Iron Maiden - Killers

Chronique CD album (41:32)

chronique Iron Maiden - Killers

Si on devait céder la plume à Magritte, celui-ci ouvrirait le présent texte en usant de la formule suivante : « ceci n’est pas une chronique ». A l’heure où nous tapons fébrilement sur le clavier, cela fait à peine quelques jours que Paul Di’Anno nous a quittés pour rejoindre le panthéon des légendes de l’histoire du rock qu’on immortalise, qui par le truchement d’une statue érigée au milieu du site d’un festival de renom ou sur une place publique, qui dans les couleurs chatoyantes de vitraux, qui sur un pont... Sa disparition compte parmi celles qui laissent un vide créant un trouble dans l’univers, celles qui vous rappellent que, comme le disent les Anglosaxons, « temps mouches », en cela que le Vieux Monde continue de disparaître, les figures tutélaires qui l’ont bâti tombant une à une, cédant petit à petit la place aux jeunes générations qui, consciemment ou non, nonobstant leurs capacités à digérer leurs influences et à repousser les frontières de la création en imposant leur propre marque, doivent leur existence à toute une série de pionniers ayant inventé la grammaire du genre musical dans lequel ils officient de manière atavique.

 

La Vierge de Fer, que nous ne ferons pas l’affront de présenter, puisque tout a été dit à son sujet et puisqu’elle n’a pas encore achevé l’écriture de sa propre histoire, appartient à cette grande famille intouchable, dont les œuvres, du moins les premières, les plus importantes, les incontournables, jouissent du statut éternel de classiques, qu’on les connaisse ou non. Car son nom résonne comme les cloches de l’église et s’exhibe sur les T-shirts sans honte (hormis pour les platistes en mal d’attention), un demi-siècle après sa naissance. Et ce, dans la bouche et sur le corps de musiciens de tous bords et toutes générations aux genres, pour beaucoup, radicalement à l’opposé de leur propre univers. Iron Maiden est au metal ce que Shakespeare et Molière sont au théâtre. Le groupe dont on a forcément un avis à émettre à son sujet, qu’on l’apprécie ou non, le groupe dont on ne compte plus la variété et le nombre de reprises dont bénéficie son répertoire, le groupe dont l’aura dépasse les frontières des niches pour remplir des stades aux quatre coins du Globe et haranguer des foules acquises à sa cause. « Scream for me, Montgeron ! » Le groupe dont on entend des riffs chez tellement de ses rejetons sans même s’en rendre compte, tellement le privilège des précurseurs consiste à inscrire leur art dans l’ADN de l’inconscient collectif.

 

A l’instar des sempiternels débats sur le classement des meilleurs albums des Britanniques, souvent centrés sur les 7 premiers, la mort de Di’Anno nous renvoie à celui concernant les périodes de la discographie du groupe identifiées par le frontman derrière le micro. Si on laisse de côté la parenthèse Blaze Bayley, 2 chapelles se toisent : d’un côté, les fans absolus de Bruce Dickinson, en face, les défenseurs de Di’Anno. Celui-ci aura été l’un des artisans de la légende du groupe. Au chant sur les 2 premiers albums, qui connurent un succès immédiat, à un an d’intervalle, et qui s’appréhendent comme un ensemble complet puisque les chansons les composant ont toutes été écrites en même temps (dans la même veine que les mythique Kid A et Amnesiac de Radiohead), il aura contribué à conférer à ces brûlots des airs de missiles nucléaires dévastant le paysage du rock du début des 80’s.

 

1980 : tandis que le post-punk et la new wave se dressent sur les cendres du punk, Iron Maiden sort son 1e album qui constitue d’emblée une des pierres angulaires de NWOBHM (new wave of british heavy metal), et outre son visuel qui attire le regard (coucou, Eddie the ‘Ead !) et l’inventivité de ses compositions, c’est bel et bien la voix de son chanteur qui frappe et saisit à la gorge l’auditeur. Eraillée, écorchée, enragée, elle garde la fureur nihiliste héritée du punk (« Wrathchild »« Purgatory ») mais sait aussi dévoiler une large palette quand elle traîne les voyelles dans les aigus. Il faut (ré)écouter les hurlements stridents de dément possédé en intro de « Killers », chanson qui donne son nom au second album, pour se rendre compte que les lignes vocales de Di’Anno représentent un défi pour tout interprète. Lorsque le morceau adopte sa vitesse de croisière, comme une course folle au-devant de la mort, il donne vie aux paroles, en faisant claquer les occlusives et grincer les fricatives. Il sait aussi se montrer plus feutré sur des fausses et vraies ballades comme « Remember tomorrow » et « Strange world » en allant puiser dans les gènes de la fièvre hippie. Mélancolique et romantique en diable comme sur « Prodigal son ». Sur les prémices des orientations prog de la musique de Maiden, comme sur « Phantom of the Opera », avec ses ruptures, ses changements de rythmes, ses envolées épiques, la voix navigue entre les cimes quand elle ne se place pas à l’unisson des autres instruments, gimmick que les détracteurs reprochent à l’album Senjutsu qui pousse le procédé jusqu’à un certain systématisme. Certes moins technique que son successeur, notamment sur les longues vocalises, Di’Anno garde cette authenticité sans artifice de bad boy en perfecto et bracelets de force issu de la classe ouvrière. Plus musclée, sa voix sait se montrer séduisante quand elle fait swinguer « Charlotte the Harlot » qui donne envie de balancer des « yeah ! yeah ! » à sa suite. Au vu de toutes ces prouesses immortalisées sur ces 2 albums, on comprend ô combien sa voix restera pour beaucoup LA voix de Maiden.

