Alkaloid - Numen
Chronique CD album (70:11)
- Style
Tech-Death ésotérico-progressif - Label(s)
Season of Mist - Date de sortie
15 septembre 2023 - Lieu d'enregistrement Mordor Sounds
- écouter via bandcamp
L’Homo Tech-Deathicus est une espèce peu invasive. Discret, propre sur lui, caractérisé par une méticulosité confinant à la maniaquerie, il ne fréquente que peu les endroits où l’Homo Metallus Vulgarus a l’habitude de retrouver ses pairs pour consommer du houblon, faire la danse de l’hélico avec ses cheveux, et pourquoi pas, si la voisine a siroté suffisamment de Jägermeister pour confondre Brad Pit et Gras du Bide, se reproduire. Solitaire, élitiste, ostracisé par le fan club de Six Feet Under, cet être asocial en est réduit à tisser un réseau, généralement distant, de connaissances triées sur le volet parlant la même langue que lui : celle de la dextérité technique, des compos à tiroir, et des partitions fractales. C’est via ce type de rapports sociaux assez particuliers que, derrière les frontières de notre Germanie voisine, s’est formé Alkaloid, il y a 10 ans déjà. Au sein de ce club très select l'on trouve Hannes Grossmann, Christian Münzner, Linus Klausenitzer et Morean, des noms que vous avez dû croiser moult fois déjà (rien qu'en ces pages !), ceux-ci figurant au générique de nombreux albums cultes sortis par Obscura, Necrophagist, Spawn of Possession, Blotted Science, Triptykon, Hate Eternal – la liste pourrait alimenter les affiches d'une poignée d’éditions d’un hypothétique Ultimate Clockwork Death Fest.
... Et puisque vous êtes attentifs, vous aurez remarqué que Danny Tunker (Aborted, Detonation, God Dethroned…) n’a plus sa carte de membre, celui-ci n’étant sans doute plus à jour dans ses cotisations.
Tout de même, cela fait déjà 5 ans que les grosses têtes d’Alkaloid n’avaient plus profité du qualificatif « progressif » opportunément mis en avant dans leur comm’ officielle afin de laisser libre cours à leurs débordements créatifs. N’auraient-ils plus rien à dire en dehors du strict cadre « Tech-Death » de leurs groupes habituels ? Taratata, tu t’égares Edgard. Au contraire : les loustics ont accumulé tellement d’idées que la cocotte-minute de leurs muses menaçait sérieusement d’exploser, les obligeant à coucher leurs compos nouvelles sur pas un, mais deux nouveaux albums. Car en effet, il a beau n’afficher que 11 morceaux au menu, Numen est constitué de deux volets distincts : un premier, constitué de 6 morceaux, durant plus de 37 minutes. Et un second, rassemblant les 5 compos restantes – dont 3 qui ajoutent autant de chapitres à la saga « Dyson » commencée sur The Malkuth Grimoire –, durant 32 minutes de plus.
Gros morceau, donc.
Cela fournit-il au groupe une bonne occasion d’évoluer ?
Pas vraiment, non, nos tontons teutons continuant d’asseoir leurs complexes créations sur une trame mêlant menaces lovecraftiennes à la Morbid Angel, bizarreries cosmiques héritées de Voivod et Menace, et coquetteries jazzy lorgnant vers Cynic. Plus quelques grognements de fond de sarcophage portant le sceau de Nile (cf. « Shades of Shub-Niggurath »). Et tout comme sur les épitres précédents, l’auditeur se retrouve confronté à des morceaux follement ambitieux, complexes sans être (…tout à fait…) indigestes, fourmillant d’idées brillantes et d’ingrédients osés, le tout s’étendant sur des durées pas toujours raisonnables, mais rarement injustifiées. Brillant et très représentatif de la personnalité du groupe, « Qliphosis » accueille les non-initiés, puis les conduit au buffet de bienvenue offert par l’équipe municipale de Kadath, déroulant tapis carmin, sourires feutrés et toute-puissance mesurée afin que les invités comprennent au sein de quel noble cénacle leurs oreilles ont été conviées. Puis « The Cambrian Explosion » bifurque vers un Tech-Death à la fois brutal, véloce et follement inventif (notez les notes andalouses et le chant féminin), ainsi qu’Exocrine le pratique sur ses derniers albums. Et ainsi de suite, Alkaloid continue d’asseoir sa supériorité tout au long de la tracklist, tantôt rampant et impérial, tantôt iconoclaste et accrocheur (cf. la mélodie superbement tremblotante de « Numen », ou le riff « Rock’n’Roll » – première occurrence à 0:58 – dissipant l’épais brouillard occulte régnant sur « Shades of Shub-Niggurath »), sûr de lui et heureux de n’en faire qu’à sa tête.
