Krack - Interview du 06/10/2024

Membre(s) interviewé(s) : Alex / Léo
Salut Alex, content de causer avec toi ! J’aimerais commencer par remonter un peu dans le temps pour évoquer la release party de ton EP, Bakounine, à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister le vendredi 4 octobre à l’Olympic Café. Si tu me parlais un peu de la manière dont ça s’est organisé et comment tu l’as vécue sur le moment ?
Eh bah écoute, dans la mesure où c’était le premier concert de Krack pour le deuxième EP, ça a généré une grosse montée de stress. Le projet est un peu venu d’une erreur statistique ; j’avais vite-fait repris avec mes musiciens suite au départ de ma mère et grâce à des contacts dans le hip hop, là d’où je venais au départ, on m’a fait écouter une ou deux tracks d’un beatmaker qui voulait se lancer dans quelque chose de plus metal. La première, puis la deuxième chanson ont bien fonctionné, ce qui a donné un EP rehaussé par l’intérêt de la MAO. Il y a eu une grosse appréhension derrière dans la mesure où on n’était plus remonté sur scène et que, malgré les réarrangements studio et les régulières additions de grattes, la prévalence des beatmakers donnait une approche de composition beaucoup plus hip hop. On vient avec une compo basée sur une instru, puis on fait tous les arrangements et l’écriture en un jour. L’appréhension venait en grande partie de comment adapter ça sur scène ; à ce niveau, on pouvait partir sur quelque chose de plus metal, ce qui impliquait de prendre des musiciens et leur faire apprendre les pistes, qu’on devait alors retoucher avec le risque de modifier le son et, surtout, une communication par forcément très honnête par rapport au format plus typé hip hop du projet. Du coup, en termes d’arrangements, on a décidé de garder, de gonfler même les parties metal sur scène, qu’on a fait retoucher par l’ingé son en conséquence de manière à obtenir une prestation où je serais solo ; de base je compose et gère moi-même la direction artistique sur les instrus à choisir.
Tout ça, c’était en effet quinze ans après être monté sur scène avec mes premiers projets de metal ; j’ai même sorti un album de reggae entretemps, donc des milieux et surtout des prestations scéniques complètement différentes. C’était donc une grosse appréhension mais ça s’est très bien passé, avec évidemment tous les soucis techniques habituels rencontrés dans ce genre de petites salles quand on recommence. On était tout de même ravis du résultat ; il y a eu suffisamment de personnes et j’ai surtout eu l’impression qu’elles avaient mieux compris le projet, notamment au niveau de sa forte composante politique, qui se comprenait manifestement mieux sur scène par rapport à la première écoute de l’EP. On aime ou on n’aime pas après, question d’appétences personnelles, mais le propos artistique est bien mieux passé en live, ce qui était complètement l’objectif.
Donc arrête-moi si j’ai mal compris, mais ça veut dire qu’au premier chef tes auditeurs ne comprennent pas systématiquement la portée politique de Krack ? Ça me semble pourtant tellement évident dans toute l’esthétique qui entoure le projet… Comment tu mets ça en place de manière plus concrète ?
Je pense qu’on peut déjà parler du fait que les paroles sont tout le temps criées sur les morceaux plus politiques et que, au final, les voix orientées dark plus compréhensibles sont calées sur les parties électro et leurs paroles se consacrent le plus souvent au monde de la nuit et aux thématiques sexuelles ou relatives à la drogue. On en parle beaucoup, d’ailleurs, avec l’ingé son, de comment rendre les paroles plus intelligibles, en particulier lorsqu’elles sont criées ; racheter un micro, revoir les enregistrements, méthodes de doublage et de backing… On fait un vrai travail là-dessus. Parmi les gens qui écoutent beaucoup de metal, en plus, une certaine partie d’entre eux ne s’attendent pas spécialement à un propos politique très fort, ou alors ils s’orienteraient plus vers des groupes avec un côté parlé plus flagrant comme Mass Hysteria. L’auditeur de metal français a moins l’habitude de propos criés dans ce style-là, alors qu’on peut entre autres se rappeler des scènes hardcore new-yorkaise ou californienne, qui ont quand même eu moins d’influence sur le public de nos contrées, ce qui l’a beaucoup moins préparé à entendre un propos politique sur le type de format que j’ai adopté.
