Frontierer - Oxidized

Chronique CD album (49:37)

chronique Frontierer - Oxidized

Comment décrire en quelques mots ce qu'il se passe sur ces presque cinquante minutes...

 

Pour celles et ceux qui connaissent déjà les méfaits de Frontierer : Frontierer. Voilà.

 

Pour les autres, quelques présentations d'usage : Frontierer nous vient d'Ecosse, terre de monstres lacustres et de météo réputée hostile. Hostile, cet album l'est, et pourtant cette fois la créature n'émerge pas des eaux froides des lacs du nord du pays, mais essentiellement de la tête de Pedram Valiani, principal artisan de ce chirurgical démontage de tronche, le troisième à porter cette bannière.

 

C'est également lui qui est à la manœuvre pour l'enregistrement et la production, dont on reparlera plus tard, et qui commence à se faire un sérieux nom puisqu'il était aussi derrière de celle du groupe qui a été groupe du mois en ces pages en juin 2021, Pupil Slicer. Sans compter un groupe parallèle, dans lequel se trouvent aussi les autres membres de Frontierer, avec pour seule exception un chanteur différent : Sectioned. Ces derniers sont peut-être un poil plus orientés punk-hardcore mais il ne fait quand même probablement pas bon stationner dans la fosse s'ils sont sur scène.

Mais ne nous égarons pas trop et revenons à nos moutons shetlands.

 

Pour appréhender Frontierer, pour essayer de résumer les choses de façon caricaturale si vous n'avez encore jamais entendu leurs atrocités, imaginez récupérer les morceaux les plus violents, les plus chaotiques et les plus intenses des groupes parmi les plus énervés que vous connaissez, notamment dans l'éventail musical qui se déplie entre le hardcore, le mathcore et le métal expérimental. La furie des premiers Dillinger Escape Plan (le début de « Death/ »), l'intensité du Converge des années 2000, les plans alambiqués de chez Tony Danza Tapdance Extravaganza, les roulements syncopés de Meshuggah, ce genre de trucs. N'en retenez que les parties les plus extrêmes, comprimées sur elles-mêmes jusqu'à plus soif, et vous vous ferez une idée du potentiel apocalyptique de la mixture ainsi obtenue.

 

Si les noms ci-dessus ne vous disent rien (ce dont je doute, quand même, si vous vous retrouvez à lire ces lignes), prenons un exemple plus trivial (mais heureusement peu fréquent) de la vie quotidienne : enroulez une bouteille de coca dans des feuilles d'aluminium auxquelles vous aurez pris soin de scotcher une douzaine de piles, videz-y dedans une boîte entière de mentos et enfournez immédiatement l'ensemble au micro-ondes, branché de préférence à proximité de l'arrivée générale de gaz de votre domicile. Laissez mijoter et en cas de survie, identifiez la position des morceaux de débris de ce qu'il reste de votre logis et composez la musique à partir de cette structure.

 

En bref : c'est rapide, c'est explosif, c'est violent, c'est tranchant, les rythmiques sont souvent alambiquées et épileptiques, le chant de Chad Kapper (l'Américain de la bande) d'une agressivité hardcore et d'une intensité soutenue, avec des paroles souvent cryptiques qui alimentent le côté dystopique de l'ensemble, la production des instruments à corde dévaste tout sur son passage... Pour le dire clairement et sans détours, la musique de Frontierer est essentiellement articulée sur la combinaison entre brutalité de l'assaut et décomposition structurelle. Vous comprendrez très vite après avoir pressé le bouton « play » de votre lecteur. L'ensemble est très radical, avec sur ce nouvel album l'aboutissement d'une progression logique depuis Orange Mathematics. Les implémentations amenées sur le second album Unloved sont portées à un nouveau niveau ici, amplifié et développé, faisant a posteriori passer Unloved pour un album de transition, alors qu'il était déjà une marche en plus gravie par les Ecossais. L'un des morceaux y avait d'ailleurs pour nom « Unloved & Oxidized », indiquant peut-être une logique dans la composition des deux albums et leur intrication.

