Ekphrasis - Weird Interbreeding

Chronique CD album (01:08:29)

chronique Ekphrasis - Weird Interbreeding

C’est dingue ça. Ça fait des années que le Swedeath ne m’a pas apporté de ces gros frissons que seule la nouveauté ou un skeud terrassant peuvent provoquer, et pourtant je frétille toujours autant de l’extension caudale dès qu’un nouveau groupe à la mine patibulaire et au logo dégoulinant prétend devenir vizir à la place du Entombed. En revanche, malgré les claques que m’administrent régulièrement les Vola, Leprous, Haken et compagnie, je persiste à chroniquer les sorties affiliées à cette mouvance à reculons. Vous pensez que je ferais mieux de faire un tour sur www.adopteunpsy.com plutôt que de polluer les intros de mes chroniques, c’est ça?

 

Pas faux…

 

Quoique le paragraphe ci-dessus n’est pas si à la ramasse que ça. Parce qu’Ekphrasis appartient justement à cette scène Modern Prog / Jazz’n’Djent / Tech Loungecore riche en bonnes surprises, mais pas hyper sexy pour ceux qui préfèrent l’emballage carton des packs de bières au papier millimétré des partitions exigeantes, et la sueur des boules qui guinchent à celle des fronts tendus par la concentration. Et parce qu’une fois de plus j’ai mis un temps honteux (ce papier prend forme à la mi-novembre alors que le promo est arrivé début mai) à me pencher sur ce premier album. Pourtant, comme souvent, la pêche s’est avérée fructueuse. Certes l’opus n’est pas exempt de ces moments qui me titillent désagréablement l’hameçon (on y reviendra), mais au moment de clore l’exercice critico-comptable, le résultat net est largement positif. Et ce n’est pas étonnant au vu du CV de ces musiciens hyperactifs, multi-diplômés et multi-endorsés. Prenez Franck Hermanny, le bassiste: il officie habituellement au sein d’Adagio. On fait pire référence. Et au poste de pilotage Benjamin Savariau est connu non seulement pour avoir été le plus jeune prof de Conservatoire de France, mais également pour accompagner régulièrement de sa guitare nombre de ces « gloires » de la variété française dont vous avez entendu parler chez Drucker.

 

Alors pour décrire vite fait et – espérons-le – relativement fidèlement ce qui attend l’auditeur sur la grosse heure que dure Weird Interbreeding, on pourrait parler de « Klonosphere Metal » des 2000s, canal premier-de-la-classe-de-Jazz. Si les Avignonnais ne rentrent pas à 100% dans le moule de ces petits protégés du label poitevin qui déclinent leur amour pour le Death à tous les temps meshugguiens – quoiqu’on entende grogner par moments, au milieu de ce long fleuve de chant clair –, ils manifestent la même sophistication, le même attrait pour Fredrik Thordendal et sa descendance (Benjamin est d’ailleurs l’auteur d’un écrit intitulé « Le Djent, entre évolution et révolution du langage musical et de ses moyens de développement »), et la même capacité à émerveiller l’auditeur malgré une propension certaine à truffer leurs compositions de détours parfois alambiqués à l’extrême. A cela il faut ajouter une ressemblance récurrente avec le Psykup le plus expérimental (celui de We Love You All) – sans doute du fait de certains duos en chant clair, et d’une touche parfois un peu « bobo » –, ainsi qu’avec une version plus techniquement élitiste de Godsticks.