 

Paul Di’Anno, né Paul Andrews en 1958, a rejoint les étoiles en 2024. Il avait 66 ans. Comme un clin d’œil lors du passage de relai adressé à l’album suivant qui complètera le Nombre de la Bête. The Wrathchild runs free.

photo de Moland Fengkov
le 27/10/2024

16 COMMENTAIRES

papy_cyril

papy_cyril le 27/10/2024 à 11:23:31

merci Mo pour ce magnifique hommage à Paul! Gros de Maiden avec Dickinson, ça ne m'empêche pas d'adorer le 2 premiers albums et d'être désolé de la presque disparition d' Maiden Japan... et "Killer" quel morceau quand même !

Xuaterc

Xuaterc le 27/10/2024 à 11:44:22

Iron Maiden can't be fought!
Merci Moland!

cglaume

cglaume le 27/10/2024 à 11:47:45

Belle chronique / hommage 🤘

Moland

Moland le 27/10/2024 à 13:04:07

@papy_cyril, idem pour moi, je suis team chibredanfiss, mais les prestations de Di’Anno sur les 2 bombes qui ouvrent la discographie du groupe restent inimitables. C'est pas souvent que je suis profondément affecté par la mort d'une personnalité, même si je l'apprécie beaucoup, mais ces temps-ci, pas mal de décès me touchent... Michel Blanc, récemment, et là, Di’Anno... 66 ans, c'est jeune, merde... J'ai fait tourner en boucles les 2 albums, ces jours ci. On a beau les connaître par cœur, ça faisait longtemps que je ne les avais pas lancés, et le plaisir de l'écoute reste intact. 

@Xuxu : Iron Maide is the law !

@cyril : merci d'avoir lu :) Il me semblait assez nécessaire de ne pas laisser sous silence cette triste nouvelle et ne pas la réduire à une simple brève.

Moland

Moland le 28/10/2024 à 00:03:20

Fichtre cul, j'ai oublié d'ajouter "patrimoine de l’humanité" dans l'onglet "style"...

Xuaterc

Xuaterc le 28/10/2024 à 09:07:55

"patrimoine de l’humanité" ce n'est pas un synonyme d'Iron Maiden?

Moland

Moland le 28/10/2024 à 10:09:51

Si si, mais tout le monde ne le sait pas, à tel point que j'ai déjà vu des gens l'utiliser pour parler d'autres groupes : aberration, contre-sens, non-sens. 

el gep

el gep le 28/10/2024 à 11:20:29

Pourquoi t'as pas mis une virgule et des chiffres après la virgule, après l'infini ?
Je trouve ça bien de nuancer ses propos et ses notes quand-même, et d'être précis sur la note !

Moland

Moland le 28/10/2024 à 12:07:29

Passkeu chuis pas prévisible OKAYE 

el gep

el gep le 28/10/2024 à 13:00:15

Un monde s'écroule.

Je crois qu'il faisait partie des deux albums de Maiden que j'écoutais sur mon walkman lors du voyage scolaire en Italie en 92.
Mais qui m'avait prêté cette cassette de Maiden, qui ?!?
C'était juste après mon premier roulage de galoches (et première déconvenue amoureuse en réalisant qu'on m'avait utilisé).

cglaume

cglaume le 28/10/2024 à 14:55:47

C'est vrai que ∞,702/10, ça aurait eu de la gueule, à défaut d'avoir du sens...

El Gep, utilisé... ? Homme-objet, dès son plus jeune âge 😂

Moland

Moland le 28/10/2024 à 23:06:21

El Gep, ton anecdote me fout la chiale. 
Cyril : l'infini, ça a déjà de la gueule OKAYE, mais si on avait du ajouter des chiffres derrière la virgule, c'eût été 666, voyons !

lelex7986

lelex7986 le 31/10/2024 à 16:24:17

Trés belle chronique, trés bel hommage. 1981 ,j'avais 12 ans et ces 2 premiers albums font parties de la BO de ma vie. J'ai arrêté Maiden aprés le Live after death, un peu par lassitude. J'ai eu la chance de voir Paul Di Anno l'année dernière avec un groupe tribute à Londres au Cart & Horses bar où ils avaient faire leurs débuts. Et d'y amener mon fils qui tout petit s'est mis au Metal avec les 2 mêmes albums. Toujours la même voix, la même présence malgré le fauteuil roulant. On a passé une super soirée et quelle surprise de le croiser le lendemain matin à l'hotel où nous avions passé la nuit. Un petit 1/4 d'heure à parler du concert, de ces soucis de santé, de ces projets. Un homme simple,trés affecté par son état physique (il se considérait déjà comme un miraculé après une grave infection) mais qui repartait en tournée en Europe. Les 2 albums ont tourné ce 21 Octobre. Embrasse Phil Lynott aux paradis des rock stars, Paul.

Moland

Moland le 31/10/2024 à 18:43:17

Lelex merci d'avoir lu.
Quelle chance d'avoir pu le voir récemment et même d'échanger avec lui. 
Avec celles de Steve Albini, et dans 1 autre délire, de Michel Blanc, sa disparition compte parmi celles de cette année qui me touchent. 

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 04/11/2024 à 16:39:40

Putain j'ai l'air de quoi à la lecture de cette chronique, moi dont la track préférée de la Vierge de Fer reste "Blood Brothers" ? :'(

Moland

Moland le 04/11/2024 à 18:53:18

Hahaha bah t'as l'air d'un jeunot et c'est cool car la vie t'appartient !
"Blood brothers", cool morceau, au demeurant. Loin d'être mon préféré mais ça passe très bien
 

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