Clawfinger - Interview du 28/06/2024
Membre(s) interviewé(s) : Zak Tell
Première question, sans doute la plus intéressante du lot : est-ce que lors du concert que vous donnerez tout à l’heure, sur la scène de la Warzone, tu porteras le superbe chapeau-pastèque que tu arborais fièrement sur cette photo prise en Grèce, et postée récemment sur les réseaux sociaux ?
La réponse est « Non ! ». Ce chapeau stupide reste en Grèce, avec les touristes assez stupides pour accepter de le porter. * rires *
En général, pendant une interview, les sujets qui reviennent le plus souvent sont 1) le nouvel album, 2) la tournée en cours, 3) les membres qui ont quitté le groupe ou ceux qui viennent d’arriver, 4) les éventuelles opérations de transition de genre… A priori aucun de ces sujets ne peut s’appliquer au Clawfinger de juin 2024… À moins d’un scoop peut-être ?
Ai-je un scoop pour toi ? Voyons voir… Nous sommes sur le point de sortir un triple double-album ! * rires * Non, la vérité c’est que nous avons quelques titres nouveaux dans les tuyaux. Cinq pour être exact, qui sont à des états divers d’avancement. Mais c’est le genre de chose qui avance très doucement chez nous. Parce que, pour commencer, nous sommes un groupe d’individus aux goûts relativement divers. Ensuite parce que nous vivons dans des villes, voire des pays différents. Et enfin parce que nous sommes assez sélectifs quant à ce qui peut ou non être conservé au sein d’un titre nouveau. Personnellement je ne suis jamais satisfait à 100% de ce que l’on compose. J’ai l’impression qu’il y a toujours moyen d’améliorer le résultat...
En plus ce n’est pas comme si c’était un boulot à plein temps pour vous…
C’est la quatrième raison, en effet, qui explique cette lenteur. La plupart d’entre nous ont un boulot à côté. Ce qui nous laisse moins de temps, forcément, pour l’écriture… Néanmoins nous avons donc quelques titres nouveaux. Et l’idée serait a priori de les sortir non pas dans le cadre d’un album, mais plus vraisemblablement au sein d’un EP. Qui pourrait arriver en fin d’année. Ou au début de l’année prochaine. Ou au milieu de l’année prochaine… Pour l’instant aucune idée précise là-dessus ! Il n’y a pas de maison de disque derrière notre dos pour nous coller la pression : cette dernière vient uniquement de nous-mêmes, car il nous tient à cœur d’enfin livrer du nouveau matériel… C'est vrai : ça fait un bail que ce n’est pas arrivé !
Je ne te demanderai pas quel sera le nom de cet EP, car je sais qu’en général ce n’est pas le fort du groupe de trouver un titre longtemps à l’avance * rire *
Pour le coup, en effet, nous n’avons pas encore convenu d’un titre. Certaines chansons en ont déjà un, mais même pour celles-ci il ne s’agit que de « titre de travail », rien de définitif. Du coup tu auras que dalle, et puis c’est tout * rire *
Pardon pour la petite pique précédente. C’est juste que j’ai appris récemment que 1) le nom du groupe est juste « le moins pire de ceux auxquels vous aviez pensé à l’époque » (je cite de mémoire) 2) votre troisième album se nomme Clawfinger parce que vous n’aviez rien de mieux à proposer – la superbe idée Third Time Lucky étant arrivée malheureusement trop tard, une fois le processus de sortie enclenché. Peux-tu m’expliquer comment quelqu’un capable d’écrire des paroles aussi affûtées a tant de mal à trouver juste un petit titre ?
La grosse différence c’est que, quand il s’agit de trouver le nom d’un album, c’est l’ensemble du groupe qui se réunit, s’assoit et cogite. Et la confrontation des opinions n’est pas aisée car, comme je te le disais plus tôt, on a des goûts légèrement différents les uns des autres. En ce qui concerne les paroles en revanche, 95% du temps je m’en occupe tout seul, sans demander aux autres ce qu’ils en pensent.
Et en général tu es d’accord avec toi-même sur leur contenu…
… Et en général je suis d’accord avec moi-même, ce qui est bien plus simple * rires * Je crois que ça répond à ta question.
En effet !
Quant au nom « Clawfinger », à l’époque on a passé quelques semaines à se casser le crâne, à chercher des idées dans les livres… Jusqu’à ce que, à la longue, on finisse par en avoir vraiment marre.
Tu te rappelles certaines des autres idées que vous aviez eues en dehors de « Clawfinger » ?
