Abraham - Débris de mondes perdus
Chronique CD album (45:18)

- Style
Postcore / sludge - Label(s)
Pelagic Records - Date de sortie
25 février 2022 - écouter via bandcamp
Des Lausannois d'Abraham je ne connaissais pas grand chose, si ce n'est d'avoir vaguement vu traîner leur nom sur des affiches de festivals. Cela fait une dizaine d'années qu'ils parcourent les scènes et les conduits auditifs en Europe, laissant l'auditoire pour la dernière fois en 2018 avec un quadruple (!) concept-album, Look, Here Comes The Dark, qui décrivait quatre périodes de disparition de la vie sur Terre, une sorte d'opposé à ce que faisait The Ocean (avec qui ils ont par ailleurs tourné).
Débris de Mondes Perdus prend donc la suite, avec quelques différences structurelles au passage : le chanteur principal et le guitariste s'en sont allés paître vers de plus vertes prairies. Une fois Steven Margo (avec qui le guitariste restant avait joué dans Kruger) appelé à la rescousse, c'est le batteur qui récupère toute la place derrière le micro. Et pourtant le style vocal est très semblable à celui du chanteur précédent, à l'air vaguement choral, généralement clair bien qu'âpre, et quelques aventures ici et là. Pas de quoi s'étonner outre mesure cependant, puisque celui-ci s'occupait déjà d'une partie des vocaux sur les albums précédents. A priori pas forcément de changement majeur donc et pourtant cela joue sur le dynamisme de ce disque.
Dès la première écoute de Débris de Mondes Perdus, chacun des morceaux m'ont semblé offrir des choses vraiment plaisantes, avec des associations intéressantes.
Le premier, par exemple, « Verminvisible » (qui a par ailleurs été clippé), qui commence directement avec ce duo voix/batterie, qui d'une certaine façon me rappelle un peu les premières minutes de ce qu'avaient fait les Metzins de Bishop l'année dernière (même si ces derniers ont poussé l'extrême bien plus loin). Puis une grosse basse ronde et groovy vient poser une ambiance à la limite du stoner avant que les guitares ne fassent replonger dans un univers plus typiquement post-metal plus sombre. Et bizarrement, on a aussi un petit côté noise-rock à la Unsane sur l'effet général, notamment dans la combinaison de cette voix et de la ligne de basse, impression que l'on pourra retrouver sur le quatrième (« Ravenous in the Night »).
Ensuite, comme je le disais, chacun apporte ses spécificités : « Blood Moon, New Alliance » (qui n'est pas une référence au dernier Converge mais au bouquin Autobiographie d'un poulpe) et ses ambiances finales presques black atmo et son martelage tout en saturation ; la basse bien mise en avant dans un certain nombre de titres (« Maudissements », « Ravenous in the Night », « Fear Overthrown »...) ; l'ensemble d'arrangements et la batterie plus fine de « Ravenous in the Night », les simili-vibratos vocaux intéressants et différents de ce que l'on avait entendu jusqu'ici sur le morceau le plus court, « Our Words Born in Fire » ; le très très low tempo de « A Celestial Funeral »... pour ne donner que quelques légères indications de toutes les petites choses qui leur donnent leur personnalité propre.
Le dernier morceau, « Black Breath », s'ouvre avec Emilie Zoé chantant seule dans une ambiance brumeuse, avant une insertion des instruments qui me rappellent beaucoup « Under the Surface » du Times of Grace de Neurosis. Celle-ci est chanteuse et musicienne et a sorti plusieurs albums de son côté, en plus d'avoir composé la musique pour une série télévisée et des pièces de théâtre. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'elle collabore avec Abraham, puisque deux titres avaient déjà vu le jour en fin d'année dernière, « Ossuaire » et « Vaisseau Fantôme ». Et ici, idéalement placé en fin d'album, l'apport de la Suissesse invitée est notoirement bon, apportant une variation bienvenue dans les textures du chant et de la musique du groupe en général.
Parce que voilà, il y a tout de même (à mon sens) un bémol : si la variation est bienvenue, comme je le disais à la ligne précédente, c'est que certains aspects de ce Débris de Mondes Perdus ont un caractère relativement monocorde, à commencer par le chant et d'assez nombreuses sections de batterie. Et c'est peut-être là que les différences structurelles dont on parlait en début de chronique interviennent. Alors attention, je suis toujours sidéré quand je vois des gens capables d'être à la fois derrière le micro et la batterie, comme c'est le cas chez Abraham, vu comme l'exercice est particulièrement difficile, et je ne peux donc que saluer cette performance. Mais comme je le disais au début, cela joue malgré tout sur le dynamisme.
Si la basse se démarque presque toujours bien (la très belle ligne qui apparaît vite sur « Maudissements ») et que les guitares se font tantôt plombantes tantôt aériennes, les lignes de chant sont dans l'ensemble assez similaires et le groupe joue beaucoup sur les ambiances rectilignes, avec une batterie souvent monocorde qui s'étend longtemps sans beaucoup de variations. Et pourtant on trouve des tempos très différents tout au long de cet album.
Cela crée au final plutôt une ambiance générale assez cohérente, qui dessine un paysage marqué par un gros temps sur le point d'exploser, mais sans véritable climax.
Si personnellement, malgré de nombreuses écoutes réparties sur plusieurs semaines, je n'y trouve pas vraiment mon compte, j'insiste sur le fait que tous les morceaux ont vraiment des choses intéressantes à proposer, et qui pourraient vous convaincre plus que je ne l'ai personnellement été, notamment si vous appréciez déjà le travail du groupe auparavant. Je trouve par ailleurs que la seconde partie de l'album est plus réussie que la première, grâce à un apport de nombreuses petites choses intéressantes qui parviennent à maintenir l'intérêt et la curiosité malgré cet aspect parfois un peu monocorde : on a toujours un petit quelque chose à remarquer, à ajouter, à intégrer, pile au moment où l'on pourrait avoir décroché si l'écoute était trop distraite.
Ce qui est sûr, c'est que j'aimerais beaucoup les croiser en concert, qui me semblerait l'endroit le plus adapté pour en profiter vraiment, et de préférence dans une petite salle un peu à l'arraché, avec de la peinture qui s'écaille des murs, des lumières vacillantes, un côté post-industriel auquel une nouvelle vie aurait été donnée à coups de vibrations de musiques expérimentales.
Bref, au final, Abraham délaissent ici donc un peu le côté typiquement postcore des précédents albums pour l'agrémenter d'une ambiance plus sludge, et peut-être d'une direction qui tire plus vers le rock que vers le hardcore. Débris de Mondes Perdus devrait plaire à celles et ceux qui aimaient les précédents efforts du groupe (que j'ai aussi écouté, du coup), tout en ayant une personnalité assez différente. Et je m'arrête là avec cette (trop) longue chronique, en espérant avoir à peu près réussi à décrire ce que l'on peut s'attendre à trouver dans ce nouvel album des Lausannois.
A écouter à la lisière d'un orage, dont on transformerait les gouttes – proches – en saturation sonore.
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