Touché Amoré - Lament

Chronique CD album (35:56)

chronique Touché Amoré - Lament

Je suis une merde.
 

Alors, pas dans tous les domaines, je me débrouille plutôt bien au scrabble et je trouve souvent la fin des films (et je me garde de spoiler). Non mais si j'affirme ça sur un webzine musical, c'est que je suis une merde dans l'exercice de l'art musical. J'ai fait neuf années de solfège, écouté des disques pendant des centaines de milliers d'heures, mais, avec un instrument entre les doigts : je suis une merde. Pourtant, je me suis intéressé à beaucoup d'instruments (cuivres, guitare, basse, percus) sans la moindre réussite. J'ai certes eu plusieurs 20/20 en flûte à bec au collège, mais l'enseignement public est plutôt généreux quand tu sais jouer "When the saints come marching in", même approximativement, avec une flûte à 25fr de chez Mammouth.
 

Heureusement, Internet existe.
C'est un lieu magnifique pour tous les frustrés de la Terre et dans tous les domaines.
Fort logiquement donc, je passe quelques pauses méridiennes scotché sur Youtube a regardé des musiciens en pleine séance de masturbation publique sur leur instrument pour gratter des likes. Je prends aussi pas mal de plaisir en qualité de lecteur silencieux des sections commentaires où l'on s'écharpe, avec des arguments fallacieux sur "Qui est le meilleur guitariste ?", "Qui est meilleur technicien ?" et blablabla.

Vu d'extérieur, pour les mecs comme moi, des brelles qui aiment la musique, c'est du porn ou plus précisement du candaulisme : on regarde les autres faire ce qu'on ne sait pas faire et on se branle dans notre coin, excité par le spectacle.
 

Le rapport avec ce dernier album des Touché Amoré ?
J'y viens.
 

Si la performance technique est une chose (et je l'apprécie, avec le regard d'un profane), si des albums de metal prog', technique (etc.) me filent le gourdin, il y a aussi des albums comme le dernier Touché Amoré.
Soyons clairs, Lament n'est pas le niveau 0 de la technique, c'est un album d'un groupe qui a largement fait ses preuves sur une scène où la branlette importe peu. Ils ne sont pas là par hasard.
Non, ce qui est intéressant dans cet album et dans Touché Amoré plus généralement (et dans le rapport que j'ai avec ce groupe plus personnellement [et ce point est important quand on lit une "critique". Subjectivité tout ça tout ça...] avec ce groupe) : je ne devrais pas être très fan de ce que font les Américains.

Je n'aime pas leur son, leurs choix de prod, la voix du chanteur, les morceaux dont on voit venir le propos musical plutôt facilement. Si je restais très "terre à terre", ce groupe m'emmerderait. Mais dans ce style et avec eux,  plus particulièrement, il vaut mieux mettre ces questions de côté.
Sans tomber dans la généralité, nombreux sont les musiciens avec un gros bagage technique à trouver leur plaisir chez les albums de performers. Plus c'est alambiqué, plus ça leur plaît, les laissant parfois insensibles à l'émotion que des musiciens savent faire passer avec une écriture plus "sobre" pour ne pas dire "élémentaire" quand elle n'est pas, en plus, répétitive.
Or, Touché Amoré, c'est tout ça.

Il y a tout de même une volonté du groupe de changer, d'évoluer en prenant Ross Robinson à la production. De quoi "muscler" et "lisser" leur son pourrait-on croire avec le producteur des premiers KoRn et Slipknot. Mais c'est aussi le producteur d'Amen, Glassjaw, des Blood Brothers. Des albums qui ont conservé un rendu "brut" de leur son. Sans gonflette, sans d'innombrables coups de polish. On rajoutera donc ce Lament à cette short-list : propre, sans avoir été lourdement retravaillé avec des petits détails qui, accumulés, font la différence avec les précédents opus : des sons / effets de guitare (plus post-rock / shoegaze), un piano ("A forecast"), une profondeur dans le son de la batterie, un travail sur la place du chant ("Come Heroine")...
La volonté de renouvellement se retrouve aussi avec un titre comme "Reminders", improbable pause pop-punk à roulettes pubère avec son clip trop choupi !
Autant de nouveautés qui se mêlent aux ingrédients historiques de Touché Amoré sur lesquels je ne vais pas m'attarder, je t'invite à lire les articles de mes camarades de zine.
 