D’un autre côté, on peut quand même dire que l’auditeur français, ton public-cible en somme, ne s’attend pas non plus spécialement à la typologie de chant guttural très particulier que tu déclames sur Bakounine… Vers quoi on bascule en termes de références purement personnelles ?
Après, moi tu vois je viens du grindcore, j’avais vraiment commencé par ça dans mes jeunes années, puis avec mes origines plus rap je suis passé par le néo metal qui me parlait beaucoup plus notamment dans le côté très brut et efficace de sa phase de composition qui me parlait beaucoup. Ce qui fait que j’ai beaucoup écouté Deftones, Skindred que je trouve toujours terrible bien que je trouve qu’ils peuvent faire d’énormes erreurs dans certaines de leurs compos… Mais au final, je pardonne beaucoup plus de maladresses de composition aux groupes qui essayent d’innover dans le son, tandis qu’un groupe qui plus standard je peux kiffer mais à ce moment-là il faut vraiment qu’il soit parfait.
Au final je me suis de longue haleine reposé cette approche pluristylistique, qui s’est aussi construite dans ma vie personnelle : étant LGBT je traînais dans beaucoup de milieux électro ; venant des quartiers de Marseille j’écoutais plutôt du rap ; ayant une compagne africaine elle me passe plein de musique africaine… Mais moi, ce qui me plaisait le plus c’était le metal. Donc structurellement, de toute manière, je possède une vraie diversité musicale que j’écoute au jour le jour et que je voulais voir retranscrite en tant que telle. C’est même pour ça que j’utilise beaucoup de techniques différentes, parmi lesquelles le chant guttural pour lequel je m’inspire énormément du raggamuffin, même si ça ne se voit pas forcément au premier coup d’œil et que de toute façon je n’écoute plus ça, mais la technique vocale relative au genre me permet justement de rendre ces parties vocales-là plus compréhensibles.
Bref, l’approche est pluristyles et veut intégrer toutes mes inspirations dans un ensemble cohérent. D’où le fait que, pour l’instant, je compose tout seul et ne prends aucun musicien pleinement impliqué dans le groupe : selon ma vision de la chose, du fait que je me revendique d’une pléthore de styles différents, je considère qu’il faut une unique personne pour décider de la cohésion artistique de l’ensemble et garder une cohérence sans se donner un côté trop « fourre-tout », comme ça a pu se constater avec Papa Roach qui s’est trop perdu dans un côté un peu reggae sans que ça ne fonctionne à mon sens. Ça relève beaucoup des dynamiques de groupes je trouve : quand ils veulent expérimenter de nouvelles sonorités, c’est beaucoup plus facile de les intégrer dans un ensemble cohérent en étant seul qu’en étant cinq musiciens, chacun avec ses propres influences, qui peuvent donc se planter beaucoup plus facilement. Beaucoup de groupes de néo se sont un peu perdus dans cette dynamique comme Limp Bizkit, dont le virage intégral dans le rap n’a pas été la meilleure période de leur carrière.
Tu ne manques décidément pas une occasion de clamer tes références néo metalleuses ! Si je mets ça en parallèle avec ta catégorisation autorevendiquée de « trap metal », on pourrait presque y voir une sous-catégorisation du genre…
Ah, complètement ! J’ai une réelle inspiration de base envers le néo même si j’essaye, non pas d’en corriger mais d’en enlever les points que je trouve moins optimaux, notamment sur ses flows purement rap qui essayaient de reproduire les rappeurs des années 1990 sans même atteindre la moitié de leur niveau technique – « N 2 Gether Now » de Limp Bizkit avec Method Man par exemple ; la chanson est bien dans l’absolu mais entre Fred Durst et lui, le delta est gigantesque, tu as l’impression de comparer un chanteur de MJC à Eminem… Du coup, j’essaye vraiment de corriger ce qui m’agaçait de plus en plus de la part de plein de groupes de nu metal, à savoir : essayer d’avoir un pack cohérent, dont chaque album figure conceptuellement une période fictive bien qu’inspirée de ma vie réelle. Je structure l’histoire en amont, puis je construis les chansons après. Je détermine un monde global et je n’en sors pas !
