Sleep Terror - Railroad to Dystopia
Chronique CD album (26:12)

- Style
Death instrumental / Cactus / Americana - Label(s)
Autoproduction - Date de sortie
24 février 2023 - écouter via bandcamp
La route est poussiéreuse, les alentours arides, le soleil hostile. Derrière le promontoire rocheux, là-bas, moqués par une poignée de tumbleweeds errants, c’est sûr, des gringos attendent en embuscade, le colt fébrile. Mi-Clint Eastwood mâchouillant un reste de chique, mi-loser en cavale tentant de passer la frontière avec un cadavre et une valise pleine de billets dans le coffre, le curieux qui débarque sur Railroad to Dystopia a l’impression d'assister au remake de Pour une Poignée de Dollars revu et corrigé par Tarantino. En même temps rien d’étonnant, rappelez-vous : à l'époque d'Above Snakes déjà, Luke Jaeger avait décidé d'abandonner les palmiers, les odeurs d’écran total et les cocktails colorés du Palm Beach Café pour les cactus, les relents de vieux cuir et le tord-boyau du Jane & John’s saloon. Certes, il restait encore une grosse louche de Surf Rock dans son Western Nawak Tech Death instrumental... Mais uniquement parce que les trémolos caractéristiques du genre sont sans pareil pour suggérer avantageusement l’aspect à la fois popcorn et torride du Grand Ouest sauvage.
En y regardant de plus près, le titre « Railroad to Dystopia » pourrait tout aussi bien convenir pour la célébration métallique d’une épopée du rail évoquée sous son angle le moins glorieux, ou pour un jalon discographique plantant son décor dans les wagons du Snowpiercer. Mais ce sixième Sleep Terror fait dans la continuité, pas dans le diruptif : il est donc bien question ici de « cheval de feu », de bivouac sous les étoiles et de l’Amérique des pionniers, et pas de SNCF 2.0 cryo-cyberisée. Rappelons quand même que disruptive, la formation l’est par essence, et ce depuis ses débuts : en effet, la mission qu’elle a accepté consiste à mélanger un Death technique purement instrumental avec des éléments n’ayant rien à voir avec la choucroute, ceux-ci étant majoritairement constitués – donc – d’éléments purement « western » (de l’Americana cul-terreuse, des cordes de banjo, et de pleine brouettées d’harmonica), mais aussi de restes de Surf Rock (sur « All But Nine » et « Anxiety Dreams » notamment), d’une basse toujours aussi slappée (quoique moins ostensiblement), et même d’un peu de Funk (sur la fin du morceau-titre).
Evacuons rapidement ce qui est dorénavant de l’ordre du détail : oui, l’album est une fois de plus trop court, ceci d’autant plus que « Before the Tragedy », « Swamps of What If » et « Bite the Bullet » sont plus des intro / interlude / outro fortement typées que des morceaux métissés faisant le grand écart entre des styles se donnant habituellement plus de Vous que du Tu. Oui, bien que confiée à Marco « Six Feet Under, Brain Drill, The Faceless & many more » Pitruzzella, la batterie sonne parfois trop clinique, comme si le « rendu BAR » servait de trait d’union avec les racines du groupe. Et oui, c’est vrai, ces quelques nappes de synthé, certes assez peu envahissantes, seraient plus seyantes en version aquarelle qu’ainsi surlignées à l’encre fluo.
Par ailleurs, pour être parfaitement honnête, je regrette un peu ces pochettes fun, ces touches funky, ainsi que ces espiègleries pas toujours parfaitement canalisées des opus pré-2020 (… quoi ? C’était le paragraphe précédent celui consacré aux ronchonneries ?). Mais la mue récente est, de ce point de vue, un mal pour un bien. Car en ayant enfin abandonné les zébulonneries sans but pour une direction claire et un cadre mieux délimité, Luke et ses Terreurs Nocturnes ont réussi à nous livrer leur meilleur album à ce jour. Cohérent de bout en bout pour ce qui est des ambiances, et bien plus fluide que par le passé au niveau de l’écriture, Railroad to Dystopia est sans doute l’album qui nous offre les meilleurs morceaux du groupe. Parmi lesquels « Dignity Thieves », « Spineless en Masse » qui ajoute de gros riffs southern typés Pantera afin d’engroovifier son propos, et surtout « Railroad to Dystopia » qui fait joyeusement contraster Hillbillie rigolard et saccades de bucheron, harmonica et bourrasques létales. Un vrai régal, qui cerise-sur-le-gâteau (… c’est un verbe si je veux !) via une conclusion purement funky.
Alors c'est vrai, on commence à hésiter à insérer le qualificatif « Nawak » dans l’étiquette stylistique dont se retrouve affublé ce nouvel opus. Et d’habitude ce genre d’évolution a tendance à nous attrister. Mais pour Sleep Terror c’est tout le contraire : on est ravi que, 21 ans après ses premiers Zboïïïng et Ratatatam, le groupe ait enfin réussi à accoucher de son album le plus solide et le plus excitant. Alors faites confiance à Richard, et entendez siffler le train, entendez siffler le train, parce que putain, ça tue un train qui siffle dans le soir !
La chronique, version courte: plus « Cowboys & Saloon » que jamais, le 6e album de Sleep Terror a définitivement abandonné le ukulélé et les chemises hawaïennes pour l’Americana, l’harmonica, et les duels au soleil. Ça n’empêche pas quelques petits apartés Surf Rock, ainsi que du pur slap de basse, mais ça permet surtout au groupe de réussir enfin à livrer son album le plus abouti à ce jour.
2 COMMENTAIRES
Tak le 19/05/2023 à 16:21:13
Pas pu encore poser l'oreille dessus, mais c'est tout à fait le genre de came, qui, à priori, pourrait me plaire. Je vais donc essayer d'y poser une esgourde, mais si ça le fait pas, il va y avoir de la fricassée de lapinou demain soir au repas! :)
cglaume le 19/05/2023 à 17:37:01
Haha, gaffe: les os de lapin sont petits et pointus… C’est un coup à finir avec le négatif de la gorge de Pinhead 😁
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