 

Les deux singles relâchés par le groupe avant la sortie d'Oxidized, « Glacial Plasma » et « Opaque Horizon », donnaient un premier aperçu de la direction dans laquelle avançait le groupe : un peu toutes à la fois, mais avec continuité. Si l'extrême radicalité du propos n'a pas changé, sa matière, elle, a été malaxée un peu différemment. Le son est encore plus propre que sur les sorties précédentes (ce qui à mon sens fait perdre un petit peu de la saveur de la sauvagerie brute de coffre qui caractérisait Orange Mathematics), l'assaut se fait sur la base de gros fills de batterie et cordes martyrisées entrecoupés de riffs tranchants aux instruments qui rivalisent de chaos rythmique. On trouve un recours plus prononcé qu'auparavant aux pewpewpew et sortes de slides aigus travaillés en tous sens (« Opaque Horizon »...) qu'affectionnent aussi des groupes tels que Car Bomb, ainsi que plusieurs encarts plutôt électro (« Heirloom », « SVVANS » plus low-fi, « Daydark » par exemple, mais aussi ailleurs), comme cela semble être un peu devenu la mode chez ces groupes de mathcore très intenses, du fait d'une certaine proximité dans le travail et la structuration du rythme.

 

Cela étant dit, plusieurs choses m'ont frappé à l'écoute répétée de cet album. Déjà, bien que le style soit drastiquement différent, une proximité dans la créativité, l'intransigeance et la radicalité avec ce que faisaient les Norvégiens de Shining au moment de sortir Blackjazz (sur « The Magnetic Drift » entre autres, lequel se trouve par ailleurs être un feat avec Grady Avenell de Will Haven) un autre disque duquel il a été difficile de sortir indemne à l'époque. Cet usage de sonorités plus électroniques, ces rythmiques qui empruntent à d'autres styles ou aux maths et qui sont bizarrement prenantes, à la limite de la transe cathartique, cet assemblage stylistique et rythmique... Sur Oxidized, si la norme est le chaos, l'inattendu, on aura aussi des sections où le fond est presque punk-hardcore ou indus (« The Damage and the Sift », « Corrosive Wash »), une autre où les sensations rythmiques sont quasiment... disco (je vous laisse chercher où) ! Bref, ne vous attendez pas à anticiper ce qui se passera au prochain tournant, à la prochaine mesure, les surprises ne manquent pas tout au long de ces seize titres.

 

Presque bizarrement, ce disque paraît presque un peu plus mélodique également, avec souvent un fond, un écho, un travail sur les slides, voire même des choeurs (« Opaque Horizon », le morceau de clôture « / Hope ») qui surnagent, sans qu'on ne soit véritablement certains qu'ils soient bien là tellement l'assaut est livré de manière frontale. Finalement, ces histoires de monstres légendaires, ne pourrait-on pas les appliquer aux mélodies chez Frontierer ? Insaisissables, mais qui donnent du sens et quelque chose auquel se raccrocher, une personnalité aux paysages cataclysmiques qui s'étalent devant nos yeux ou nos oreilles. Ces sons d'ambiances sont intéressants, surprenants dans le sens où on est parfois à mi-chemin entre le bruitage de jeu vidéo, la sensation de flou doublée d'écho, le souffle d'air frais qui arrive au bon moment.

 

Pour compenser ces moments « fragiles », on aura aussi bien plus d'un gros drop qui feront presque obligatoirement lâcher un ou plusieurs « ouch » douloureux (« Disintegrative », « Removal of the copper iris and the lighting pill » en collaboration avec Kevin McCaughey de Ion Dissonance, ou « LK WX », pour n'en nommer que peu, ce dernier étant l'un des rares morceaux plutôt low tempo et qui vient rappeler les bons souvenirs du mastodontique « The Molten Larva » de l'album précédent), généralement après des temps de légère respiration, histoire d'en rajouter un maximum dans l'onde de choc créée par le contraste. Même l'utilisation des silences est ultra-violente ici.

 

Si au bout de cette (un peu longue) chronique, vous vous sentez à la fois prêt-e et pas prêt-e à vous plonger dans les limbes d'Oxidized, ce troisième album de Frontierer, c'est normal. C'est l'effet que ça fait. Mais dans un certain sens, rassurez-vous : il n'y a pas beaucoup de zones grises dans la réception de leur musique. La première écoute est généralement déterminante, avec un choix instinctif entre la fuite ou l'exposition prolongée. Pour celles et ceux qui se rangeront dans la seconde catégorie, il y aura toujours des recoins à explorer dans chacun de ces morceaux, différents angles depuis lesquels prendre des pavés sur le coin de la gueule.

 

On a ici l'un des disques que j'attendais le plus de l'année. Si l'aspect un peu plus brut et spontané du premier me manque un petit peu, on se trouve quand même face à un objet musical extrême, travaillé et qui est conforme à ce que j'en attendais : ça fait mal. Très mal. Je l'ai écouté une dizaine de fois pour écrire ces lignes et... l'intransigeance est là. 50 minutes tout de même, par autant de fois. L'un des principaux problèmes, une fois que l'on écoute Frontierer, c'est que tout le reste semble fade, incomplet, gentil et facile. Bizarre de retrouver le monde extérieur.

