The Great Old Ones - Interview du 06/12/2024

The Great Old Ones (interview)
 

Les œuvres de Lovecraft semblent être une source inépuisable pour votre musique. Avec Kadath, vous explorez davantage ses Contrées du Rêve. Quelle part d’imagination personnelle injectez-vous dans cet univers pour le faire vôtre ?
Benjamin Guerry (Guitare, chant) : Les écrits de Lovecraft peuvent être mis en musique de bien des façons. On peut s’attarder sur le côté horrifique, les entités, mais aussi les lieux, les ambiances, ou encore les émotions du protagoniste de chaque histoire.
Donc finalement, chaque personne met une part de sa propre imagination quand elle utilise l’univers de l’auteur dans son art. La façon dont nous nous inspirons de l’œuvre de Lovecraft est donc notre propre vision, notre propre interprétation, et elle est très tournée vers les ambiances et les émotions, et non uniquement vers le côté sombre et rampant. C’est d’autant plus vrai avec Kadath, dont la nouvelle comporte, par son sujet, plus de lumière qu’à l’accoutumée.

 

La notion de rêve, centrale dans Kadath, porte une ambiguïté : un espace de liberté totale, mais aussi de profonde aliénation. En quoi ce thème résonne-t-il avec votre propre expérience artistique ou personnelle ?
B.G. : Il y a effectivement une morale assez particulière dans la nouvelle La Quête Onirique de Kadath l’Inconnue, que je ne peux pas trop dévoiler sans spoiler la fin de l’histoire, et surtout la conclusion de Randolph Carter sur sa quête.
Mais il est vrai que le rêve, s’il est un espace sans limite, peut devenir problématique s’il prend toute la place dans la vie réelle, surtout si cette dernière est décevante. Je suis moi-même un rêveur, et il faut toujours faire attention à ne pas tomber dans l’irréel de manière permanente.
D’un autre côté, je pense aussi qu’à être trop pragmatique, on perd une sorte de magie dont est doté l’esprit humain. Et la société actuelle pousse de plus en plus à cela. Il faut rêver pour créer, avancer. Sans cela, la vie n’a pas grand intérêt.

 

Votre musique semble toujours chercher à transcender le format traditionnel du Black Metal, avec des textures sonores presque cinématographiques. En composant pour un album aussi ambitieux que Kadath, où tracez-vous la limite entre narration et abstraction ?
B.G. : Nous ne mettons quasiment aucune limite. Le seul critère est que nous soyons transportés nous-mêmes par ce que nous jouons. La musique de TGOO est un voyage, et dans le cas de Kadath, nous pouvons même dire une quête. Le Black Metal est, à mon avis, par essence transcendantal, les atmosphères possédant une place fondamentale dans le style. Évidemment, de par notre concept, la narration a une grande importance, proposant à l’auditeur de nous écouter comme il lirait un livre. Mais cela reste de la musique avant tout, donc la part narrative de cette dernière ne doit jamais la desservir.

 

Francis Caste, avec qui vous collaborez régulièrement, a une signature sonore bien particulière. Comment s'articule votre vision musicale avec son approche en studio ? Est-ce une dynamique collaborative ou une transmission de vos directives précises ?
B.G. : Un mélange de tout cela ! Il y a évidemment des directives, car nous avions une idée assez précise de là où nous voulions aller en termes de production, mais Francis est toujours dans l’optique de servir le projet sur lequel il travaille. Pendant l’enregistrement et les étapes suivantes, nous devenons clairement une équipe.
Nous avons passé beaucoup de temps à rechercher les meilleurs sons pour chaque instrument, le meilleur matériel, sans chercher à gagner du temps sur quoi que ce soit. L’objectif est que tout le monde soit satisfait du résultat, Francis y compris. Et nous sommes très contents du résultat final.