C’est même dans la construction de ce storytelling que tu t’es décidé à le définir en tant que trap metal ?
En fait, comme je le disais, ça venait plutôt d’une erreur statistique ; j’avais vite-fait repris un groupe avec l’idée de faire ce que j’aimais bien, à savoir du Deftones ou plus largement du néo avec pas mal de mélo et c’est après, en m’entendant avec des rappeurs, qu’on a commencé à composer des chansons avec des rythmiques trap, que j’ai intégré à posteriori en me découvrant un intérêt pour la chose. J’ai aussi beaucoup été influencé par les milieux indus – Nine Inch Nails, que j’ai bouffé comme un cochon à l’époque, Combichrist ; toutes ces approches hybrides électro/metal, quoi. Ça a été en quelque sorte une découverte de comment intégrer tous ces sons dans un ensemble ; c’est vraiment après que je me suis posé la question du style dont ça se rapprochait le plus. J’ai commencé par composer les chansons que je voulais au moment où j’en avais besoin, parce qu’entre autres je venais de perdre ma mère, j’ai eu de gros problèmes de santé… Bref, c’est en me découvrant à travers les chansons que je voulais faire que je l’ai dénommé « trap metal ». La démarche est un peu opposée, en fin de compte. Et ça, pareil, ça a été possible parce que je travaille et compose tout seul, même si avec des beatmakers, ce qui m’a permis d’aller chercher plein d’instrus venant de beaucoup d’horizons différents – tu en as de Russie, d’Amérique Latine, d’Afrique du Nord, d’Europe de l’Est, des États-Unis évidemment… Je n’en ai pas d’asiatiques pour le moment mais je discute avec un Kazakh que j’aimerais beaucoup intégrer sur le prochain album. L’idée, derrière, c’est dans la très vaste sélection d’instrus de beatmakers que j’écoute, lorsque l’une d’entre elles m’inspire une image, paf je l’ajoute dans la bibliothèque, et dès que j’ai de quoi restituer l’ensemble cohérent de l’univers que je veux développer, je reprends toutes les instrus présélectionnées pour en fait un patchwork qui y correspond avant de les retravailler.
Pour revenir justement sur le néo metal, il y a une démarche de création derrière, à travers la découverte et une direction artistique très précise sur le fond – d’où l’importance des textes –, ce qui me permet de choisir tout de suite que la vibe de telle instru me correspond. C’est notamment le cas avec les rythmiques arabisantes de « G-Hole » par exemple : j’ai pu les intégrer en me disant que leur côté pâteux, un peu mouvant, introduirait très bien l’image d’un type qui se réveille d’une overdose. Ce type de démarche fonctionne super bien quand tu travailles avec des beatmakers ; si à la place j’avais un musicien ou un sampler, il devrait travailler sur chaque chanson. Alors que sur « Révolte » par exemple, il n’y a pas de sampler et elle fonctionne très bien en tant que chanson purement néo metal, très bourrine et directe ; on a juste rajouté de la 808 [samples électroniques réutilisés dans les mouvements des scènes funk ou dirty south de Memphis, aux thématiques inspirées du cinéma d’horreur, ndlr] sur les parties rythmiques. Typiquement, on a réutilisé le son de cloche de base de ces mouvements, qui est assez basique dans le trap tout en fonctionnant bien sur les rythmiques metal, histoire d’avoir une ligne directrice qui ne perturbe pas l’auditeur lorsqu’il écoute l’ensemble.
Tu fais donc majoritairement de la MAO ; les lignes de guitare et de batterie sont-elles quand même authentiques ?
Alors il faut savoir que beaucoup de beatmakers avec lesquels je travaille jouent de la gratte. Ils se chargent assez régulièrement des guitares électriques ; quelquefois ça ne colle pas vraiment à ce que j’attends donc je la fais refaire par des potes musiciens, d’autres fois le résultat me convient parfaitement ; les batteries quant à elles sont toujours en MAO. Pour les basses je les aimerais bien réelles aussi mais je n’ai pas de contact avec un bassiste qui corresponde suffisamment à ma vision du projet, donc à l’heure actuelle elles sont toutes en MAO.