 

Mais malgré le talent à l’œuvre sur ses 10 pistes, Weird Interbreeding ne sera pas l’album qui fera tomber les a priori et cesser le mouvement de recul décrits plus haut. Parce qu’il ne réussit pas à éviter ce que les ronchons de mon espèce considèrent comme des écueils. En effet certains de ses morceaux sont vraiment trop longs, trop inutilement bavards. Comme « Gaïa’s Equanimity », qui a quasiment tout dit au bout de 5-6 minutes, mais qui s’acharne à étaler sur le double de temps une narration musicale manquant cruellement de rebondissements. Même l’interlude « Nova » donne la sensation de faire durer trop longuement le plaisir du haut de ses 3 minutes 44 de points de suspension musicaux. Le plus pénible tient cependant dans ces morceaux qui ne parlent ni au cœur ni aux oreilles mais uniquement à la tête, lors desquels le groupe prend un malin plaisir à déstructurer, désharmoniser, déséquilibrer ce que la perception humaine classique considère comme de la musique. C’est le cas sur une partie trop importante du morceau-titre, ainsi que sur l’exercice de style particulièrement hermétique intitulé « A Maze In Oneiroi II ». Heureusement ce dernier se trouve momentanément transfiguré lors de l’un de ces instants de grâce dont Leprous n’est donc pas le seul à avoir le secret (à 4:04).

 

Ce sursaut de séduction nous offre une transition idéale entre le registre des doléances ci-dessus et le catalogue des plaisirs ci-dessous – dont les pages fournies expliquent que l’album frôle finalement un très honorable 8/10. Car pour l’amateur d’intelligence musicale, écouter Weird Interbreeding c’est comme s’installer à la table de Robuchon pour le gourmet, ou tenir un stand au Salon International du Jouet pour le pédophile: une source de joie et de félicité ineffable. Car s’il est vrai qu’il y a un indéniable côté geek dans cette musique, il s’agit de ce genre de geeks qu’on ne peut s’empêcher d’admirer et de trouver foutrement séduisants. Un peu le même ressenti qu’avec Animals As Leaders, auquel on pense d’ailleurs à l’occasion d’un superbe accès de télégraphie guitaristique à 3:23 sur « Breaking Colours ». L’une des spécialités de ces petits génies consiste à élaborer de complexes enchevêtrements de plans truffés de contre-temps, de décalages tordus et de rythmiques improbables, et d’en arrondir les angles à l’aide de chœurs éthérés rassurants, de lignes de chant clair molletonnées et de quelques accroches habiles masquant les monstres tarabiscotés sous des masques de gentils Mickeys. L’une des bottes secrètes du groupe tient également dans la basse de Franck, toute de rondeur tendue et de force tranquille. Par ailleurs, bien que cette grosse heure donne une impression de savante homogénéité, les alternances régulières moelleux / hachuré et confort / froideur maintiennent l’attention, tout comme certains changements de ton ponctuels. Ainsi « I’d Never Thought To Try » prend rapidement la tangente pour s’installer dans des ambiances qui swinguent façon « Allez viens, viens à St Germain! ». Et de son côté le fragile colosse de cristal « The Father’s Piece » manifeste cette naïveté touchante typique de ce que Devin Townsend ou Toehider auraient pu composer pour apporter la nécessaire touche de pureté à l’une de ces scènes joliment roudoudou récurrentes chez Disney.

 

Damned, quel putain de gros bloc monolithique que cette chronique! Sans doute ai-je inconsciemment voulu reproduire l’effet « gros pavé touffu » créé par Weird Interbreeding… Ce qu’il faut retenir de tout cela c’est que l’album est ultra-impressionnant, extrêmement dense, et que si l’on est plus Dream Theater que The Exploited, il est une source infinie de plaisirs raffinés. Allez, à vos oreilles de jouer à présent!

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: Ekphrasis a la classe experte d’un groupe de la Klonosphere des 2000s, mais dans une version épilée et plus jazzy. Le tableau étant posé Weird Interbreeding est logiquement l’un de ces albums extrêmement riches, pleins de recoins molletonnés, de mélodies en trompe-l’œil et de détours rythmiques qui donnent le vertige, augmenté par ailleurs d’une grosse louche de Modern Prog / Djent, d’une sensibilité extrême et de nets penchants expérimento-bobo à la Psykup. Le résultat est aussi mûr qu’impressionnant... Par contre il nécessite que l’auditeur soit sensible à la musique qui se pratique en chemise et gants blancs et qui s’apprécie pas uniquement avec les tripes, mais également avec la tête.

 

photo de Cglaume
le 22/12/2020

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