Night Verses - Every Sound Has A Color In The Valley Of Night: Part One

Chronique CD album (33:35)

chronique Night Verses - Every Sound Has A Color In The Valley Of Night: Part One

« Dansons la Carmagnole

Vive le son, vive le son.

Dansons la Carmagnole

Vive le son du canon ! »

 

C’est la première chose à laquelle j’ai pensé en voyant la pochette de Every Sound Has A Color In The Valley Of Night: Part One… Alors que, face à cette joyeuse ronde de petits rats en plein sabbat, tout fan de Prog normalement constitué aurait réagi par un « Tralala-Youpi-Yah : enfin la suite du superbe From The Gallery of Sleep ! ». Sauf que sur CoreAndCo, on n’a pas le droit d’être normalement constitué. Il y a une clause le stipulant, dans notre contrat. D’ailleurs, à peine pénètre-t-on pour la première fois dans le bureau de Pidji (Da Big Boss of Da Crou) que l’on est sommé de réagir à deux tests de Rorschach. Si jamais l’on y voit un papillon, un soleil ou un visage souriant, on gicle. J’ai eu de la chance, perso : j’ai vu un tracteur se faisant enculer par Casimir sur la première image, et des lasagnes au marbre cuites au grille-pain sur la seconde. Comme quoi, ça tient à peu de choses les carrières dans le webzinat…

 

Si Night Verses sort de nulle part pour le pauvre hère qui vous cause, les gens bien informés, eux, ont déjà eu l’occasion de s’extasier sur l’opus précédent des Californiens – cité quelques lignes plus haut, regardez mieux, il y a « Sleep » dans le titre. Les gens les mieux informés parmi les gens bien informés savaient même déjà que, au commencement, cette formation s’adonnait à un Metal semble-t-il plus « -core », mais surtout beaucoup moins instrumental, ce dernier virage ayant été pris avec le départ de leur ancien chanteur, en 2017. Les sachants savaient également que ce trio aligne au poste de batteur Aric Improta, un ex-Fever 333 (aïe…). Et que ledit trio compte parmi ses influences revendiquées Tool, Isis, Opeth, Björk, Deftones ainsi que RATM.

… Fans de Cock and Ball Torture s’abstenir, donc.

 

Pourquoi s’infliger un album au titre suffixé par « part One » quand 1) on est à la base plutôt fan de Skindred et de Archspire, et que 2) l’étiquette stylistique mentionne clairement « Prog » et « Post-Rock » ? Parce que j'aime être fouetté, nu et tenu en laisse, sur la planche de fakir que m'a assignée Dominatrix en tant que niche provisoire ? Non : parce que ledit album m'a été chaudement recommandé. Et que le dernier Haken a fini pas loin du sommet de mon Top 2023. Tout comme certains albums d'Animals As Leaders par le passé.

 

Allez, ne restons pas sur ce flux timide, et ouvrons grand le robinet à références : vous aimez Animals As Leaders, Scale The Summit et Navian ? Vous ne rongez pas trop votre frein quand le cours des compos se perd dans la contemplation de paysages sublimes ? Vous pouvez tout à fait vous laisser séduire par cette branche moderne du Prog qui a absorbé le pan le moins rugueux du Djent (… quoique chez Night Verses cet aspect reste relativement à la marge) ? Vous préférez des morceaux à la dynamique vive et claire qu’un mauvais chanteur ? Si vous avez répondu par un max de C, vous êtes une ordure fasciste. Si vous avez répondu par un max de B, vous êtes une personne optimiste ayant un faible pour les sucreries. Si par contre vous avez surtout coché les cases A, c’est qu’Every Sound Has A Color In The Valley Of Night: Part One est fait pour vous.

 

Seulement sept morceaux sur cette première partie – qui se verra complétée 6 mois plus tard, par une jumelle dont on reparlera sous peu, si ce n’est déjà fait, soyez donc un peu patients que diable. Sept morceaux à la personnalité forte, vecteurs de nombreux frissons, qui proposent un presque-sans faute. En commençant par le chamanique « 8 Gates Of Pleasure » qui nous explique par le menu la place centrale de la basse, l’hyperactivité judicieuse de la batterie, et les expérimentations éblouissantes de la guitare. Et qui pose sur la table cette formidable dualité [Grosses tartines plombées secouant la croûte terrestre / Subtiles murmures de naïades veillant sur des sources oubliées] qui servent de fondations aux pics d’émotion vécus pendant ces 33 minutes. Elégance, délicatesse, profondeur et hymnes à la beauté de la Nature : tout ce qui nous ravit chez les trois formations citées précédemment à titre de comparaisons.

