Devin Townsend - PowerNerd

Chronique CD album (44:04)

chronique Devin Townsend - PowerNerd

Jusqu’à Ziltoïd, on est d’accord (je ne m'adresse ni aux trves qui n’aiment que la première démo – elle existe ? – ni aux brutasses pour qui Devin = SYL) : la discographie de Messire Townsend ressemble à un quasi-sans faute. Après 2007 en revanche, les points de vue sont plus nuancés. Simplifions en prétendant qu’il existe trois écoles :

  • les « C’est d’la meeeeeeerde »… Libre à chacun d’avoir des opinions tranchées, après tout
  • les « C’est trop chou, il est foufou mon Devinou ». On pouvait penser que cette part du public tendait à se raréfier… Sauf que la fièvre délirante observée lors de la mise en vente des billets pour les rares représentations de The Moth (les 27 et 28 mars 2025, à Groningen, Pays-Bas) tend à prouver que la fan base hardcore du gugusse n’est pas si réduite que cela
  • les « Un coup c’est Ouiiii, un coup c’est Bof ». C’est à cette dernière engeance qu’appartient votre interlocuteur

 

Notez qu’il y en a eu pas mal, des Ouiiii, ces 15 dernières années. Addicted en 2009. Epicloud en 2012. Empath en 2019 (même si c’est vrai que j’y reviens moins souvent que vers les 3 autres mousquetaires discographiques ici listés). Et Lightwork en 2022… Je sais que vous n’êtes pas forcément d’accord avec cette sélection. Mais j’aurais du mal à remettre en question les vagues de frissons qui me parcourent la couenne à chaque écoute de ces albums… Alors Poupougne !

Entre ces jubilatoires jalons, Devin nous a livré des albums potables, mais pas non plus déments. Transcendence et Z2 sont les deux derniers en date (... je passe sous silence les Puzzle & co). Enfin... si l’on ne compte pas PowerNerd, le petit dernier. Qui est plus ou moins fait du même bois. En ce sens qu’il place lui aussi quelques très bons titres dans un même grand panier contenant par ailleurs beaucoup de rabâchage tiède et de coulées crêmeusement brumeuses.

 

Mais posons à présent quelques éléments de contexte. Afin que vous ne puissiez pas dire « Je ne savais pas ».

A) PowerNerd était censé être un album simple et fun. Ce qui n’est plus vrai qu’en partie, après qu’un décès, puis les éloignements successifs de son fils et de sa femme, aient tartiné une épaisse couche de pathos sur certaines des compos nouvelles du Devinou.

B) PowerNerd est le premier élément d’une tétralogie qui comprendra également The Moth (un opéra rock sur lequel il bosse depuis perpète), Ruby Quaker (qui est également le titre de la dernière piste du présent album) et Axolotl (album censé être barré de chez barré).

C) PowerNerd a été composé en 11 jours seulement, à partir d’une quantité phénoménale d’idées éparses consciencieusement conservées sur le disque dur du maestro

D) « PowerNerd » – le morceau-titre, donc – vous permettra d’assister à quelques virils lancers de postillons effectués par Jamey Jasta, Mr. Hatebreed

Là, on va dire qu’on a fait le tour des instructions de montage du biniou…

 

L’impression globale qui persiste une fois évanouie la dernière note émise par cette cuvée 2024, c’est que l’on y entend de belles choses, que c’est rond, puissant, scintillant, que les colonnes de marbre y sont imposantes et que les hauts plafonds y sont superbement décorés… Mais c'est également le constat qu’on y trouve de la poussière derrière certains rideaux, des étiquettes made in Taïwan au sein de certains vases, ainsi que quelques cailloux grossiers parmi les joyaux de certaines parures. Et l’on se dit qu’à quelques rares exceptions près, on risque de ne pas retenir grand-chose de l’expérience, ni d’y revenir très souvent. Un peu comme c’était le cas avec Ki, Transcendence ou même Accelerated Evolution, qui sont des albums qu’on irait défendre devant un jury s’il le fallait, mais qui s’avèrent quand même assez peu marquants quand on fait un bilan honnête de notre ressenti.

