Eyes - Underperformer

Chronique CD album (31:12)

chronique Eyes - Underperformer

Formé en 2017, Eyes est un groupe de musique énervée qui semble sorti d’un chapeau danois. La rencontre de ses cinq membres trouve son origine dans LLNN et Hexis, deux groupes, inconnus à mon petit bataillon, de post-metal/post-hardcore. Je n’ai jamais trop compris à quoi correspondait ce “post”. Post? Après? Après quoi? Profitons de cette chronique pour nous interroger sur l’usage de ce terme...

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Non mais attends, mais elle est complètement à chier cette intro!
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Ouais, pas fastoche mon totoche d'introduire une chronique quand on s’attaque à un monstre comme UnderPerformer proposé par un groupe absolument pas connu. Je crains que la qualité très quelconque de mon écriture ne saurait se frotter à celle de cet album. Non pas que ce dernier ait provoqué pas chez moi le syndrome de la page blanche mais pire, il m’a plutôt fait jeter l’encrier sur les murs, m'enfoncer la sergent major dans la tronche pour vérifier si j'étais bien vivant...et...oui, je l'étais bien...
C’est pour ça que je ne vais pas faire de détour, ni délayer mes propos en me la jouant poète ou conteur, tentant de glisser à l’occasion une tournure péteuse ou une histoire cocasse comme des pépites merdeuses dans de la prose terreuse (ou l'inverse). Je ne vais pas tourner autour du pot parce que UnderPerformer est sans doute mon album de l’année et Eyes mon groupe de l’année et cela me parait tellement évident que je préfère le dire sans détour.
Si vous avez la flemme d'aller plus loin, ne retenez que cette phrase: fans de hardcore, vieux ou jeunes, amateur ou connaisseurs, heureux ou blasés de cette scène, ruez-vous sur cet album, ce sera une véritable fontaine de jouvence, du revitalift pour vos mosh-pits.

 

Car oui, Eyes, c’est bien du hardcore (peut-être avec un “post” devant) mais le dernier cri, une nouvelle version. Une espèce d’hybride quintessentiel du style et de sa longue (et belle) histoire, qui flirte volontiers avec le metalcore, le rock noisy et plus timidement avec le black-metal ou le mathcore. Mais ne vous attendez pas à un patchwork grossier de ces styles car ici, les influences se font subtiles, on est pas dans le nawak grossier qui bouffe à tous les rateliers en s'en mettant plein le bavoir
Eyes se fait (inconsciemment et c'est ça qui est beau) prophète d'un nouveau courant et nous invite à une messe musicale aussi orthodoxe qu’oecuminique. Et ce qui est encore plus merveilleux, c'est que la complexité de cet album n’a d’égal que sa facilité à être écoutée: Eyes propose du hardcore évident et équivoque.
Évidemment, de grands noms viennent automatiquement à l’esprit lors de la première écoute, on cherche de la référence, on s'y rattache comme à quelques bouées de sauvetage après avoir été jeté dans cette nouvelle piscine immense et inconnue. Converge pour l’énergie vocale explosive ("Crutches") et le son aux petits oignons, Refused pour la simplicité évidente, Botch pour les spirales harmoniques entêtantes, Napalm Death pour la cohésion écrasante ("Choke"), Code Orange pour les ambiances que l'on hésite à qualifier de malaisantes ou malsaines, The Dillinger Escape Plan pour l’approche sans filets, libérée et progressive. Et puis à l’occasion, on pense aux Melvins ("Voiceswhispersecretsandspeakonlytruths" et son duo voix batterie), à Psyopus pour les plans de guitare dopés au WTF ("Distance") et à In The Company Of Men pour la fougue entraînante, scandée, quasi folk.
Mais là où certains recyclent ou recèlent, Eyes valorise et excelle. Ils transforment ces influences multiples en une personnalité unique au naturel saisissant. Underperformer est un album sans aucun temps mort, ni temps faible. Une oeuvre, presque déjà majeure, de 30 minutes où l’on reste balancé entre les moments de calmes et les tempêtes qui les suivent, conquis par des gimmicks musicaux subtils qui lui donnent une vie toute organique, interloqué par des ambiances schizophrènes dans lesquelles une guitare aux leads rapides peut batailler avec une batterie doomesque pendant qu’une ligne de voix hésite entre black-metal et metalcore ("Swim").


