Ufomammut - Fenice
Chronique CD album (38:19)

- Style
Doom psychédélique - Label(s)
Neurot Recordings - Date de sortie
6 mai 2022 - écouter via bandcamp
S'il y a un groupe qui porte bien son nom, c’est assurément Ufomammut. Du reste, si on devait lui attribuer un signe astrologique, ce serait le capricorne : les pieds sur terre et la tête dans les nuages. En clair, tout comme son blase le suggère, le combo transalpin livre une musique qui relève le défi de maîtriser l’équilibre des antipodes : à la fois pesante, bien ancrée dans la fange, et sidérale, baignée dans les nuées. Ce n’est pas un hasard s’il évolue au sein de l’écurie de Neurot Recordings, le label de Neurosis, l’un des 5 meilleurs groupes de toute l’histoire de la lourdeur éthérée.
A l’issue de sa précédente sortie, 8, le groupe semait le doute quant à son avenir, incertain. Départ du batteur, membre fondateur, pandémie mondiale frappant l’ensemble du milieu culturel, Apocalypse à l’issue brouillée. C’est donc logiquement que l’album sorti en 2022 se nomme Fenice, soit le phénix, dans la langue de Dante. Renaître de ses cendres, certes, mais pour quel résultat ? Les aficionados y retrouveront leurs repères, d’aucuns pourraient même ressentir une pointe de déception face à un apparent manque de renouveau, malgré la place laissée au nouveau membre qui s’exprime avec une totale liberté. Pour autant, à bien y réfléchir, il nous semble que Ufomammut revient sur le devant de la scène, non pas pour resservir la même recette, stricto sensu, mais bel et bien avec un regain d’inspiration dans sa façon de l’appliquer. Explications.
Il faut assister à une prestation live du groupe pour saisir les arcanes de cet album. En l’occurrence, c’est avec le titre d’ouverture, « Duat », que le trio a lancé les hostilités de son set sur la scène de la Valley, au Hellfest. Littéralement une longue entrée en matière de 10 minutes, totalement instrumentale. Couillu, osé, d’une insolence folle. La rumeur imperceptible de voix sourdes comme lancées dans le vide de l’espace se perd dans les battements electro, au choix, d’une machine à maintenir la vie, ou du cœur du cosmos. Lesdits battements se fondent sans crier gare à une rythmique qui se veut nerveuse, en embuscade, quand soudain, au bout de 3 minutes, sans prévenir, la batterie entre en scène, entraînante, emportant dans son sillage guitare et basse, et partant, l’auditeur, pour une course folle qui invite à la danse. La danse : un vocable qui sonne comme la transe. Les nappes de synthé qui se joignent à la fête caressent les mouvements de l’ensemble. Car il s’agit là bel et bien d’un mouvement, le 1e d’un tout homogène que constitue la globalité de l’album. Quand le titre gagne en lourdeur, c’est sans se déprendre de son élan ultra rythmé. Ça groove comme jamais, tout en raclant le sol pour mieux envoyer la terre par pleines poignées dans le ciel. Là réside le génie de Ufomammut. Verser dans une sorte de doom expérimental, en mélangeant à la perfection ses protubérances pachydermiques aux envolées psychédéliques. Quand le titre se calme pour de bon, c’est pour mieux se noyer, par le truchement d’une subtile transition, dans les méandres du titre suivant, 3 fois plus court, qui semble poursuivre la lancée de la course entamée à un train d’enfer. Mais avec la nonchalance du temps qui s’étire.
On comprend alors ce que nous réserve l’album. Un voyage aux confins du cosmos, dont chaque étape, liée aux suivantes, constitue un élément clé d’un schéma global se dessinant petit à petit sous nos yeux et dans notre esprit, au fur et à mesure qu’on progresse. Ce n’est qu’au 3e titre que le chant intervient, aussi traînant qu’une étoile filante croisée au lointain. Le groove demeure, mais cette fois, avec une cadence chaloupée qui se veut hautement sensuelle. De quoi rêver d’une partie d’escalade de rideaux en apesanteur. Et comme dans tout coït réussi, il convient d’y imposer un changement de tempo, des ruptures, des montées en puissance. « Psychostasia » nous les offre avec générosité. Dans sa dernière partie, tous les instruments s’emballent, tandis que la voix, traînante, se montre plus puissante. L’orgasme ne représente pas pour autant une fin en soi, puisque, sans marquer de pause, nous voilà repartis pour 7 nouvelles minutes à tutoyer l’infini avec le corps et l’âme.
Les 7 minutes de « Metamorphoenix » se veulent le prolongement en miroir de « Psychostasia ». Plus calmes, tout en lente montée en puissance, elles s’écoulent au rythme des pulsations de l’univers, de sa respiration. Tout l’album joue avec cette alternance, ce jeu d’équilibre entre les strates successives que traverse l’esprit dans son périple cosmique. Tout en gardant exactement le même tempo, basculer des coups de masse du début de « Pyramind » à l’indolence de sa seconde moitié relève du génie. D’autant que c’est avec un naturel qu’on ne saurait remettre en question comme on ne conteste pas les lois qui régissent l’univers que le morceau s’enchaîne avec le chaos organisé de la courte conclusion de l’opus. A l’issue de cet album, finalement trop court, on se sent comme le fœtus de 2001, l’Odyssée de l’Espace. L’étendue de l’univers nous paraît plus familière tout en gardant jalousement ses secrets les plus profonds.
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