 

Pourtant ce Nième album (pas de chiffre exact, ça dépend trop de ce que vous considérez comme un vrai album – Devin en dénombre plus de trente, de son côté…) réserve quelques rares très bons titres, qui méritent vraiment le détour, voire même une interprétation live. Parmi ceux-ci figure le morceau-titre, qui m’a d’ailleurs conduit à acheter l’album sans même avoir écouté le reste (la peau de l’ours, tout ça …). Follement enthousiaste, propulsé par de gros réacteurs bariolés, joliment tendu, carrément taquin (Miaaaaaou), c’est le genre de hit qui n’aurait pas dénoté sur Ziltoïd. Et puis matez-moi ce clip : si c’est pas du pur concentré de jus de Nawak, je veux bien me teindre les poils en rose !

À l’autre bout de la tracklist (... le gredin : il sait qu’il faut soigner son entrée et sa sortie), « Ruby Quaker » est un autre délicieux craquage, qui renvoie à Ziltoïd lui aussi, notamment par son thème – c’est une ode au café ! Démarrant comme une chansonnette futile, le titre joue bientôt les transformistes pour enfiler costume après costume, d’abord une tenue Country’n’Roll (doté d’un beau piano rock), puis une cape Death/Black tendance SYLienne, puis la panoplie du Conquérant épique, puis celle de l’hydre multi-pistes vocales, en mode over the top, vers l’infini et au-delà. Dernier titre que l’on apprécie sans nul mouvement de recul, « Glacier » offre un fastueux et lent déploiement tout en pompe grandiloquente, le morceau sachant jouer sur les contrastes sans trop exagérer sur la dose de chamallow.

 

Pourquoi faire la fine bouche vis-à-vis des autres titres ? Les raisons varient, la moue étant plus ou moins marquée selon le cas. Beaucoup de déjà vu (ça sent souvent les fonds de tiroir d’Epicloud et Addicted – cf. « Gratitude » par exemple, qui s'avère quand même bien bon au final), de gimmicks et autres tics de composition. Du tiède également, cf. « Knuckledragger », qui ne s’en sort que grâce à de multiples petits goodies qui cachent la misère comme ils peuvent (cf. les sonorités 8bits, un passage percus & basse…). Et des couches un peu trop épaisses de mélasse, qu’une muse moins génialement inspirée qu’à l’accoutumée réussit d’autant moins à rendre digestes que les impressions de déjà vu précédemment évoquées appuient fort sur l’estomac (cf. « Falling Apart », « Ubelia » qui fait doublon avec « Gratitude », « Younger Lover » qui tend à labourer les terres d’Elton John, « Goodbye »). Quant à « Jainism », il reste le cul entre deux chaises, en demi-teinte mi-raisin.

 

Peut mieux faire, donc. A déjà mieux fait, d’ailleurs. Bien mieux.

 

Mais on l’aime notre Devin, même quand il n’est pas à son top. D’autant que, si l’on est un peu honnête avec nous-mêmes, on doit reconnaître qu’un album « aussi tiède » sorti par un newbie ferait l’effet d’une déflagration promettant ce dernier à un buzz certain. Sauf que, quand on est Devin, les attentes sont tout autres. C’est la malédiction qui frappe tout génie s’inscrivant dans la durée. Et notre Dev’ la gère pas si mal, finalement, cette malédiction…

 

 

 

PS : certaines éditions de PowerNerd sont livrées avec un CD bonus très justement intitulé Violent Transitions. La pertinence de ce titre tient dans le fait que les trois longues pistes qui composent l'objet ne sont rien d’autre qu’une collection sans queue ni tête d’idées éparses séparées les unes des autres par ce genre de friture radiophonique à laquelle nous expose un zapping intense sur bande FM. Au cours de ces 26 minutes, seuls quelques passages sortent vraiment du lot. Comme cette ode aux grenouilles joliment électro-cartoono-naïve, qui voit un Devin gentiment stone marteler « Frogs are nice » (au début de « Flow »). Ou le mélange Eurodance / Devineries / Redneck Party à la « Cotton Eye Joe » qui débarque plus loin, vers 3:09. Ou encore cette délicieuse échappée orientale qui nous est offerte à 3:21 sur « Vast ». M’enfin pas non plus de quoi se passer la chose en boucle…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte : Powernerd est un peu comme Ki, Transcendence ou même Accelerated Evolution avant lui.  Autrement dit un album tranquille, en mode cocooning sur le canap’ de Dev’, sous un plaid, à grignoter une vieille part de pizza réchauffée au micro-onde, sans rien pour venir vraiment nous sortir de notre torpeur. Bref, cette cuvée 2024 se repose un peu trop sur les acquis du Canadien, en jouant notamment sur la corde des vastes coulées mélodiques tièdement lumineuses – plus ou moins Pop, plus ou moins grandioses, selon le cas – qui faisaient le sel d’Epicloud et Addicted. Pas de quoi avoir le palpitant qui baboumise, même si le morceau-titre et « Ruby Quaker » (… et « Glacier », allez !) méritent une attention toute particulière tant ces compos tirent brillamment leur épingle du jeu.

