The Ocean - Holocene

Chronique CD album (52:28)

chronique The Ocean - Holocene

Le changement vient de la révolution, brutale, radicale, totale, nourrie d’une envie et d’un besoin de redéfinir les règles, ou de cette tendance naturelle ou réfléchie à avancer, sans regarder en arrière, mais sans oublier d’où l’on vient. C’est fort de l’expérience acquise, des influences glanées au gré d’un parcours à la fois collectif et personnel, qu’on peut prétendre au changement, en toute cohérence et pertinence. Ne serait-ce qu’avec soi-même. Si vous exprimez votre dégoût de la clope mais avouez vous payer en secret un cigare pour approcher une certaine forme de posture décontractée que vous attribuez et jalousez aux fumeurs, vos leçons de vie n’impressionneront que le public que vous méritez, surtout si vous les dispensez à grands renforts de vocabulaire et de rhétorique empruntés à autrui sans les maîtriser. La médiocrité envie, pille et copie, avant de dénigrer, la grandeur s’abreuve, digère, s’approprie. Pour mieux créer.

 

En musique, il existe des groupes qui ont tellement bien dessiné les frontières de leur propre univers, créant à eux seuls un genre à part entière, qu’on leur pardonne aisément d’arpenter confortablement leurs vastes terres, surtout quand ils ne souffrent aucun élément de comparaison autre que ceux qu’on peut pointer du doigt au sein de leur seule œuvre. Et puis, il y a ceux qui, avec toujours une longueur d’avance sur l’attente suscitée, se permettent d’explorer leur propre cosmogonie pour glisser en toute liberté, avec intelligence, vers un inconnu qui devient familier aussitôt qu’il se révèle. On pourrait citer moult exemples, mais on céderait rapidement à la farandole de name dropping. Contentons-nous de nommer The Ocean, puisqu’il s’agit ici de ce groupe.

 

Si les Teutons peuvent s’inscrire dans une certaine famille, un genre aux codes bien définis, comptant moult membres de renom (en 2023, citons au pif Hypno5e ou Psychonaut, par exemple, dans la même écurie, Pelagic Records) ayant chacun développé sa propre personnalité, force est de constater qu’ils ont su imprimer leur marque dès leurs débuts, en posant les bases d’un concept fort qu’ils n’ont de cesse, depuis, d’enrichir, au gré de leurs nouvelles sorties. Nous parlons ici de post-metal, dans sa forme la plus sophistiquée, la plus propre, qu’elle envoie l’auditeur dans les nuées ou qu’elle l’entraîne dans la fange, un genre qui commence à saturer de groupes proposant peu ou prou la même et sempiternelle formule, toujours bien exécutée, mais sans réelle nouveauté tangible. Si comme moi, vous êtes bon public pour ce genre musical, l’offre s’avère pléthorique et on serait bien aigri de cracher dessus. En revanche, qu’est-ce qui donne envie de revenir sur tel album plutôt qu’un autre ? Sans aucun doute,  sa capacité à retranscrire une certaine forme d’évolution. La réelle clé du changement.

 

Adonc, Holocene, nouvelle mouture de l’oeuvre de The Ocean, qui conclut la série entamée en 2007 sur l’évolution de l’Homme. Titre qui le lie directement à l’album précédent, se terminant avec un morceau portant le même titre. D’emblée, on saisit le glissement que la musique du groupe a opéré pour ce 4e volet. Plus calme, plus posée, plus élégante. Plus moderne, oserons-nous ajouter. Les guitares se montrent plus discrètes, dès l’entame de « Preboreal », laissant la place aux claviers. La ligne de chant de Loïc Rossetti livre des mélodies amènes qui, même lorsque le titre s’emballe un tantinet, avec force trompette discrète, garde cette hauteur qu’on peut retrouver, toutes proportions gardées, chez Maynard James Keenan, le charismatique frontman de Tool, de Puscifer et de A perfect Circle. L’album emprunte sur plusieurs titres cette voie, avant de révéler d’autres surprises. Entre-temps, il sait se montrer suffisamment familier pour ne pas perdre son public en chemin. Surprenant, mais pas déroutant. Question de dosage, parfaitement maîtrisé.

 

Ainsi, lorsqu’on enchaîne les 3 premiers titres, il règne cette atmosphère éthérée que ne semblent pas troubler les interventions de riffs de guitare plus lourds. Car, quand bien même l’album établit un savant équilibre entre une tendance lumineuse et des embardées telluriques, l’ensemble reste baigné dans l’élégance mélancolique d’un metal proche du trip-hop sombre de Massive Attack, comme sur « Atlantic » et sa nonchalance traînante (notez l’intervention idoine des trompettes) qui s’affole dans un groove infernal à vous en tordre les tripes sans que le tensiomètre de la ligne de chant ne bouge d’un iota. Sur 8 minutes d’hypnose, seule les 2 dernières bombent le torse, et encore, si le chant gagne en emphase et en lyrisme élégiaque, il ne cède pas à la fureur facile, futile et convenue.

