Krav Boca - 6PM

2020, 2021, 2022 : les 20s ont cet avantage sur les décennies précédentes que chaque tour de calendrier amène un nouvel album de Krav Boca. Et le mieux c’est que les rageurs masqués ne se contentent pas de ce débit déjà incroyablement soutenu : fin novembre 2022, BAM, les voilà qui dégainent un nouveau calibre intitulé 6PM. Trois titres et une nouvelle collaboration avec le rappeur grec Sponty (remember « Vertigo » et « Signal » ?) pour continuer de dérouler le fil des noires pensées qui caractérisaient Pirate Party. Mais si le rose n’est clairement pas la couleur dominante de cette nouvelle sortie, on n'y retrouve pas non plus le groupe acculé au-bord d’un précipice sans fond, les deux pieds dans le vide. Car en cette heure de crépuscule où les ténèbres rongent leur frein avant d'envahir ghettos de béton et jardinets mignons, le ciel s’embrase de feux ocres et prunes, ravivant la braise des colères larvées mais aussi un espoir n’ayant pas encore totalement sombré dans les eaux froides de la mélancolie. La superbe pochette de l’EP ne ment donc pas quant aux teintes dominantes de ces 8 minutes dont l'orientation s'avère cette fois plus Rap’n’Punk que Punk/Rap/Metal (... la facette Punk n’étant elle-même que faiblement galbée, puisque principalement cantonnée à des textes à nouveau écorchés vifs).

Doux gratouillis de cordes sensibles, trille électroïde discrète, beat synthétique velouté, flow vertement martelé, « Chronomètre » plante le décor : crachats et larmes amères, sternum oppressé, sombres présages, verbe acéré…  « Après l’orage il n’restera que des gouttes / Ils ‘veulent pas nous entendre ils nous mettent sur écoute ». Comme sur les deux titres à venir, l’intrigue est simple : il s’agit de poser une ambiance, une atmosphère, ceci en déclinant un plan unique – mélodie / rythme / dynamique – sur 2-3 minutes, jusqu’au tomber du rideau. Si l'ouverture de l'EP se fait donc sous le signe du laisser-couler – de l’abandon, presque – « Doom » prend les choses plus fermement en main pour amorcer la remontée de pente. Les sourcils restent froncés et les tempes bouillonnantes, mais ce numéro #2 profite d’un supplément de tension et de profondeur – ainsi que d’une basse sourde mais vivace made in Jamaïca, et d’un flow hellène impérieux – qui réveille l’émeutier assagi. Puis l’on retrouve la mandoline sur un « Horizon » grandiose, flamboyant, à la fois touchant et acéré, feu de joie mauvaise laissant des étincelles ardentes mordre une dernière fois un ciel à présent presque totalement éteint.

« Ils ont des maisons, et des écrans plats / On a l’horizon, et le creux des draps ».

Bien que partageant la même petite aiguille sur le cadran, ce 6PM et 6:33 – dont vous savez sans doute qu’on raffole ici – n’ont donc pas grand-chose à voir. Mais bien que séparés par une demie-rotation de notre petite baballe bleue, et par des approches clairement distinctes de la planète Musique, les deux ont cette énergie, cette rage, et cette faculté à nous remuer le dedans qui les rendent l’un comme l’autre indispensables. Alors si vous vous sentez entre découragement et révolte, et qu’il vous vient des envies d’embrasements vespéraux, placez-vous 6PM entre les feuilles, fermez les yeux, et laissez agir…

La chronique, version courte: 6PM, ce sont trois titres rageurs et mélancoliques à écouter alors que le soleil se fait dévorer par le béton nocturne / les collines avoisinantes. Plus unilatéralement Rap que les albums précédents, cet EP n’en est pas moins du pur Krav Boca, avec ce que cela signifie de sensibilité exacerbée et de révolte inextinguible.

Cglaume

le 28/01/2023