Je me rappelle de « Ginmill », ce qui n’a aucun sens car à ma connaissance il n’existe pas de « moulin qui fasse du gin » * rire *. Il a également été question de « Day of the Dog » (NDLR : Le Jour du Chien). Il faut se rappeler qu’on était au début des 90s. Et qu’à l’époque les groupes s’appelaient Temple of the Dog, Soundgarden, Smashing Pumpins... Du coup il "fallait" avoir ce genre de nom à rallonge bizarre. Au final notre guitariste nous a sorti « Et pourquoi pas Clawfinger ? ». Ce serait mentir de dire qu’on a tout de suite adoré. Mais ce n’était pas si mal finalement, et à vrai dire on s’y est habitués. Et puis après tout ce n’est qu’un nom… Désormais, eh bien c'est devenu notre identité. Nous sommes Clawfinger, et on ne pense plus vraiment à tout cela.
En préparant cette interview, j'ai réalisé que tout fan du groupe que je suis, je ne vous ai jamais vu live auparavant. Et effectivement, en cherchant sur internet, j'ai réalisé que vous n'êtes pas souvent passés par la France. Les premières fois c'était en 1993 puis 1995, à l'Elysée Montmartre, en ouverture d'Alice in Chains, puis avec Dog Eat Dog et Type O Negative. Ensuite il a fallu attendre des dates avec Rammstein en 2001. Et la toute dernière date remonte à 2006, pour un concert donné à Strasbourg, au Festival des Artefacts... J'ai bon ?
On a fait deux tournées en France... * hésitant *
… Mais vu ton grand âge, tu ne t'en rappelles plus vraiment * rire *
Je crois me rappeler que c'était aux alentours de 2007-2008. * hésitant * Mais si, c'est sûr, on a tourné en France... En revanche c'est vrai que le pays n'a jamais été un gros marché pour nous.
D'après toi pourquoi ça n'a pas collé ? C'est la France qui a un problème avec Clawfinger ou bien c'est le contraire * rire * ?
Eh bien nous on a tendance à penser que le problème vient de la France, mais les Français doivent penser le contraire * rire *, et au final cela n'a pas d'importance. Par contre c'est un fait : on n'a jamais connu un gros succès commercial ici. Je ne sais pas si cela a joué, mais je sais que dans les année 90s, la loi imposait que vos radios jouent au moins de 75 à 80% de musique francophone, et forcément ça n'a pas joué beaucoup en la faveur de groupes comme nous. Et puis peut-être que notre musique ne correspond pas parfaitement aux goûts d'ici... Je ne sais pas vraiment, c'est ainsi et je n'y peux rien ! Et puis je vais te dire : aucun groupe n'est jamais gros absolument partout – à quelques exceptions près évidemment. En général ça marche fort ici, mais là-bas, pas tant que ça. C'est ce qu'on constate en général...
Je t'ai entendu dire lors d'une interview que vous ne jouez plus du tout le titre « Nigger » ??? Et cela va même jusqu'au point que tu ne l'appelles même plus par son nom, mais « the N song » ! Comment en est-on arrivé là ?
J'ai bien peur qu'il faille blâmer la période dans laquelle on vit !
Il y aurait dorénavant d'un côté les sujets à propos desquels tu t'autorises à parler, et de l'autre une « blacklist » de ce que tu t'interdis d'aborder ?
Non : je peux parler de ce dont j'ai envie. C'est juste qu'on a décidé de réagir vis-à-vis de ces sujets avec la maturité qui convient à notre âge. Les temps ont changé, des mouvements comme Black Lives Matters ont émergé... Alors c'est vrai qu'on pourrait faire nos Mötley Crüe et dire « On s'en branle ! », mais on préfère la jouer respectueux, et ne pas heurter les sensibilités actuelles. Ce sujet est bien plus vaste que ce titre de 3 minutes et demie.
Je comprends que, par respect, vous ne vouliez pas choquer. Mais le problème ce n'est pas ce que vous dites : c'est le fait que certaines personnes ne comprennent pas vos propos !
Tu sais : nous assumons ce titre à 100%. Pour nous le message est clair, et l'on n'est pas une bande de racistes. Le problème c'est que les ados aujourd'hui, c'est Tik-Tok et compagnie : les choses sont très rarement remises dans leur contexte. Et dans un environnement où il n'y a plus de possibilité de prendre du recul, ce titre est typiquement de la trempe de ceux qui vont être interprétés complètement de travers. On a donc décidé que le mieux était encore de le zapper purement et simplement. Après tout on a un stock de 50 autres morceaux dans lequel piocher... Et si on le désigne effectivement via l'appellation « N song » sur les réseaux sociaux, c'est tout simplement pour éviter que les messages le contenant se fassent automatiquement retoquer par les algorithmes.