 

Et tout ça se confirme sur Oxidized. Difficile d'égaler pareille intensité (bon, le dernier Methwitch n'est pas loin tout de même). Tout ce que j'espère maintenant, c'est que chaque particule de mon corps puisse être distordue et pliée par le groupe, s'ils daignaient de passer en concert près de chez moi. Ah, les concerts. On peut toujours rêver, ça ne fait pas de mal. Faire mal, c'est Frontierer qui s'en occupent.

 

Et ils font ça bien : il s'agit du groupe qui porte aujourd'hui le flambeau du mathcore renouvelé, probablement le plus gros nom actuel de cette scène, qui a déjà marqué l'histoire du genre et dont on se souviendra comme d'un groupe culte dans quelques années. Mon top de l'année est pulvérisé. Une entrée fracassante qui y figurera probablement en bonne première place. Je ne vois pas ce qui pourrait l'en déloger.

photo de Pingouins
le 05/10/2021

10 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 05/10/2021 à 09:45:23

Même pas eu le temps de l'écouter encore, il faut que je m'y mette !!!

Freaks

Freaks le 05/10/2021 à 11:34:47

Le casque est sur les oreilles, le volume est vibrant et les dents en voie de déchaussement :p Zbeul "Moderncore" de très grande facture... Faut qu'après Oxidized je me fasse Orange Mathematics... ;)

Tookie

Tookie le 05/10/2021 à 12:01:27

Un album aussi excellent qu'exténuant.
On dirait vraiment un crossover de quelques groupes des années 2000-2010 avec comme tu l'as dit Ion dissonnance, Meshuggah et Norma Jean / Will haven. Avec un son plus vénère encore. Puis j'aime bien leur manière de rajouter des petits sons ça et là.

Je ne sais pas s'il sera dans mon TOP (parce que vraiment dense et usant), mais ça vient poser ses grosses roubignoles sur la scène mathcore.

8oris

8oris le 05/10/2021 à 14:35:59

Super chronique qui donne envie et suscite la curiosité (n'est ce pas le but ultime d'une chronique?).
Pour ma part, pas hypra convaincu par l'album malgré une prod qui est complètement dingue. Déjà, il est bien trop long, trop massif et monolithique, ca manque de dynamique, de moments de calme avant la tempête. Perso, l'effet d'une grosse gifle est d'autant plus fort quand on ne s'y attend pas et là, on s'y attend tout le temps et on n'a rarement tort. A force de se prendre des coups, comme dans la vraie vie, on n'en sent moins les effets. Ils auraient aussi pu faire l'économie de quelques titres un peu plats ou dispensable (LK WX par exemple). De plus, ça ressemble quand même encore beaucoup beaucoup à TTDTE (en plus écrit, reflechi en moins...hmmm...mathcore). Encore, pour leurs premiers, ça passait, ils faisaient office de "relai" mais maintenant qu'ils sont grands, j'attendais quelque chose de plus personnel.
C'est indéniablement un bon album mais j'attendais mieux après 3 ans d'attente. Frontierer a trouvé une formule magique et l'applique en mode un peu trop en mode automatique. Un coup c'est "Chug Chug Chug Pew Pew", un coup c'est "Pew Pew Chug Chug", un coup, c'est "Chug Pewwwww Chug PewwPewww". Bon, ok, dans cet album, ils ont remplacés les "pew" par des "bips".
Ca manque de variété, de surprises, d'évolution. Les montées ultra pitchées, les harmoniques qui partent en quequette, les chugs lourds ou syncopés, again & again. D'ailleurs "Heirloom" vers 1:20, je suis désolé mais c'est "Bleak" à peu près au même timing. Certains appellent ça "patte artistique", là je commence à avoir quelques doutes. Après, dans ce "Oxidized", il y a quelques trucs un peu electro/synthwave chelou sympa mais rien de vraiment nouveau. Et puis, j'ai envie de dire "c'est plus facile d'être violent en étant accordé en drop A et en posant des drops toutes les 30 secondes qu'en étant en accordage standard sur une 6 cordes en jouant des riffs en ternaire" (bon, en vrai, c'est Ben Weinman qui disait plus ou moins ça).
En fait, c'est ça qui m'emmerde avec Frontierer, il n'y aucun distinguo fort entre les albums, et à peine entre les titres. On a une grosse impression que tout est trop écrit, trop édité, de la programmation poussée à son paroxysme.
Et c'est aussi pour ça que Frontierer, ce n'est pas du mathcore, IMHO, il y manque ce côté "organique" et "naturel". Il n'y a pas une impression de vraie "violence" derrière Frontierer, on ne sent pas de véritable catharsis débridée comme chez The DEP, Converge, Botch. Il suffit de voir l'attitude du groupe en live d'ailleurs (Pedram Valiani est hyper souriant, fait des petites danses rigolotes digne d'un groupe de baloche). Frontierer, c'est un groupe qui arrive à produire une musique qui sonne violente mais qui ne l'est pas tant que ça finalement. Et quand je vois qu'on les compare à des groupes Car Bomb (qui les enterre bien profondement niveau technique et WTF) ou Meshuggah (qui restent et resteront les éternels patrons du game en terme de son, de structure et surtout d'évolution), ou Converge, je trouve qu'ils sont parfois un peu "overrated" tout bons qu'ils sont.