À présent fort de 10 ans de camaraderie studieuse ainsi que de la lecture des rares critiques adressées à l’encontre de ses deux premières sorties, le groupe réussit-il enfin un sans faute ?
Pas tout à fait. Car quand on a atteint un certain degré de maestria et qu’on s'est confectionné sur mesure un espace 100% dédié à la création sans entrave, on se retrouve vite loin de ce que les oreilles mortelles considèrent comme séduisant. Oh, nos quatre mousquetaires ne tombent que rarement dans ce travers. Cela concerne essentiellement le collage effectué pendant les 8 minutes de « A Fool's Desire », l’oreille du lapin moyen ayant du mal à trouver une suite logique à cet enchaînement entre 1) les pudeurs excessives d’un pseudo-Savatage blessé au cœur (pendant un crescendo de 2 bonnes minutes), 2) le Blues Metal traînant d’un Metallica ayant oublié sa jeunesse Thrash (pendant encore une bonne minute et demie), et 3) un retour dans un Death tourbé mais progressif, plus classiquement technico-occulte. Plus indiscutablement pénible, « The Folding » déroule pendant une courte première moitié de fertiles quoiqu’inconfortables expériences lors desquelles l’auditeur découvre que le mal de mer peut tout à fait s’avérer agréable s’il est induit par un habile va-et-vient tortueux digne de Meshuggah. Mais le verre n’est plus qu’à moitié vide quand arrive la barre des 3:20 et que, heurtant une membrane invisible, la trame du morceau se liquéfie pour abandonner toute musicalité et n’être plus que pures sensations, dans un esprit voisin de la démarche du Drone sans doute, le bad trip nauséeux se prolongeant durant de longues minutes sans que jamais la lumière ne brille au fond du tunnel…
Ces deux cailloux dans la chaussure nous empêchent de consacrer Numen comme le nouveau Focus, le nouveau Tribe, ou le nouveau Spheres. Mais si on ne peut donc le considérer comme un jalon supplémentaire vers l’excellence Death technico-progressive ultime, on déguste néanmoins ce 3e album comme le chef d’œuvre raffiné qu’il est, suffisamment généreux en moments forts pour mériter une place dans nombre de classements de fin d’année. Alors entre un visionage tardif de Barbie et les élections des délégués de classe, n’oubliez pas de goûter à ce sommet de virtuosité grumeleuse.
La chronique, version courte : bien qu’Alkaloid pratique l’exercice depuis 10 ans déjà, son Death ésotérico-technico-SF – conçu à partir des tentacules de Morbid Angel, des rayonnements cosmiques de Voivod et Menace, et de la dentelle brodée par Cynic – a encore beaucoup à offrir. D’où Numen, double album consacrant plus de 70 minutes à explorer ces contrées étranges, insolites mais belles, inaccessibles au commun des formations ne bénéficiant pas de la protection offerte par le qualificatif « progressif ».
4 COMMENTAIRES
Pingouins le 15/09/2023 à 12:37:10
Des supers idées et un niveau technique bien fou, mais décidément les voix claires ne passent pas du tout du tout chez moi. En tech-death sorti aujourd'hui, je me suis beaucoup plus retrouvé dans le nouveau Fabricant, plus orienté dissonances et moins proggy.
cglaume le 15/09/2023 à 13:34:54
Les dissonances ça hérisse trop souvent mon poil de lapin délicat… Du coup je te crois sur parole sans vérifier 😅
I Am The Growl le 21/09/2023 à 19:36:00
Je trouve les six premiers morceaux plutôt pépères, trop conventionnels, puis après l'interlude ça devient beaucoup plus intéressant, l'enchaînement Numen-Recursion-The Folding vire à l'expérimentation tout en gardant des accroches, l'ambiance surtout se fait bizarre et ça j'adore. 6/10 pour le début et 9/10 pour la fin.
cglaume le 21/09/2023 à 19:45:05
The Folding pour moi c’est trop.
Mais il faut reconnaître que j’ai vite le mal de mer… 😅
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