloved se dévoilent par couches successives, superposant texture inventive sur texture inventive dans son magma de distos ultra-denses, synthétisant un mathcore imprévisible mais d’autant plus esthétique. « Glitcher » ou « Fluorescent Nights » s’écoutent et se réécoutent sans que jamais ne s’atténue le plaisir de la découverte du petit détail qui tue.

 

Le côté plus propre et structuré – tout étant relatif, ça reste Frontierer quand même – d’Unloved, loin de saborder l’authenticité du chaotic hardcore des Écossais, épaissit au contraire leur identité de fouteurs de merde dans le roaster metallique. Peut-être un peu trop sage vis-à-vis du statut de monolithe extrêmental acquis par Orange Mathematics dans le genre, il n’en reste pas moins aussi foutraque que décapant à l’échelle d’un hardcore particulièrement impétueux.

 

Sur ce, je retourne ronger mon frein en attendant que le prochain chef-d’œuvre de Frontierer ne me sorte à nouveau de ma torpeur angoissée.

 

 

(1) Tututut je vous arrête j'aime pas ce manga ! Inutile de m'impliquer dans vos débats sur quel en est le personnage le plus puissant, ma réponse risque d'être Naruto.

(2) Tututut je vous arrête encore je suis nul en maths et je me suis servi d'un convertisseur ; merci de ne plus me proposer de pots-de-vin pour passer le bac S à votre place.

photo de Aldorus Berthier
le 08/11/2024

2 COMMENTAIRES

Pingouins

Pingouins le 08/11/2024 à 18:16:08

Ah ben cool que tu l'aies chroniqué celui-ci ! J'avoue que j'avais une belle flemme, m'étant déjà occupé des deux autres.
Je l'ai écouté de nouveau récemment, parce que c'est celui que je connais le moins au final, mais j'en garde la même impression d'un album de transition vers ce que sera le suivant, avec des passages plus monolithiques en mode on te roule dessus plutôt (ce qui sera encore plus vrai sur Oxidized) que chaos généralisé comme sur Orange Mathematics.
Au final, je continue de préférer l'intransigeance sonore d'Orange M, et j'ai l'impression (comme je le disais dans ma chro du dernier d'ailleurs) que cet esprit est plutôt parti chez Sectioned, tandis que Frontierer a pris un côté plus """"""""propre""""""".
Mais p't'être que l'EP qui vient me fera mentir, à voir !

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 09/11/2024 à 02:06:23

Ah mais d'où Orange Mathematics ne pourrait que ne serait-ce que soutenir la comparaison... Le ∞/10 récemment attribué par Moland au Killers de Maiden, c'est largement sur cet album que je l'accolerais en ce qui me concerne

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