Quand on est un aussi "gros" groupe (pour une scène de niche), évidemment on sait écrire des morceaux. Cela semble être le minimum. À ce niveau, le groupe sait composer, il n'y a pas de doute, même si parfois son propos (parfois) prévisible peut gâcher le plaisir. C'est d'ailleurs de moins en moins le cas depuis Stage four.
 

Mais ce qui fait que l'on aime Touché Amoré dépasse largement le cadre des considérations techniques. Il aurait pu être un bon groupe et avoir son petit noyau de fans locaux et plafonner à 5 ou 10.000 fans numériques sur les réseaux sociaux. Mais, dans notre microcosme, T.A fait l'exploit de dépasser les 150.000 "likes".
Pourquoi ? Comment ?
En touchant les petits coeurs. Nos petits coeurs fragiles. Les plus habiles techniciens peuvent faire étalage de leurs compétences et me secouer le caleçon, ils ne parviendront jamais à provoquer ce que Touché Amoré parvient à faire avec des accords basiques, des recettes classiques de leur genre. Jeremy Bolm propose des lignes de chant plutôt limitées. On ne peut pas le louper, ça m'a fait lever le sourcil deux-trois fois durant l'album. Et alors ? Même en ne pigeant rien à son anglais, on est touché par ses mots. C'est encore pire quand on comprend les paroles, la sensibilité avec laquelle il les a écrites et criées touche toujours en plein coeur. Une histoire de sincérité, de sensibilité, c'est difficilement explicable.
Des mots mis en en musique par un groupe qui gère parfaitement les temps forts, intenses, les crescendi et les temps de pause. C'est sans doute là le plus grand bond qu'ait fait le groupe depuis deux albums et qu'il confirme ici.
 

Il n'est pas nécessaire d'avoir des compétences pour écouter, aimer la musique ou particulièrement un groupe. Il n'est parfois même pas nécessaire d'avoir de grandes connaissances pour en parler. Il suffit d'avoir les mots et un peu de motivation.
Pour Touché Amoré c'est différent. Par ses titres, par sa capacité à nous faire dégueuler d'émotions, il sape les mots, il coupe la parole, il brise toute argumentation, tout raisonnement cartésien et casse même les grands principes personnels que l'on peut s'être "imposés" pour comprendre ce qui nous fait aimer un style musical.
Après un Stage Four magistral, le groupe a su rebondir en se renouvelant timidement, mais sans perdre ce "truc" indéfinissable qui nous fait tant l'aimer.

photo de Tookie
le 15/10/2020

7 COMMENTAIRES

ONNY

ONNY le 15/10/2020 à 14:55:31


Le refrain chanter en coeur me fait penser au groupe Hellions
Ça donne envie d’écouter

cglaume

cglaume le 15/10/2020 à 17:02:44

Mon commentaire est nul mais..... Argh: crescendi ???? Bobo !

Caro

Caro le 15/10/2020 à 17:07:54

Je valide entièrement ton approche de cet album ! Excellente chronique 👏

Tookie

Tookie le 15/10/2020 à 17:32:02

@Cglaume : Quand tu te te fais tarter la nuque à 7 ans parce que t'as dit "des crescendos" au lieu de "des crescendis" par ton prof de solfège, tu te rentres dans le crâne qu'on dit "crescendi". Que ça fasse bobo ou pas 28 ans plus tard ou pas !

@Onny : Connais pas du tout Hellions !

@Caro : Merci !

LudwiGretsch

LudwiGretsch le 16/10/2020 à 11:49:35

Très bon disque, direct et énergique, dans la continuité de Stage Four; peut-être légèrement inférieur me concernant car moins émotionnel, moins définitif ! Mais les compos sont là, le son est là (la touche Robinson n'a heureusement pas dénaturé le son propre au groupe), toujours reconnaissable entre mille... Pas déçu donc, et je repars m'écouter de ce pas le fantastique Live at The Regent !

Freaks

Freaks le 16/10/2020 à 14:28:57

Deux pouces levés comme d'hab... Un pour la chro, l'autre pour Lament ;)

Guigui noiseup'

Guigui noiseup' le 17/10/2020 à 01:11:50

Encore une chouette découverte grâce à tonton touktouk
Merci ! 😉 

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