Shellac - To All Trains
Chronique CD album (28:13)

- Style
Noise rock - Label(s)
Touch & Go Records - Date de sortie
17 mai 2024 - écouter via bandcamp
"If there's a Heaven, I hope they're having fun. Cause if there's a Hell, I'm gonna know everyone !" Il s'agit là des dernières paroles de "I don't fear Hell", chanson qui ferme la marche du nouvel et ultime album de Shellac, groupe de Steve Albini : concrètement et factuellement, l'ingé son qui a façonné le son du rock indé des 90's en associant son nom à des albums mythiques de groupes et artistes comme Nirvana, The Pixies, PJ Harvey, Godspeed You! Black Emperor, Neurosis (l'un des 5 meilleurs groupes de toute l'histoire du name-dropping), Nine Inch Nails, Sunn o))), Mono (ces derniers vont sortir sous peu leur nouvel opus, avec là encore, Albini aux manettes), liste non exhaustive. Cette punchline, répétée dans le titre de clôture de To all trains, prend une dimension étrangement prémonitoire. Nous sommes le 17 mai 2024, jour de sortie de cet album qui, au vu des circonstances, restera dans l'histoire car une semaine auparavant, une crise cardiaque terrasse le Maestro, le destin répondant de façon troublante et tragique à son légendaire sens de l'humour en l'envoyant au grand raout de l'enfer avant que le monde ne puisse célébrer le grand retour du groupe, 10 ans après sa dernière production, à la manière d'un Bruce Lee mort avant l'avant-première de Opération Dragon. Y a pas meilleure fin pour asseoir un statut de légende. Mais jamais paroles de chanson n'auront aussi bien servi d'épitaphe. L'album dure moins de 30 minutes, et quand le silence retombe, ces mots résonnent encore, laissant un arrière-goût d'éternité et d'ironie de la vie face auxquels on ne peut s'empêcher de décocher un sourire narquois, car on sait que le bougre, qui n'a jamais perdu l'esprit résolument punk de ses débuts, doit bien se marrer, lui, là où il s'éclate désormais.
Au Desertfest Antwerp 2023, il y avait 2 noms qui m'ont donné envie de tout faire pour ne pas rater cette édition et qui, parmi d'autres valeurs sûres comme King Buffalo (et ses visuels psychédéliques et hypnotiques à vous faire regretter de ne pas vous trouver sous substances psychotropes), Red Sun Atacama (qui ont signé un des meilleurs albums de stoner de 2022), Cult of Luna qu'on ne présente plus, LLNN et leur fureur post hardcore teintée d'indus qu'on avait eu le plaisir d'interviewer au Hellfest, ou encore les patrons du desert rock qui vous font tutoyer l'infini, Yawning Man, liste non exhaustive, participaient à la ranger (ladite édition) au rayon des millésimes de bon aloi : les Australiens de Khan, qui nous gratifient d'un des meilleurs albums de 2023 et qui n'ont pas déçu en assurant un des meilleurs sets du week-end, et Shellac. Je n'avais jamais vu en live ce dernier, alors qu'importe les quolibets des fans de stoner, ouais, Tonton Stevie ressemble à Dédé de la compta, ouais, Todd Trainer a des allures de crackeux neurasthénique, ouais, Bob Weston vous rappelle votre prof de lettres... mais in fine, je suis reparti heureux, le sourire aux lèvres et l'estomac crispé pour avoir ri à gorge déployée : le trio a livré un des concerts les plus mémorables de cette programmation. Punk en diable dans l'esprit, et extrêmement drôle. Je n'ai jamais autant ri à un concert. Toutes les 3 chansons, Weston invite le public à poser 1 ou 2 questions, auxquelles il répond de manière péremptoire et lapidaire, non sans une bonne dose de dérision. "Eh non, on ne vend pas de merch", "non, je n'ai pas de chien, mais j'ai des chats, qui s'appellent Biscuit et Sardine..." et Albini de surenchérir : "quel nom belge pourrions nous donner à un chat ?" Celui-ci remercie l'ouverture d'esprit du festival qui accepte quelqu'un comme lui qui ne porte aucun tatouage (sic)... Et les présentations des chansons, on en parle ? De cette invitation à écarter les bras pour faire l'avion ? De cette BO d'un film qui n'existe pas, sur les Défenseurs du Fun, et cette chanson sur la soirée karaoke que vous subissez dans votre bar préféré ? Non, le concert ne se résume pas à un stand up impromptu. Car musicalement parlant, ça joue ! Le crackeux hypnotise avec son jeu métronomique, mécanique mais/et organique, le prof signe des lignes de basse très présentes, solides, nerveuses, tandis que le comptable glisse des riffs incisifs à la limite de l'expérimentation, le tout pour un savant mélange de punk noisy froid et engagé. Pour se permettre de faire des blagues sur scène, mieux vaut assurer derrière, et force est de constater que Shellac coche toutes les cases. Fallait voir sur les côtés de la scène les membres de Eyehategod assister au concert et venir jouer aux fanboys à la fin en venant féliciter la légende. Nous aurions bien voulu leur emboîter le pas. Mais on peut se dire qu'on aura enfin vu Albini et sa bande sur scène. Un souvenir viscéralement présent lorsque sort ce nouvel album.
