Ruby My Dear - A Dada

Chronique CD album (40:19)

chronique Ruby My Dear - A Dada

« Grand con », ou « Vieux con », j’accepte les deux.

Pour un quadra qui emmène son mètre 84 de vertèbres grinçantes de plus en plus près de la ligne fatidique du demi-siècle, les deux appellations font sens – comme disent les Anglais. Parce que le 3e qualificatif, celui qui – tel le bât – blesse (mais si : quand on a enlevé « grand » et « vieux » il reste… ?), le 3e qualificatif, disais-je, est entièrement mérité. Du fait de ce mien refus, cordial mais crétin, de chroniquer Brame – l’album précédent de Ruby My Dear – à l'époque de sa sortie.

 

[** flashback **]

 

« … Non merci, je fais un peu trop de hors-Metal ces temps-ci. L’EP Maigre, c’était parce qu’il s’agissait d’une collaboration avec Igorrr. Mais je ne vais pas me coltiner tous les albums de Bidibidip qui passent alors qu’il y a plein de promos de bon Bleuargl qui tombent dans la boîte aux lettres de CoreAndCo ! Allez va, je suis sûr que Margoth sera ravie de s’en charger… »

 

[** flashforth **]

 

Sauf que, réécouté récemment, il s’avère drôlement bon, en fait, ce Brame. Quoique peut-être pas autant que le A Dada qui vient de débarquer, celui-ci étant un intarissable geyser de Nawak Breakcore à l’enthousiasme débridé. C’est bien simple : vous prenez le Igorrr des 3-4 premiers albums (celui qui balançait des samples débilos sans trop se soucier du qu’en dira-t-on – rappelez-vous des discours scatophiles d’Antonin Artaud sur « Dieu Est-Il Un Être ? »), vous enlevez la dimension baroque, vous mettez légèrement le frein sur la facette Metal (mais attention hein : ça riffe quand même dur ici, et ça growle même parfois comme chez Whourkr !), vous colorez légèrement d’une dimension estivalo-infantile rappelant Ultra Zook, et vous obtenez cette petite merveille que le discours promotionnel nous invite à écouter en compagnie de notre nounou… Alors c’est vrai que les pisse-froid pourront trouver puériles certaines des blagounettes émaillant ledit album. Pourtant on est loin du pipi-caca-hahaha et de l’humour potache d’un Ultra Gromit (ou d’un Vonibar, je ‘sais jamais) : ici l’esprit c’est plus l’absurde décalé d’Édika… Un peu comme chez Gautier Serre, parfaitement, pas étonnant que les deux aient distordu des sons ensemble en 2014 ! Pas étonnant non plus que l'on retrouve Laure Le Prunenec, la Castafolle qui gazouille et roule les RRR, sur l’excellent « Robinet ».

 

Allez tiens, je vous propose qu’on décortique ensemble un morceau, histoire que vous vous rendiez compte in situ du bazar : prenons « Essayer de Rien Faire ». Démarrant dans l'effervescence haletante d'une crèche de Toonville, le morceau lâche quelques Bleuargl pressés avant de laisser la place à une fanfare speedée formatée pour du 33 tours, mais livrée ici en 45. Après un mitraillage sauvage typiquement igorrrien, on se pose sur un petit nuage narcotique afin d’écouter une vieille mamie du sud ânonner sa morale à 2 balles à de jeunes hippies. Puis l’aventure s’en continue joyeusement sur une mélodie sifflée qu’on croirait extraite d’une B.O. de Vladimir Cosma. Des visions doucement sépia croisent des beats sponsorisés par Tex Avery, des effusions glitchesques s’entremêlent avec des samples d’école maternelle… My God, ça fuse de partout ! Puis on assiste à un lâcher de BPM en furie sur son lit de xylophone, et c’est reparti sur les coussins, histoire de bien se foutre de la fameuse mamie moralisatrice. Et l’on en profite pour déformer une jolie mélodie qui aurait pu accompagner les soupirs amoureux d’une Sophie Marceau encore ado… Les spasmes foldingo reprennent peu après, cette fois accompagnés d’une guitare méchamment Metal. Puis same player, shoot again : on rebalance un peu de tous ces ingrédients dans la marmite.

 

… Et vous savez quoi ? C’est bougrement bonnard !

 

Si ce morceau frénético-bambino-rigolo reflète fidèlement ce qui se passe sur tout un bon pan de l’album (dans cette famille on rangera également l’excellent « Ecureuil », les cabrioles du morceau-titre, « Beaucoup Faire La Cuisine », et j’en passe…), A Dada ne se résume pas non plus qu'à ça. Parce que mettre les doigts dans la prise pendant 40 minutes non-stop, ça finit par fatiguer les ventricules… Du coup Julien Chastagnol (le mec qui fait chauffer son ordi en empilant les pistes de ce Cher Rudy, mais qu'on connait également comme viticulteur bio dans le Lot) nous propose d’autres expériences. Une tension à la fois sexy et violente sur « Escucha » (qui a, de loin, un petit arrière-goût du « Violenza Domestica » de Bungle). Une boîte à musique en sucre sur « Petite Pêche ». Une invitation à danser au milieu de polyphonies chtarbées sur « Robinet ». Un détour de 4 minutes dans le Montmartre d’Amélie Poulain sur « Mon Amie Qui Scintille ». Un stage de hula hoop chez des Lapins Crétins polynésiens sur « NuNiNu ». Ainsi qu’un voyage en direction de l’Oural (… on va dire) sur « Ma Matriochka », afin d’onduler de l’âme au rythme langoureux d’un violon pizzicatant et d’un chœur de veuves alanguies.

 

A Dada est donc à la fois fascinant, rafraîchissant comme un sirop à la fraise tout juste sorti du frigo de Grand-Mamie, et merveilleusement épuisant. C’est une géniale explosion d’inventivité débridée, un esperanto pour mélomane universaliste et hyperactif… Qui plus est celui-ci comble idéalement les petits vides frustrants laissés çà et là par Spirituality and Distorsion – un « album de la maturité » qui aura certes remporté tous les suffrages, mais qui a perdu un peu de cette folie furieuse qui ravissait mes oreilles de vieux lapin bougon. Alors on enfourche son bidet, et Taïaut, on appuie sur >Play !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: la précision, la richesse et l’enthousiasme juvénile du Igorrr des débuts – sans la touche baroque, et avec une dimension Metal certes présente mais moins centrale – plus la frénésie festive d’un Ultra Zook sous speed, et une thématique « Martine s’abonne à Fluide Glacial » : on pourrait difficilement trouver album affichant l’étiquette « Nawak Breakcore » avec plus d'à propos qu'A Dada.

 

 

photo de Cglaume
le 11/03/2022

2 COMMENTAIRES

papy_cyril

papy_cyril le 12/03/2022 à 08:35:56

la pochette déchire !

cglaume

cglaume le 12/03/2022 à 10:30:35

Réalisée par la fille d’Andreas Marschall, sans aucun doute :D

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