photo de Cglaume
le 27/01/2025

9 COMMENTAIRES

el gep

el gep le 27/01/2025 à 11:10:29

Arf... j'avais zappé Lightwork, y viendrai p't'être plutôt que çui-ci alors...
Et c'est vrai que Empath, passée la surprise et les ''oh mais comme c'est déliiire, ça?!", ben j'y reviens pas très souvent.

cglaume

cglaume le 27/01/2025 à 12:13:17

Il est des nô-ô-treuh, il a dit "bof Empath en fait" comme les au-au-treuh !!
🙏

8oris

8oris le 27/01/2025 à 13:27:50

"on doit reconnaître qu’un album « aussi tiède » sorti par un newbie ferait l’effet d’une déflagration promettant ce dernier à un buzz certain."
En est-on vraiment certain? ;)

Finalement, ici, on a du Devin qui fait du Devin sans s'écarter du chemin tracé par Devin et auquel Devin a habitué ceux qui suivent religieusement les sorties de Devin depuis ces 10 dernières années parce qu'ils sont fans de Devin même quand Devin ne fait pas tout à fait du Devin.
Même les lignes vocales sont faiblardes quand on connaît le registre du bonhomme.
Le gars a quand même réussi à passer du statut de "prog ultra original et fumé de la tête" à "pro un peu téléphoné et mou du bulb".
J'ai laissé tombé le bonhomme il y a déjà pas mal d'années et ce n'est pas celui là qui me fera remettre un pied de dedans même si son metal prog de papounet sympatoche l'est tout autant que son auteur...Bref, Devin Townsend continue de faire du prog en Crocs!

cglaume

cglaume le 27/01/2025 à 14:20:01

Dans ma chro j'ai omis de mentionner une 4e catégorie, à laquelle tu appartiens : celle des « C’est d’la meeeeeeerde » pas exagérément véhéments 😁

Oliver

Oliver le 27/01/2025 à 16:00:40

Chronique un peu sévère, je trouve...😄
Il y a longtemps pour ma part que je n'ai pas apprécié un album de Devin depuis... Terria, voir Infinity, c'est dire ! Et donc celui-ci est, je trouve plutôt pas mal, sans être un grand cru... on est évidemment loin, très loin, des albums de jeunesse, à une époque où Devin était considéré comme un génie... les années nous ont montré... que non. Pourtant Ocean Machine & justement Infinity sont absolument géniaux...
Alors je ne boude pas mon plaisir de retrouver ce musicien, certes talentueux, mais trop prolifique, pour un album pas dégueux...


cglaume

cglaume le 27/01/2025 à 16:24:38

Nos avis ne sont pas si opposé (enfin quand même un peu si)(mais bon 😅)

Thedukilla

Thedukilla le 28/01/2025 à 09:37:48

Autant Lightwork m’avait conquis sur la longueur (après un « mooooarf » initial bien appuyé), justement parce que moins « Devin-over-the-top » qu’à l’accoutumée, autant celui-ci aura sûrement du mal à passer l’épreuve du temps (hors « Ruby Quaker », monstrueux).

Je croise parfois un collègue sympa de mon premier taf dans ce genre là. Toujours content de tailler le bout de gras avec lui sur un coin de trottoir, mais faudrait pas l’avoir à bouffer tous les soirs.

cglaume

cglaume le 28/01/2025 à 10:12:15

🤣🤣

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 28/01/2025 à 15:10:44

Roah "poupougne" v'là un mot bien gratiné qui manquait cruellement à mon vocabulaire. J'le pique, là, tiens !



(nah nah nah, faisait partie des "brutasses" susmentionnées je m'abstiendrai d'ajouter le moindre commentaire. Déjà qu'il y a des ratés assez monstrueux de par chez Strapping Yong Lad...)

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