Même si To all trains bénéficie de la tragédie qui précède sa sortie pour s'écouler comme des petits pains, il possède des qualités qui auraient retenu notre attention, quoi qu'il en fût. Globalement, certains titres peuvent sembler plus faibles que d'autres à la 1e écoute, mais tous, dans leur brièveté, s'enchaînent tellement à la perfection que l'ensemble vous saisit au collet et vous emporte dans une allègre tempête d'énergie roborative. On retrouve le son brut, direct, organique, propre à l'univers du groupe, et dès le 1e riff de "WSOD", on dodeline en cadence, tandis que la voix d'Albini qui n'a pas pris une seule ride, slalome entre les rotondités des lignes de basse et les frappes sèches de la batterie, avant la courte explosion finale de l'ensemble. En 2 minutes et 24 secondes, le groupe nous rassure. L'enchaînement avec le presque sensuel "Girl from outside" apporte les 1e nuances de l'album tout en s'intégrant avec aisance au titre d'ouverture, comme son extension. C'est avec le même naturel déconcertant que le très nerveux, très dansant et très punk "Chick new wave" appuie sur la pédale d'accélérateur pour un lâcher prise salutaire. On l'aura compris, l'apparente simplicité de chaque titre, construit sur une ou deux idées, participe à la complexité de la somme, par le truchement de la variété des tempi et des plans. En 28 minutes, pas le temps de s'ennuyer, au contraire: à mesure que la tracklist se dévoile, alternant moments de calme inquiétant et tourbillons martiaux, en passant par des titres bondissants comme "Days are dogs", l'album impose sa marque et laisse son empreinte. Indélébile. Les hommes meurent, l'oeuvre demeure. Et l'Art sauve. Celui-ci nous fait nous sentir vivants. Merci, Maestro, vous nous survivez avec panache, alors comme on dit : rest in power !
4 COMMENTAIRES
Thedukilla le 23/05/2024 à 21:12:34
Définitivement l’un des meilleurs concerts auxquels il m’ait été donné d’assister : punk, humaniste, engagé (je pensais pas entendre parler des éboueurs syndiqués de Chicago en venant à Anvers), drôle, élégant, dissonant, et surtout désarmant de simplicité et d’humilité.
Je me souviens d’une immense fatigue à l’issue des 3 jours, d’avoir maudit le sadique à la programmation de les avoir fait passer le Dimanche soir, et d’être finalement reparti avec la sensation d’un moment unique.
L’album est brillant. Le gars l’était encore plus.
Il nous restera toujours Times of Grace et Surfer Rosa. Merci M. Albini.
Moland le 24/05/2024 à 07:42:45
Haha c'était parfait pour clore le festival. Et oui, il nous reste Times of grace, l'un des 5 meilleurs albums de l'un des 5 meilleurs groupes de toute l'histoire des quintet, ainsi que tous les albums suivants de Neurosis, puisqu'il n'a jamais lâché leurs manettes depuis.
Steve Von Till :
"Very bittersweet mail day. The new album by Shellac and unfortunately their last, as it was released less than two weeks after my friend, Steve Albini’s sudden passing. I haven’t listened to it yet. I am waiting until I can listen to it properly with no distractions.
I have, however, been listening to several podcasts with Steve while in the car or doing chores around the house. I have just been wanting hear his voice knowing we will never be in the same room again. He was an such an entertaining storyteller. In discussions about anything from recording, independent music, the nature of work and economics, the city of Chicago, or life in general, he would effortlessly and humorously oscillate between textbook knowledge explained in a way anyone could understand, and personal experience embellished and enhanced with pearls of wisdom and analogies. He was truly one of the most intelligent people I ever met.
It is hard to fathom that he is gone. Our relationship was such that we only ever saw each other every few years when there was an album to be done, a gig in town, or a stage shared with our bands. It was a relationship based around doing the work. Regardless, it brought me to tears when he mentioned in one podcast that he considered us friends and that he would take a bullet for any one of us. That doesn’t make us special as the number of people he felt that way about in his community was large. I can only imagine how incredibly difficult and painful this grief is for those closer to him. My heart goes out to his wife, Heather, Greg Norman and all at Electrical Audio, his bandmates Bob Weston and Todd Trainer, and all his close friends and family."
el gep le 29/05/2024 à 00:11:24
''Wednesday" !!!
Magnifique !
Un p'tit côté Harvey Milk dans la psychofrigidité, mais pas seulement...
el gep le 29/05/2024 à 00:11:45
Nick Cave aussi.
Si, si, ahah!
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