 

Lovecraft lui-même a souvent exprimé une terreur quasi spirituelle face à l’inconnu. Quelle est votre propre relation avec ce sentiment d’insignifiance face à l’immensité cosmique ou onirique ?
B.G. : Effectivement, cette fascination et cette peur de l’inconnu ont grandement influencé l’œuvre de Lovecraft. C’est d’ailleurs ce que l’on retrouve dans sa philosophie littéraire, le cosmicisme, fil rouge de notre précédent album du même nom. Nous ne sommes rien à l’échelle du cosmos. Et, comme lui, quand nous nous posons sur le sujet, nous ressentons cette immensité de l’univers, qui est vertigineuse.
Pourtant, cela ne doit pas empêcher d’avoir des projets, d’être créatif, car avancer permet de ne pas rendre la vie futile.
Au final, je dirais que nous sommes partagés. L’Homme est capable de grandes choses, et pourtant il n’est qu’une poussière devant la profondeur du cosmos.

 

Le ciné-concert autour de The Call of Cthulhu a marqué les esprits. Pensez-vous que la musique live ou d’autres formats immersifs permettent de toucher des dimensions émotionnelles ou intellectuelles différentes que l’album studio ?
B.G. : Les deux formats (musique studio et show live) sont liés et pourtant assez différents. Un album studio laisse une place totale à l’imagination de l’auditeur. Ce dernier est libre de se créer les images qu’il souhaite.
Le live, s’il perd un peu de cette liberté imaginative, développe une puissance bien plus importante. Le visuel se lie à la musique, les énergies tournoient entre les personnes du public et le groupe, le show light amène une autre dimension. Les émotions sont donc amplifiées, mais d’une autre manière que l’écoute d’un disque. Et c’est ce qui est fantastique, et donc complémentaire.
En tout cas, nous aimons toujours soigner ces deux aspects, que ce soient les objets physiques liés au travail studio, ou les spectacles qui se doivent d’être immersifs et puissants.

 

Dans Kadath, vous semblez explorer une approche encore plus narrative et atmosphérique que dans vos albums précédents. Était-ce une intention dès le départ, ou ce cheminement s’est-il imposé au fil de la composition ?
B.G. : Concernant cette approche, je mentirais si je disais que cela est calculé. Évidemment, au vu du choix de réaliser un concept album autour d’une nouvelle complète, comme c’était déjà le cas pour Tekeli-li et EOD, ce sentiment de narration devait naturellement être présent, et je suis d’ailleurs très content que tu me dises cela. L’objectif est vraiment d’immerger l’auditeur dans l’aventure de Randolph Carter, comme s’il lisait directement la nouvelle : qu’il ressente les émotions du protagoniste, qu’il vive les épreuves avec lui, et qu’il admire les paysages avec les mêmes sensations que le héros.

 

Le Black Metal est un genre souvent associé à l'hostilité ou au rejet des émotions humaines. Pourtant, vos œuvres, bien que sombres, recèlent une certaine mélancolie. Considérez-vous cela comme une contradiction ou une évolution naturelle du genre ?
B.G. : C’est assez étrange, car j’ai toujours trouvé le Black Metal bourré d’émotions, que ce soit chez Emperor, Mayhem, Ulver, etc. Je crois surtout qu’il y avait dans le Black Metal des débuts une certaine forme de rejet de la fragilité humaine, au profit d’une colère plutôt bestiale. Mais cela n’empêche pas, à mon sens, toute sensibilité, au contraire.
Il y a bien sûr des groupes qui arrivent très bien à tout miser sur la violence, la haine, mais, et même si je les apprécie, je suis toujours plus attiré vers un groupe qui me donne l’impression de taper directement dans mon âme. Et je n’ai pas l’impression que ce soit une contradiction, ni une évolution d’ailleurs. Le Black Metal a toujours été assez varié et continue d’explorer une multitude d’aspects de la psyché humaine.

 

Avec des morceaux comme "Leng" ou des évocations de lieux mythiques comme Ulthar, vous incarnez presque un rôle de cartographes musicaux. Pensez-vous qu'il soit possible d'écouter Kadath comme une sorte de voyage initiatique ?
B.G. : Le personnage de Randolph Carter se rendant compte, à la fin de l’histoire, d’une chose importante dans sa vie, on peut voir cet album comme un voyage initiatique, effectivement. Cela revient un peu sur ta question concernant le rêve. Il faut parfois regarder dans sa vie réelle, et dans ses souvenirs, pour mesurer l’importance de certaines choses, au lieu de toujours rêver à mieux. C’est un travail difficile, et il faut de temps en temps traverser des épreuves pour s’en rendre compte. Le protagoniste de Kadath traverse effectivement de multiples lieux, et rencontre de nombreux personnages. Et grâce à cela, il pourra regarder sa vie différemment.