L’énergie développée dans les compositions est ahurissante, portée par la voix incontestablement parfaite et polyvalente de Victor Kass qui maîtrise bien des niveaux d'interprétation dans le registre de la hargne. Les guitares sont elles aussi autant inspirées que versatiles et sonnent comme un élan de fraîcheur. Une intensité palpable grâce à un mixage est moderne, idéal, vivant qui transporte le groupe à vos côtés. Les fans de vinyle devraient penser à acquérir cette petite douceur audiophile. Grain des guitares jouissif, travail sur les voix exemplaire, batterie sans trigs, c’est beau, c’est bio et ça fait zizir à bobo!

 

Un dernier mot pour la pochette qui se démarque joliment elle-aussi. On croirait voire la pochette claquée du carafon d’un groupe d'électro-minimaliste nordique conceptualo-artistico-chépaquoi. Mais non, le groupe souhaitait quelque chose qui soit en décalage complet par rapport au contenu et le troll est diablement réussi.

 

On n'est que rarement conquis par le premier album d’un groupe. Morceaux plus faiblards que d'autres, mixage aux fraises, pochette moche, il y a toujours quelque chose à redire quand on gratte bien (et Dio sait que les chroniqueurs "metal" sont pires que les cochons quand il s’agit de fouiller pour trouver des belles truffes, ils imaginent souvent que ça aurait pu être mieux d'une façon ou d'une autre).
Mais pas cette fois-ci, pas avec Eyes qui non seulement place la barre très haute dès le début mais en redessine les contours. Avec ce Underperformer  constamment sur la brèche, Eyes vous y emmène avec eux, vous invite à jouer les équilibristes. Eux y arrivent sans peine, sans s’en vanter, sans même le savoir, faisant de cet intelligent désordre leur ordre des choses et ce avec un naturel déconcertant.

 

On aime bien: le renouveau du hardcore au mieux, du hardcore moderne de qualité au moins; l'énergie, la qualité d'écriture, la fraîcheur qui émane de cet album
On aime moins: se dire que les groupes qui vont passer après risquent d'être un peu fades.

photo de 8oris
le 12/11/2020

7 COMMENTAIRES

Tookie

Tookie le 12/11/2020 à 09:30:52

Il a très facilement rejoint le TOP3 de l'année également...et je dois bien avouer avoir eu une pointe de jalousie lorsqu'on m'a dit que tu en faisais la chronique : j'avais très envie de partager le plaisir, non, le BONHEUR d'entendre un tel album de hardcore.
Absolument tout y est parfait, presque génial et limpide, fluide. C'est du grand art...jusque dans les clips !
Petit point : Hexis, ça déboîte, c'est excellent et ce n'est pas LNNN mais LLNN qui a eu par deux fois, les louanges d'un sympathique chroniqueur. (https://www.coreandco.fr/groupes/llnn-4012.html)

8oris

8oris le 12/11/2020 à 10:09:32

C'est corrigé pour LLNN. 
Sinon, un 10/10 et un groupe du mois, ça peut complètement mériter une "contre-chronique" de ta part ! ;)

pidji

pidji le 12/11/2020 à 10:34:32

Ahah je pense que tookie irait plutôt dans ton sens que de faire une contre-chro 😁
Sinon, excellent album qui fout la patate !

cglaume

cglaume le 12/11/2020 à 10:37:13

Oh la belle chronique enthousiaste !
C'est du miel à lire :)

8oris

8oris le 12/11/2020 à 10:39:14

Je me suis mal exprimé...Par "contre-chronique", je voulais dire "chronique complémentaire" ! ;)

nipalvek

nipalvek le 13/11/2020 à 09:56:23

Elle est excellente la chroniQue..et une bombe cette album.. et ce son.de guitare bien bandant. Merci 8oris

Freaks

Freaks le 14/11/2020 à 13:33:20

Outch! J'ai l'impression de revivre mes tous premiers émois hardcore, précisément à l'époque où je découvrais Converge et Botch.. Note enthousiasmantes et méritées ;)

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