Au final, à part pour les guitares on n’a pas de vrai musicien sur les parties rythmiques, ce qu’on aimerait bien changer quand même. Ce qui compte, c’est que les pistes sont retravaillées par l’ingé-son – Torpeur Beat [son Instagram par ici, ndlr], qui n’est pas du tout connu dans le metal, mais dans le rap il a travaillé sur quasiment toutes les instrus d’Holy Kidd et de Reta, qui a fait quelques featurings dans le metal très alternatif ; je vous le conseille si vous avez envie de commencer à écouter des sons dans ce style-là. C’est en effet de la MAO, mais il possède une véritable approche artistique. À terme on voudrait aller encore plus loin dans le sound design, avec des sessions studio encore plus longues.
Et par conséquent, plus de préparation…
À la limite on pourrait faire la même chose en prenant les instrus mais en faisant tout en deux jours au lieu d’un seul, avec une journée consacrée à sa structuration et aux ajouts qu’on veut – à ce moment-là on viendrait en équipe plus grosse –, puis une pour écrire le texte et le son. Mais l’idée de rester sur quelque chose d’écrit rapidement est assez importante pour moi dans la mesure où je veux capter le jet, l’inspiration du moment. Si je ne ponds pas une chanson en une seule journée, je ne la trouve pas assez efficace. « G-hole », typiquement : je ne l’aurais pas écrite la semaine suivant directement mon overdose, je n’aurais finalement pas gardé la chanson.
Ou alors elle n’aurait rien eu à voir avec la version finale de « G-hole », tant elle aurait été différente…
C’est exactement ça ! « Nahel » [le titre envisagé à la base pour « Révolte », ndlr] par exemple, je l’ai écrite le week-end du début des émeutes. Le côté énervé, révolté, s’entend d’autant mieux ; elle aurait été beaucoup moins radicale si je l’avais écrite sur un temps long. Le fait que tu l’écrives au moment où la chose t’arrive de manière si pressante dans ta tête qu’il faut absolument que tu l’exprimes, donne un côté plus intense. Alors oui, il arrive de me faire rabrouer par mes ingés son qui auraient préféré passer un peu plus de temps à les arranger, mais à ce moment-là je trouve qu’on perdrait l’intensité du moment. Pour le moment, je ne m’inscris pas dans la démarche de changer cette logique ; en revanche je ne m’interdis pas de prendre deux jours plutôt qu’un.
On reste encore dans le chaud, quoique la marmite qui bouillonne se mette plutôt à frémir, en somme !
On peut dire ça, oui !
Et du coup, structurellement parlant, quels sont les défis, voire les difficultés que tu peux principalement rencontrer dans cette démarche de mélanger autant de genres tout en parvenant à restituer une identité propre à ton projet ? En ce qui me concerne, je ne voyais clairement pas ce genre de techniques musicales employées de cette manière…
Ça rejoint encore une fois ce besoin de faire converger une multitude de milieux différents, en fin de compte. Dans ma propre logique, je suis le résultat de l’amalgame de tous ces milieux et je ne veux surtout pas en laisser un de côté, sous peine de les trahir et, surtout, de ME trahir. La véritable question réside là-dedans : comment est-ce que je me démerde pour donner une cohérence à cet amalgame d’influences ? Pour le coup, c’est un travail d’écoute de fou malade ; ça implique des heures et des heures d’écoute d’instrus quotidiennes, même quand je travaille ! Parmi les beatmakers que j’ai déjà repérés, j’écoute en boucle absolument tous les sons qu’ils peuvent sortir, je les « présave », je les « préretravaille », puis je vois si les piste-par-piste sont suffisamment intéressantes pour rentrer dans les thématiques… Il y a aussi un gros travail sur les rythmiques : on bosse beaucoup sur les vélocités pour donner un rapport plus organique aux batteries histoire de ne pas trop perdre les auditeurs issus du metal…