 

Votre reprise de "Second Rendez-Vous" de Jean-Michel Jarre est intrigante. Qu’est-ce qui vous a poussé à revisiter cet univers électronique ? Était-ce un simple défi ou une manière d’étendre les limites de votre identité musicale ?
B.G. : Il y avait l’envie de proposer une reprise en bonus track de l’album (exercice que nous n’avions pas réalisé depuis notre cover du morceau "Bachelorette" de Bjork). Et ce morceau me suivait depuis bien longtemps. Mes parents avaient un 33T du live à Houston de Jean-Michel Jarre, et je l’écoutais tout le temps quand j’étais gamin. Cela me touchait bien plus que leurs vinyles de disco ou de variété française. "Second Rendez-Vous" m’avait d’ailleurs particulièrement marqué par sa dimension dramatique et son côté baroque.
Je suis retombé par hasard sur ce 33T quelque temps avant de rentrer en studio, et cela a été une évidence. Il y avait effectivement un genre de challenge à l’adapter, mais j’étais persuadé que cela allait coller avec le style de TGOO. La musique de JMJ, surtout celle de cette époque, appelait au voyage, comme nous le faisons de notre côté.

 

Les changements de line-up semblent presque une constante dans l’histoire de The Great Old Ones. Voyez-vous cela comme une fragilité ou, au contraire, comme une source de renouvellement et de fraîcheur ?
B.G. : Effectivement, on ne va pas se le cacher, il y a eu beaucoup de changements au sein de TGOO, et ce pour de multiples raisons. Je ne pense pas que cela soit une fragilité. Évidemment, autant certains départs ont été salvateurs, autant d’autres ont été un vrai déchirement.
Mais le groupe s’en est toujours retrouvé grandi, que ce soit dans le fait d’apprendre de ses erreurs, mais aussi de créer un nouvel élan. Même si je ne peux prédire l’avenir, tous les membres actuels représentent exactement ce dont TGOO a besoin.

 

Enfin, le mythe de Kadath évoque un désir inassouvi, une quête sans garantie de succès. Comment percevez-vous cette notion de quête dans votre propre parcours musical et créatif ? Y a-t-il une Kadath personnelle que vous poursuivez encore aujourd’hui ?
B.G. : L’objectif de TGOO est d’aller toujours le plus loin possible, de jouer dans un maximum de lieux, donc il n’y a pas de but précis. Cependant, nous avons comme motivation de toujours proposer des albums dont nous sommes fiers, qui nous transportent nous-mêmes avant même de transporter les autres, et de proposer des shows scéniques qui soient un véritable voyage pour le public.
Donc, à la différence de Randolph Carter, pas de quête unique, mais un besoin permanent de progression.

 

Dernière question, un peu en rapport avec les 20 ans de COREandCO. Quel rapport entretenez-vous avec la presse ? Qu’elle soit papier ou numérique.
B.G. : Dès le début du groupe, la presse nous a beaucoup accompagnés, en relayant nos news, en nous chroniquant, en faisant des live reports. J’ai donc du respect pour elle, et une admiration pour les personnes arrivant, comme COREandCO, à faire perdurer un média aussi longtemps, et à être toujours animées par la même passion.
Cependant, la manière de consommer la presse a bien changé avec le temps. Les magazines papier ont de plus en plus de mal à rentrer dans leurs frais, et cela est dommage. J’ai toujours beaucoup de plaisir à lire un magazine quand je le peux. Les deux doivent pouvoir coexister et perdurer !


 

photo de Xuaterc
le 11/02/2025

1 COMMENTAIRE

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 15/02/2025 à 05:54:00

Que de bonnes vibes paradoxales avec ce groupe décidément...
(Paradoxales vis-à-vis de cette mélancolie hein ; qui dans la team oserait remettre en cause les qualités de leurs albums ?)

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