Skinny Puppy - The Process
Chronique CD album (43:08)

- Style
(electro) (metal) indus mythique - Label(s)
American recordings / Warner records - Date de sortie
27 février 1996
écouter "Process"
Gagnons du temps pour celles et ceux que la longueur d’un texte peut décourager, commençons cette chronique ultime par sa conclusion définitive et péremptoire : « The Process » de Skinny Puppy est un chef d’œuvre absolu. Absolu, car absolument aucun titre à en jeter. Aucun OKAYE. Chef d’œuvre ultime de par son histoire et la place qu’il occupe, non seulement dans son époque, mais aussi dans la discographie du groupe. Mais surtout, de par son contenu, évidemment. Un album n’ayant subi aucun coup de calendrier. Pas une ride. Une oeuvre éternelle comme la mort. Voilà pour la version expéditive.
Nous sommes en 1996 quand sort cet opus fabuleux. En plein milieu d’une décennie qui voit les frontières du metal redessinées, par l’avènement du grunge (ou du moins tous les groupes mythiques qui officient sous cette étiquette réductrice), tandis que de vieux mastodontes des 80’s arrivent en fin de cycle, ayant tous signé leur(s) chef(s) d’œuvre de la maturité avant de tenter de se réinventer en explorant de nouvelles pistes, quitte à dérouter les fans de la 1e heure, ou avant de se perdre corps et biens. De l’autre côté, des groupes réinventent le metal sous la bannière fourre-tout de nu metal, offrant une porte d’entrée dans ce vaste monde musical à toute une génération de metalheads, tandis que le metal indus se dandine sous les feux des projecteurs : Ministry, Nine Inch Nails, Marilyn Manson, etc. Les metalleux de base se jettent sur ces groupes jonglant avec des samples, des grattes aux riffs mécaniques et de l’electro, dans l’ombre desquels évolue entre autres un pionnier du genre formé en 1982, messieurs, dames : Skinny Puppy, donc. On ouvre ici une parenthèse : Maynard James Keenan, frontman de Tool, l’un des 5 meilleurs groupes de toute l’histoire des frontmen, compte parmi les thuriféraires inconditionnels du Chien famélique. Hasard ? Je n’crois pas ! Fin de la parenthèse. Avant « The Process », on a « Last rights » (1992), sombre, complexe, torturé, et très ancré dans la tradition de l’electro indus qui se développe dans les 80’s, genre dans lequel Skinny Puppy occupe une place de fer de lance emblématique. Devant le succès des groupes comme NIN ou Ministry, qui, dans le début des 90’s, accordent aux guitares viriles davantage de place, le 1e signant le cultissime « The Downward spiral » et le second le monumental « Psalm 69 », les rumeurs veulent que le label de Skinny Puppy pousse le groupe à suivre cette voie. « The Process » entame alors une gestation de plusieurs années, dans la douleur… et la mort. Celle de l’un des membres tutélaires du groupe : Dwayne Goettel. L’album mettra 4 longues années à voir le jour, ponctuées de déboires (incendies et inondations dans le studio d’enregistrement, changements de producteurs, dissensions entre membres du groupe, notamment) et de la tragédie sus-évoquée, et lorsqu’il sort, il devient alors l’album posthume (même son artwork, la photo d’un immeuble dont seule une fenêtre dégage de la lumière, évoque la mort et le deuil), celui qui précède la séparation du groupe. Contextuellement parlant, le dernier album de la carrière du groupe, donc. Son testament. Avant sa reformation en 2000. En cela, il constitue une pierre angulaire dans la carrière du combo canadien. Il y a clairement un avant et un après « The Process ». Voilà pour le contexte.