… C'est d'ailleurs pour la même raison qu'il n'y aura pas de seins nus sur la pochette de votre prochain album * rire *
Ça, et le fait qu'on n'est pas vraiment un « boobs band » !
Autre question à propos d'un autre de vos titres qui a fait polémique : je veux parler bien sûr de « Step Aside », sur Zeros & Heroes. Du fait de paroles critiques envers Georges W. Bush, vous avez eu des réactions relativement hostiles en provenance des USA. Est-ce que cela va vous empêchez d'écrire ce que vous pensez de Trump, si malheureusement celui-ci rempilait pour un second mandat ?
Tu sais, le titre « Save Our Souls », sorti en 2018, parle déjà de Trump. C'est juste qu'on ne mentionne pas explicitement son nom. Je n’ai pas de problème avec le fait de parler de certaines personnes, quand ce sont de manière évidente de gros trous du culs. Et d'ailleurs, si je le sens ainsi, je n'hésiterai pas à les nommer explicitement dans mes textes. Ce qui est bizarre avec « Step Aside », c'est qu'on n'avait jamais vraiment laissé entendre qu'il s'agissait de Bush...
… Il faut croire que c'était suffisamment évident !
Peut-être, en effet, que c'était évident... Ou peut-être qu'en fait il n'était pas du tout question de lui ! Et ce qui est dingue dans tout cela, c'est de voir comment, au cours des années, cela a fait boule de neige. Car au final on a plus entendu parler de ce titre ces dernières années que lors de sa sortie ! A l'époque on n'avait pas vraiment eu d'échos négatifs...
C'est donc surtout maintenant que le problème devient sensible ?
Oui, mais on s'en moque.
Ça ne va pas gêner votre projet de devenir des super stars aux USA ? * rire *
On s'en fout. Complètement. En même temps on n'a jamais vraiment joué ce titre en concert...
Allez, retour en 2024. Aujourd’hui, sur les scènes du Hellfest on peut croiser Clawfinger, Body Count, Tom Morello (... qui joue en même temps que vous : c’est incompréhensible !)
... Oui, j’ai vu ça.
City Morgue avait également été invité, mais le groupe a malheureusement dû annuler... Bref, c’est un peu la journée du Rap Metal aujourd'hui !
C’est la grande journée du flash-back dans les 90s, en effet. Il y a Biohazard aussi d’ailleurs…
Même si ce n’est plus une scène bouillonnante, on trouve encore de nouvelles formations dans le genre, comme HourHouse, Boom Dox, Hyro The Hero, sans parler de tous les groupes de Trap Metal. Est-ce que tu connais – voire aime – certains de ces nouveaux venus, ou bien tu ne suis pas plus que ça ce qui se fait de nouveau dans le style ?
Ça m’arrive de tomber sur des nouveautés de temps en temps. Et en général je reste sur une impression mitigée, entre excitation, et le sentiment d’être devenu un vieux crouton. Par exemple je trouve qu’une partie de ce que fait Falling in Reverse est vraiment génial. Le mec a l’air d’être quelqu’un d’assez compliqué de ce que j’ai cru comprendre, mais certain de ces titres sont vraiment cools.
Et ses vidéos…
Ah oui : ses vidéos sont carrément incroyables ! J’aime le fait qu’il se foute des codes, qu’il balance soudainement du Rap au milieu des mitrailleuses qui canardent… J’ai toujours aimé ce genre d’artistes qui n’en font qu’à leur tête, sans se soucier de ce qui se fait et de ce qui est supposé ne pas se faire. Mais pour être honnête : non, je ne suis pas vraiment au courant des dernières sorties dans le genre. Si je devais conseiller un « nouveau groupe » à quelqu’un, ce serait Skindred. Sauf qu’ils ne sont déjà plus franchement nouveaux ! En tous cas c’est l’un de mes groupes préférés. Et je me rappelle également de Dub War, dans les 90s, toujours avec Benji.
Tu as aimé le dernier album, sorti récemment ?
Dub War ? Un nouvel album ? Tu es sûr ?
Oui : Westgate Under Fire, sorti en 2022. J’ai même interviewé Benji dans le cadre de cette sortie (NDLR: cf. new Noise #64).