 

Radiohead avait pris de court son public en imposant une rupture radicale entre son chef d’oeuvre OK computer et son saut vers l’electro expérimental de la paire  Kid A  / Amnesiac. A l’instar de groupes comme Mastodon, The Ocean joue la carte de l’évolution. Au fur et à mesure qu’on progresse dans l’album, les growls reviennent au galop, les riffs se montrent plus tranchants. Mais dans sa globalité, Holocene assume complètement la place qu’il accorde aux arrangements et aux structures construites sur des plans purement electro.

 

Et puis, il y a ce bijou ultime, « Unconformities » : avec derrière le micro Karin Park, la chanteuse d’Arabrot. Accompagnées des discrètes trompettes, ses mélopées déchirantes pleines de larmes dignes survolent la rythmique bondissante, avant que Rossetti ne vienne embarquer l’ensemble dans le maelström de ses litanies précédant l’explosion en guise d’apothéose pleine de fureur. Neuf minutes entraînantes d’entrée de jeu qui montent par paliers successifs vers un tutoiement ultime de l’infini.

 

On peut sortir les théories les plus fumeuses sur la notion de changement, celles-ci ne convainquent que la vanité de leurs auteurs. Car The Ocean, par son propos et par la façon dont il le met en musique, prouve que le changement vient avant tout de l’évolution. Cela ne se fait pas sans effort ni sans douleur. Mais le résultat s’impose sur la platine : un album parfait dans sa cohérence. Du reste, celui-ci s’écoute en complément de Limbus par SHRVL, son pendant intégralement electro avec son artwork jumeau. Peter Voigtmann, le claviériste du groupe, a apporté la plupart des idées de base de Holocene. Il propose avec son album solo un développement complet de ces idées.

photo de Moland Fengkov
le 26/06/2023

9 COMMENTAIRES

Tookie

Tookie le 27/06/2023 à 11:22:25

Si j'entends toutes les qualités que tu lui soulignes, je n'adhère pas à toutes. J'ai même beaucoup de mal avec le rythme de cet album. J'ai l'impression que ça traîne, que quelque chose va arriver...en vain.
Il y a bien plusieurs passages emballants, mais, globalement, alors que le style a tout pour me plaire...je ne suis pas encore convaincu.

Moland

Moland le 27/06/2023 à 11:34:25

C'est un peu leur "Fear Inoculum" à eux. Je pense que la clé, pour l'apprécier, c'est justement accepter. Accepter le fait que ça ne décollera jamais vraiment. Ses qualités sont à chercher ailleurs que dans la hargne attendue. 

Black Comedon

Black Comedon le 28/06/2023 à 12:56:55

Superbe album, n'ayant découvert que tardivement (Concert en sept 22) je n'ai pas le même référentiel et donc pas cette "frustration" ne pas voir l'ensemble décoller.
C'est très agréable à écouter, techniquement adapté et niveau prod il y a assez de couches bien définies pour découvrir des nouvelles chose à chaque écoute.
La chronique reflète très bien ce que j'ai ressenti.

Moland

Moland le 28/06/2023 à 13:04:11

Black Comedon, oui, ça peut sonner tout plan plan, à la 1e écoute, et je comprends qu'on puisse trouver l'ensemble ennuyeux, mais je pense que c'est passer à côté de toutes ses subtilités qui ne se révèlent qu'après plusieurs écoutes. 

AdicTo

AdicTo le 29/06/2023 à 06:00:25

Je ne comprends pas le cut de «Unconformities» sur la version physique. Il y avait la place de la caler 😕

AdicTo

AdicTo le 29/06/2023 à 06:11:30

Quoique la qualité sonore en aurait souffert.

Moland

Moland le 29/06/2023 à 21:37:07

Quoi ?! Le titre le plus intéressant de l'album  ?!

AdicTo

AdicTo le 05/07/2023 à 22:38:23

Les claviers et arrangements électros donnent un caractère très hypnotique à l’album. Bien illustré par l’artwork d’ailleurs.

Je te rejoins complètement sur l’élégance et la cohérence de l’ensemble. Le plaisir croît au fil des écoutes :)

Moland

Moland le 06/07/2023 à 05:15:51

On est d'accord. Il ne finira pas dans mon top de fin d'année déjà bien fourni mais ça reste une belle réussite qui ose faire évoluer la musique du groupe de manière perceptible et avec un naturel déconcertant.

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