Et il y a le même genre de boulot sur l’univers : le plus gros défi pour moi a été de relier tout mon discours sur la liberté sexuelle, la dénonciation des violences et du non-respect des règles de droit fondamentales dans notre pays – et, malheureusement, dans plein d’autres – avec le côté rap un peu égotrip que je trouve cool aussi. C’est pour ça que je parle à travers d’un alias, Léo, qui parle en tant que victime, comme moi malheureusement, de schizophrénie, mais qui du coup lui permet d’exprimer des environnements très différents qui s’expliquent à travers un narratif. D’où l’importance des textes, encore une fois, et que je veux réaliser un vrai travail pour être encore plus compréhensible sur les prochains : je vois assez clairement que dans certaines chroniques, le propos n’est pas passé. Par conséquent on a eu des explications après coup, qui ont mieux fait comprendre le projet, mais encore une fois, pour moi, ça passe surtout à travers les textes. Toute l’histoire de l’EP consiste en une révolution anarchique qui entraîne la désagrégation de la société – c’est même pour ça que l’album s’ouvre là-dessus –, puis on enchaîne sur toutes les thématiques politiques importantes, avant que Léo ne commence à péter les plombs : toute la question de la fête ou de la drogue passe par « Maison Pourpre », avant que « G-hole » n’amorce la redescente, puis ses tentatives de remonter en tombant dans des égotrips un peu débilles (« Suce », qui veut dénoncer ces moments d’euphorie où tu deviens un gros connard arrogant qui se sent invincible après avoir forcé sur ta consommation [de drogue, ndlr]), pour finir évidemment avec la rechute qui finit par un « Suicide », avec justement une séance BDSM qui tourne au vinaigre au terme de laquelle, si on lit bien les textes, on ne sait pas vraiment qui meurt à la fin – est-ce le dom, est-ce le sub ; on ne sait même pas vraiment qui est l’un, ni qui est l’autre, de toute manière. C’est pour ça qu’il faut avoir un gros travail de recherche en amont sur la cohérence de ton propos et la manière dont tu vas le décliner, comment tu vas donner un sens à toutes les histoires que vit ton personnage à travers le texte, en ayant quelques références sonores qui ne confronteront pas l’auditeur à une espèce de patchwork complètement bordélique. Le rapport de complication entre les consommations, la réflexion philosophique et le besoin d’expression artistique, quant à ça, je l’ai, heureusement ou malheureusement, expérimenté pendant le reste de ma vie, fondamentalement ça colle bien à ma démarche artistique.
Ce qui est d’autant plus difficile dès lors que, à ta manière, on adopte un process d’écriture très rapide, j’imagine ?
En effet mais en ce qui me concerne, puisque je maîtrise l’univers que je veux restituer, à partir du moment où un événement politique ou personnel se produit, j’ai tout de suite en tête l’image que je veux en donner. Et je refuse de la lâcher tant que je ne trouve pas la base, l’instru, le beatmaker qui y correspond le mieux. Dès que je la trouve, je l’achète, je l’envoie à mes ingés son et mes musiciens et on la retravaille à partir des structures que je juge les plus cohérentes par rapport à l’ensemble sur cette fameuse journée de studio. Et ce process-là, c’est une vraie mission suicide si tu n’as pas le propos et le worldbuilding qui vont avec. Ça reste bien sûr un rapport tout à fait personnel à ce que sont la musique et la création, mais j’y recherche systématiquement la découverte soit de choses que je n’ai jamais ressenti, soit que j’ai pu ressentir différemment. Je ne m’applique pas à toujours solliciter les mêmes sensations comme peuvent le rechercher les auditeurs de rap ou de metal dans leur rapport très performatif vis-à-vis des flows les plus rapides et techniques. Si un artiste ne m’inspire rien de neuf, je peux admirer sa technique, je conserverai une écoute distanciée vis-à-vis de lui. Entre autres : Tyler, The Creator, musicalement parlant j’ai beau ne pas aimer, je saigne quand même tous ses albums ; le mec flingue le game en nouveautés à chaque fois ! Je ne donnerai pas de noms parce que je n’aime pas cracher gratuitement, mais j’ai plein d’exemples comme ça de groupes qui ont beau expérimenter de très belles choses, le faire le mieux ou à la perfection, ils n’apportent rien au schmilblick, s’il n’y a aucune vraie proposition de nature à apporter une quelconque avancée, dans la rythmique, l’instru, les textes, idéalement les trois, je suis incapable d’accrocher.