L’album s’inspire d’une secte du nom de Process Church of the Final Judgement, dont Ogre, le chanteur de Skinny Puppy, a compté parmi les fidèles, par le truchement de Genesis P-Orridge, figure mythique de la scène industrielle des années 70-80 et associé(e) (l’artiste a notamment changé de sexe en cours de route) à des groupes légendaires que tout amateur d’indus se doit de connaître, comme Throbbing Gristle et Psychic TV. Musicalement, le Cabot rachitique accouche d’un album en apparence plus simple que son prédécesseur, a priori plus accessible, plus commercial, diront les esprits chagrins. En réalité, il n’en est rien, tant chaque nouvelle écoute permet de mettre en exergue la richesse infinie des arrangements, mais aussi de la structure sophistiquée des titres qui le composent. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’extrême diversité de l’ensemble, et la présence nette des guitares. Contrat rempli, donc, pour coller à l’air du temps. Mais le groupe ne cherche pas à copier la concurrence. On se trouve à des lieues d’un Ministry ou d’un NIN, mais bel bien chez Skinny Puppy. Son âme damnée habite plus que jamais l’album tout entier. La voix d’Ogre se montre tour à tour mélodique, agressive, mélancolique, trafiquée, pure, claire, torturée, froide, chaleureuse, incarnée, anéantie, élégiaque. En clair, plus polymorphe qu’à l’accoutumée. En un mot : habitée. Tout en gardant une cohérence dans la succession des titres qui constituent la setlist, après une intro quasi instrumentale de toute beauté dont la richesse annonce la couleur (« Jahya »), à grands renforts de piano larmoyant, de guitares sur-saturées et d’un groove désespéré, on passe de la chanson agressive très metal-indus (« Hardset head », « death ») à l’electro bien dark (« Process ») voire dansante à vous en faire bouger le popotin en enjaillant la piste de danse (« Blue serge », « Morter »), en passant par la ballade robotique à vous en foutre la chiale (« Cult », « Amnesia »). Sans jamais que ces changements de registres ne viennent dénoter, mais plutôt avec la joie que procure la noria de surprises que réserve chaque nouvelle chanson. D’ailleurs, il s’avère en réalité impossible de clairement classifier chaque titre puisque tous combinent plusieurs éléments qui découragent toute tentative de rangement dans une quelconque case. Exemple : « Candle », entre ballade martiale et oraison funèbre, enrichie des arpèges d’une guitare acoustique, matraquée par une rythmique aussi froide qu’une morgue un soir d’hiver sans électricité en Sibérie, qui invite au claquage de bottes, et scarifiée par des riffs de gratte saturés, le tout mené par des mélodies vocales tour à tour scandées en chœur ou en canon, plaintives et mélancoliques en diable. Autre exemple : « Death ». Grosse présence de guitares abrasives, ruptures et breaks en pagailles dans la structure, samples de l’espace et nappes de claviers malsaines, prosodie hypnotique pleine de rage des lignes de chant superposées, agressivité et urgence dans l’ambiance générale du titre. Bijou !
Paradoxe : pour le fan pur et dur, « The Process » ne constitue pas le meilleur album et peut même décevoir, tandis que pour le néophyte, il représente une belle et excitante porte d’entrée dans l’univers nébuleux de Skinny Puppy. Comment concilier ces deux publics ? En considérant l’album dans sa singularité. On peut alors explorer à l’envi les richesses qu’il recèle et qui se dévoilent à chaque nouvelle écoute. Quoi qu’il en soit, cet album comme un baroud d’honneur, un chant du cygne, un dernier tour de piste, reste sans doute le plus humain de sa discographie. Des tripes tapissent chacun de ses recoins. Des larmes, de la sueur, de la rage et de la tristesse. C’est là que je vous renvoie, en guise de conclusion, aux toutes premières lignes de cette chronique ultime. La vie est une série de cycles.
3 COMMENTAIRES
Xuaterc le 18/06/2023 à 07:41:04
Ah le le Metal Indus des années 90, un sujet infini. Merci de mettre en lumière cette formation indispensable. Chouette chronique. Elle fait un peu écho à celle que j'ai écrite cette semaine.
Crom-Cruach le 18/06/2023 à 08:18:16
Bon le Metalleux (encore appelé Hard Rocker) et le punk se sont jetés sur NIN (Head like a hole !!) et sur Ministry, quelques années avant tout de même.
Moland le 18/06/2023 à 16:30:55
Crom, je dis pas le contraire, si ?
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