 

Pour votre interlocuteur qui, quand il s’agit de musique, préfère les secousses aux papouilles, le sommet de l’album est atteint sur « Arrival », dont les déflagrations élastiques éblouissent (rdv à 0:20), dont la guitare luminescente irradie follement (rdv à 0:47), et dont la puissance mosaïque (en référence à Moïse) fait s’ouvrir les flots (rdv à 3:03). Mais aussi sur « Karma Wheel », que ses ailes de géant n’empêchent pas de marcher, bien au contraire (cf. ce riff mammouthesque asséné dès l’ouverture, plus tard précédé d’un merveilleux cliquetis guitaristique). Pour autant la dentelle matinale offerte sur « Rose Wire » est elle aussi assez captivante, les trois musiciens sachant aussi bien nous faire ressentir la fraîcheur de la rosée qu’une angoisse intérieure sourde. Et l’émerveillement reste particulièrement intense sur « Bound To You », qui manie force et subtilité en une trame aussi inventive que « 8 Gates Of Pleasure » avant lui, celle-ci culminant en une apogée finale démarrant peu après la barre des 4 minutes.

 

Mais pour se fondre jusqu’à disparaitre dans cette œuvre tout en subtiles nuances, il faut aussi accepter de débrancher son système nerveux pour se laisser aller à ce genre d’abandon auquel invitent les musiques « Post- ». Il faut embrasser les états d’âmes vespéraux de « Love In A Liminal Space » en se satisfaisant de la fine broderie guitaristique sans demander qu’aucun échelon de l’échelle de Richter ne soit gravi. Il faut pouvoir se passionner pour la pulsation éthérée « Séance », à laquelle participe d’ailleurs Justin Chancellor, le bassiste de Tool, oui oui. Or – et c’est tout particulièrement vrai sur cette piste finale – la matière est dans ce cas trop diaphane, la substance trop délicate pour qu’un rugueux lapin comme moi s’y coule sans un bâillement.

 

Et c’est dommage, car il y avait ici franchement de quoi atteindre la barre du 9/10.

 

Mais même s’il peut donc arriver qu’à l’occasion on s’assoupisse dans ce magnifique jardin d’Eden, le spectacle n’en reste pas moins captivant. D’autant qu’à travers nos oreilles, ce sont tout autant les tripes que le cerveau qui sont la cible de milliers de subtiles stimuli et autres secousses électriques. Et il n’y a rien de mieux, ma foi, qu’une musique aussi intelligente qu’organique, aussi puissante que délicate, pour se sentir comblé…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte : même cuisinés par un grand chef multirécompensé, si l’on sert à la suite un tournedos Rossini et un cassoulet d’exception, le deuxième risque de passer beaucoup moins bien. C’est cette logique implacable qui a poussé Night Verses à scinder son dernier album en deux parties distinctes, la première de celles-ci ayant été livrée à la rentrée 2023. Et ** Ding Ding ! sur le rebord du verre ** je demande votre attention s’il vous plait : si vous êtes de ceux qui ont chaviré en goûtant aux délices technico-progressivo-instrumentaux d'Animals As Leaders, Scale The Summit et Navian, il est grand temps de partir à la découverte de Every Sound Has A Color In The Valley Of Night: Part One. Petit avertissement, toutefois, à l’attention des post-ophobes : vous pourriez succomber à quelques accès ciblés de narcolepsie sur les morceaux les plus éthérés de cet album néanmoins hautement recommandable.

photo de Cglaume
le 26/06/2024

3 COMMENTAIRES

Pingouins

Pingouins le 26/06/2024 à 11:49:09

Pas mon style de prédilection, mais j'ai trouvé l'album vraiment très bon, l'absence de chant y étant probablement pour quelque chose vu qu'en général il me rebute dans le genre.

cglaume

cglaume le 26/06/2024 à 13:11:48

Ton ouverture d’esprit t’honore ! 🤘

Moland

Moland le 26/06/2024 à 14:33:05

Vu en 1e partie de Tool. Stépamal malgré un son relativement pourrave 

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