C’est, encore une fois, un rapport tout à fait personnel, mais je refuse de perdre cette logique qui m’ouvre un nouveau monde lorsque j’écoute un groupe. C’est ça, mon objectif final dès que j’en écoute un : parviendra-t-il à me montrer quelque chose de nouveau, même tout petit, que je n’aurai jamais entendu avant ? À cet égard, j’écoute à balle d’hyperpop alors que, musicalement parlant, c’est claqué au sol ; j’veux dire, beaucoup dans la scène ont sorti un beat bizarre qu’ils ont glitché à l’arrache en y foutant une rythmique à la mode enrichie de deux-trois phrases marrantes qui sonnent bien à l’oreille avec des effets pas possibles – parce qu’à mon avis ils ne savent pas très bien chanter [rires] – pis roule ma poule. Mais à chaque fois ils arrivent à développer des univers incroyables ! Je n’en écoute jamais des albums en entier, en revanche me passer des playlists de tout ce qui vient de sortit en hyperpop ça oui ; l’approche est ultra-minimaliste mais en termes de créativité ça part tellement dans tous les sens et t’envoie dans tant d’univers différents qu’au bout d’une heure et demie, t’es fatigué ! À côté, les playlists de death metal récent te fatiguent peut-être les oreilles et justifient d’une maîtrise technique incroyable mais je suis rarement surpris [note d’Aldorus : par pitié Cromy ces propos n’engagent qu’Alex ; tracke son IP à lui si la lecture de ces lignes te file des pulsions génocidaires, moi j’ai rien fait hein] ; j’adore le death metal, l’approche correspond juste moins à ce que je recherche.
Ou alors tu ne fais que moins la rechercher à l’heure actuelle, puisque tu m’as dit un peu plus tôt qu’il t’est arrivé de faire partie d’un groupe de grindcore…
Bah oui, mais moi je suis vieux ! Quand j’ai fait du grind, c’était à la fin des années 90 ! À ce moment-là on jouait dans des vieux squats ; c’était le moment où le metal commençait un peu à péter suite au succès du grunge de la fin de Nirvana et des débuts de Korn qui commençait à péter des bouches ! Vu que Marseille s’était bien imprégné de cette attitude hip hop, ça a bien pris grâce à cette proximité, qui à mon avis était quand même plutôt exagérée – avec le recul, quand tu écoutes Korn, malgré qu’ils en aient notamment beaucoup intégré dans l’attitude, est-ce que c’était si hip hop que ça ? (J’adore Korn quand même, hein, c’est pas la question) Ça restait quand même le début de l’ouverture du hip hop au metal, ce qui fait que certains commençaient tout juste à s’ouvrir aux styles de musique extrêmes. Tu étais donc dans le sud de la France à la mi-fin 90’s et tu jouais du grindcore… J’assiste toujours à des concerts là-dedans parce que dans le genre ils sont très forts pour développer un univers très cohérent, avec des textes et un propos certes exprimés de manière minimaliste pour les raisons musicales qu’on connaît. Quand tu te réclames d’un milieu tellement niche et hardcore, tes chances de mobiliser un auditoire un tantinet suffisant pour que tu puisses même te permettre de ne serait-ce que vaguement mal vivre de ta musique, rien que pour la beauté du geste moi j’adore ! Ça demande un tel dévouement pour une niche qui te fait finir dans un pauvre squat de merde avec trois quarts de gens tellement défoncés qu’ils écoutent à peine, voire même pas… Bon, sur les derniers concerts dans le genre j’ai vu que ça avait un peu changé, mais quand j’étais gosse, les concerts de grindcore, c’était ça ! Quand tu as la vocation de parler à un auditoire un peu plus vaste avec les moyens qui vont avec, tu essayes bien évidemment de pousser un peu les frontières, mais je connais tout de même plein d’artistes dans mon environnement qui se maintiennent dans cette optique assez puriste de pousser à fond la beauté de la répétition… Je n’ai aucun problème avec ça, mais ce n’est pas ce que moi je recherche.
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