Pingouins

Pingouins le 05/10/2021 à 16:31:04

Merci pour la contre-chronique Boris ! C'est bien de poser un autre son de cloche, parce que moi il m'a quand même tournechamboulé ce skeud, même si je lui préfère Orange Mathematics. Et merci pour les gentils mots :)

Ensuite, si j'ai bien compris, un des trucs qui font que ça manque de ce côté "naturel", c'est que la batterie est programmée (j'ai vu je ne sais plus où que le batteur disait ça, et qu'il devait un poil réadapter les morceaux pour les jouer en live). Complètement d'accord pour l'aspect monolithique, un peu moins sur l'impossibilité de faire des distingos entre les albums : le premier était plus strictement math, celui-ci a beaucoup plus d'inserts électro/ambient et un riffing plus "gras" je trouve.

Seisachtheion

Seisachtheion le 05/10/2021 à 16:38:59

Voilaaaaaà, ça c'est du fil de commentaires !!!!...
... Que j'appauvris du coup  présentement 😅

8oris

8oris le 05/10/2021 à 18:25:37

A ma charge (et à l'inverse de toi), je l'ai moins écoute qu'Orange Mathematics donc cela explique aussi peut être que je le trouve, pour l'instant, moins bien.
Peut être aussi que leur évolution, l'évolution de leur patte, se fera doucement.
Effectivement, la batterie programmée joue pas mal sur le manque de naturel mais aussi le son des guitares qui m'a paru beaucoup plus édité et donc moins vivant. C'est un peu ce que tu dis dans ta chronique quand tu parles d'un aspect moins brut.
Après, je comprends tout à fait le coup du "c'est un album qui m'a marqué et ça va se ressentir dans ma chronique", je connais bien ça! ;)
Pour les gentils mots, c'est largement mérité car ça n'est pas facile de décrire aussi bien en de façon aussi imagée (le coup du coca menthos au micro-ondes : priceless) l'essence de la musique de Frontierer.

AdicTo

AdicTo le 06/10/2021 à 08:30:10

Enchanté messieurs,

Emballé par la chronique, j’ai mis l’album hier soir.... et bien... je rejoins totalement Boris :-)

Le (trop) gros travail de prod fait perdre en authenticité. Pourtant fan d’électro, là les « pew pew » m’ont vite lassés...

Pingouins

Pingouins le 06/10/2021 à 19:28:18

Salut AdicTo ! Merci pour ton retour sur la chronique et aussi pour ton impression !

Après toutes les écoutes que j'ai faites de ce disque, j'ai un rapport ambivalent à ces pewpewpew : des fois je les trouve excessifs, et des fois très bien placés. Et parfois a propos des mêmes sections mais avec une impression différente.

Pour le coup, j'ai l'impression qu'après Orange Mathematics (si tu ne l'as pas encore écouté, tu devrais plus accrocher, d'après ce que je comprends de ton message), il y a une sorte de croisement en patte d'oie : le côté "math-djent" froid et très produit avec Frontierer, et le côté plus raw et punk, plus "naturel" peut-être, chez Sectioned, dont je ne saurais que recommander l'écoute, et pour lesquels je finirai bien par proposer une chronique ici je pense. J'aimerais bien un nouvel album de Sectioned pour voir à quel point les trois mots ci-dessus sont complètement à côté de la plaque ou pas ahah.

En tous les cas, c'est toujours cool d'avoir des retours et d'alimenter la discussion alors merci encore :)

fred

fred le 08/10/2021 à 02:54:19

moi c'est Sleepsculptor qui m'a fait écouter du son neuf bien chaotic avec leur LP Entry: Dispersal  !! Sympa sinon ce denier Frontierer, quelque fois un peu répétitif pour 50mn, mais ça dépote bien, gros son - gros travail de prod !!

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