Absent In Body - Plague God

Chronique CD album (36:26)

chronique Absent In Body - Plague God

Il arrive souvent qu’on soit déçu des super-groupes, car on y projette la mythologie des combos auxquels appartiennent leurs membres sans y retrouver la quintessence de leur univers respectif, ou, a contrario, car ces collaborations ne proposent rien de novateur, ne parviennent pas à entrer en osmose et finissent par servir une musique rappelant trop ce que leurs membres créent déjà dans leurs formations d’origine. Et puis, il y a ces génies qui bousculent les règles, font mentir les généralités, surprennent tout en rassurant. Les grands noms qui se cachent derrière Absent in Body appartiennent à cette noble engeance.

 

Force est de constater, avant même l’écoute de son 1e album, que le quatuor international (Etats-Unis, Belgique, Brésil) s'est déjà illustré moult fois avec brio dans ce genre d’exercice. Une brochette de name-dropping de catin de luxe pour rappel : on retrouve leurs patronymes dans le line-up de projets aussi excitants les uns que les autres, comme la nébuleuse protéiforme de la Church of Ra, Corrections House, Shrinebuilder, Blood and Time, Tribes of Neurot, Mirrors for Psychic Warfare, liste non exhaustive. Sachant que Neurosis restent les papes du genre qu’ils ont créé au début des 90’s, entre sludge, post-hardcore, indus, doom et ce qui deviendra le post-metal, engendrant dans leur sillage une palanquée de rejetons, parmi lesquels des figures incontournables de l’univers metal (de Cult of Luna à Mastodon, en passant par Isis, Amenra ou Yob), rien d’étonnant de voir des héritiers s’associer aux maîtres pour cette entreprise.

 

Adonc, nous comptons ici Scott Kelly, de Neurosis, Colin H. van Eeckhout et Mathieu Vandekerckhove d’Amenra dans les rangs d’Absent in Body. Autant de noms tutélaires dans le genre. Du reste, le trio avait déjà sorti un mini album sous ce nom de guerre, 5 ans auparavant, composé d’un unique titre de 20 minutes. Un parfait respect de la règle des 3L : lent, lourd, long. Fort de cette expérience, le trio accueille dans ses rangs Igor Cavalera, ex-batteur de Sepultura, dont le seul nom suffit à faire frétiller les tétons des amateurs de thrash metal. Avec un tel équipage, l’opus ne peut que se placer parmi les sorties qui feront de 2022 un excellent millésime. Démonstration.

 

Tout d’abord, une note pour les thrasheurs qui s’attendent à entendre l’exubérance tribale de Cavalera : ici, le Brésilien sert l’oeuvre, s’efface derrière l’intention, et assure une rythmique solide, précise et chirurgicale mais minimaliste, quasiment robotique, industrielle à la Godflesh. Chaque titre avance en se calant sur ses coups de masse, pachydermiques, froids et puissants comme les pistons d’une machine infernale. On peut néanmoins trouver des motifs tribaux que ne renierait pas Jason Roeder, le batteur de Neurosis, en intro de Rise from Ruins et de The Acres the Ache, mais toujours habités par une ambiance glaciale. En de longues boucles hypnotiques, les 5 titres de Plague God enserrent l’auditeur dans leurs anneaux constricteurs pour l’engloutir dans les méandres d’un oppressant maelstrom tel que traversé par les chefs d’oeuvre ultimes de Neurosis, Enemy of the Sun et Through silver in Blood (ce dernier ayant été élu récemment album contenant les motifs de guitare les plus lourds de tous les temps par le magazine Guitar World) qui sature l’espace d’un air vicié, celui qu’on respire et qui porte en lui le poison de la détresse dans laquelle le monde nous plonge depuis des décennies. Une angoisse exacerbée par la pandémie et qui résonne avec les événements troubles qui secouent la planète. En somme, voici un nouvel élément de la bande originale de l’Apocalypse.

 

Plague God dresse le portrait de la Bête que l’Homme a créée, dans son incapacité à coexister avec son semblable et avec son environnement. Les guerres, les catastrophes naturelles, le déséquilibre économique, et leurs conséquences tragiques, à grande échelle comme dans la sphère de petites communautés qui finissent par se laisser dévorer par leurs travers, en dépit des bonnes intentions et des folles ambitions, trouvent dans ces 36 minutes leur expression la plus écoeurante. Il y a quelque chose de l’ordre de l’inéluctable dans la musique d’Absent in Body, une incarnation sans espoir de la fatalité. A propos du clip de The Half Rising Man, qui clôt l’album, CHVE déclare : "J'ai essayé de rendre ça réel. Que ça signifie quelque chose. Je voulais que chaque centimètre de mon corps ressente la douleur, l'angoisse, le désespoir et tout ce dont cet album est imprégné. Les crochets dans ma chair, l'encre noire dans mes yeux, tout cela m'a permis de ne faire qu'un avec cet album, et cette chanson en particulier. The Half Rising Man m'a parlé dès la première fois que je l'ai entendue, et j'avais besoin de la devenir. Grâce à mon ami et artiste Louis Fleischauer, nous avons réussi à le faire. Certains en ont douté au début, mais maintenant nous pensons que c'est la conclusion essentielle de l'album. C'est ici que ça se termine."

 

Adonc, les aficionados de Neurosis et d’Amenra trouveront leurs repères et leurs marques dans cet album malade, contaminé par ce que ces deux monstres possèdent de plus sombre. Même si on peut y déceler des mélodies, notamment dans les parties calmes et mélancoliques laissant la place au chant clair sur In Spirit in Spite et sur The Acres the Ache, l’ensemble agit comme un rouleau compresseur qui déniche notre part d’ombre pour mieux la broyer. Car il s’agit de ne pas se méprendre : on aura beau se cacher sous le voile de la morale de salon et des grandes causes qu’on défend pour caresser son ego, nous restons les artisans de l’enfer dans lequel nous pataugeons allègrement dans une dynamique consanguine. Plague God existe pour nous le rappeler.

photo de Moland Fengkov
le 05/04/2022

2 COMMENTAIRES

fedaykyn

fedaykyn le 05/04/2022 à 12:38:24

Vraiment très très bon cet album. et la pochette est superbe (dans le genre giger, nihei ...). En revanche je ne comprends pas pourquoi on ne cite jamais les français de Dirge dans les listes de groupes post metal essentiels. Ils sont pourtant bien meilleurs que la plupart des autres groupes citées.

Moland

Moland le 05/04/2022 à 21:39:48

Ah mais oui, Dirge, groupe mythique. Dommage qu'il n'existe plus. 

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