J’étais complètement passé à côté… Excellente nouvelle ! Mais pour en revenir à Skindred, ce groupe déchire tout ! Leurs prestations live tuent, leur énergie est incroyablement positive : ce sont de véritables références ! Je me rappelle encore avoir acheté leur premier album (NDLR: Babylon), c’était en 2002, l’année de naissance de mon fils… Bordel, ça fait vingt-deux ans ! Comme quoi, en effet, ce n’est pas un groupe de jeunots. Ce qui fait plaisir, c’est qu’ils commencent enfin à récolter le grand succès qu’ils méritent tellement ! Bref, si j’avais une recommandation à donner vis-à-vis d’un groupe de cette scène, ce serait de les écouter. Ce qui ferait de moi un vieux croûton… (rires)
Repartons 10 ans en arrière pour évoquer Deafer Dumber Blinder, le coffret anniversaire sorti pour les 20 ans de Deaf Dumb Blind. Avant sa sortie, tu avais évoqué un réenregistrement de l’album, et des collaborations avec Peter Tägtgren et des membres de Rammstein…
Au final ça ne s’est jamais fait… (NDLR : le coffret et sorti, mais sans réenregistrement et sans featurings)
Tu peux nous dire ce qui a capoté ?
Je ne sais pas trop…
Pas de souci si tu ne veux pas en parler…
Non, non, pas de problème ! J’essaie juste de m’en rappeler… Pour être honnête, personnellement je suis plutôt content que ça ne se soit pas fait. Parce que la sortie d’un album correspond à une époque et des motivations données. C’est une sorte de journal d’une période de ta vie. Et de ce point de vue Deaf Dumb Blind est magique, parfaitement inscrit dans son époque et la scène telle qu’elle était alors. En le réenregistrant, on aurait perdu toute cette magie… J'avoue qu'on avait commencé, pourtant, à effectuer des réenregistrements. Mais on ne trouvait pas le résultant excitant, et on ne voyait pas trop là où ça nous menait… Au final ça a fini par nous sembler vain.
Et du coup plus de raison valable de faire intervenir Peter et les autres…
Si on le voulait vraiment, on pourrait rentrer en contact avec eux pour faire quelque-chose ensemble. Mais en fait on n’a jamais été un groupe très axé sur les collab’ avec d’autres artistes.
Ça ne vous dirait pas avec Benji ? En plus, lui, il les multiplie les featurings !
Envisagé de cette façon, oui : si quelqu’un me proposait de bosser avec Benji, j’en serais vraiment ravi ! Et puis pour être honnête ce serait cool que Till chante un maousse de gros refrain avec nous. Ce serait cool que Peter apporte une touche « à la Pain » à l’un de nos titres… Et tout ça serait faisable. Après, c’est surtout une question de faire ce qu’il faut pour que ça arrive réellement. Et en fait on n’a jamais été suffisamment motivés pour mettre en branle de tels projets. Ce n’est pas vraiment dans notre ADN, je crois… Pour autant Freddie Wadling, un chanteur suédois, a participé à « Undone » sur notre second album. On a également invité quelques musiciens de ci de là… Mais finalement ce n’est pas vraiment un truc qu’on fait naturellement. Ce qui n’empêche pas, pour autant, que tout ça pourrait voir le jour dans le futur, qui sait !
On parlait de Deaf Dumb Blind, qui contient son lot de classiques – de ceux que vous êtes presque « obligés » de jouer, tant les fans les attendent... Y a-t-il certains titres, qui vous tiennent à cœur et dont vous êtes particulièrement fiers, qui n’ont jamais véritablement atteint ce statut, alors que – selon vous – ils le méritaient… ? J'imagine que ce serait une source compréhensible de frustration...
Bordel, qu’il difficile de répondre à une telle question ! On a eu de la chance, en effet, que certains de nos morceaux soient devenus assez « gros » – quoi que ce terme puisse bien vouloir dire. Il y a eu « Nigger », « Truth », « Warfair », « Two Sides », « Biggest & the Best »… On en a eu plus que beaucoup de groupes, à vrai dire. Evidemment on ne dirait pas non à être encore plus gros. Mais on a vécu de notre musique pendant 20 ans. On a joué dans de très nombreux endroits de par le monde. On a eu la chance d’être suivis par des fans vraiment cools avec nous. On continue à être payé pour jouer 31 ans plus tard, et à y prendre du plaisir… Du coup, non : je ne ressens pas de frustration. J’imagine, oui, qu’on a parfois pensé que certaines compos seraient mieux accueillies qu’elles l’ont été… Par exemple j’aurais aimé que « The Faggot in You » ait un plus grand impact, car son message et son groove en valent le coup. Mais tu sais, de toutes façons ce n’est pas quelque-chose que l’on peut contrôler !
PS : merci à Moland Fengkov pour les photos effectuées durant l'interview !
0 COMMENTAIRE
AJOUTER UN COMMENTAIRE