Rorcal - Muladona
Chronique CD album (37:55)

- Style
Blackened Doom/ Post-hardcore - Label(s)
Hummus Records - Date de sortie
8 novembre 2019 - Lieu d'enregistrement Blend Studio
- écouter via bandcamp
Deux mois. Il m'aura fallu deux mois pour digérer ce Muladona. Ces quarante minutes tournant en boucle, incessamment, sans jamais s'en sentir rassasié. Mieux, avec ce sentiment de ne jamais être allé « au bout », de ne jamais l'avoir fini. Parce qu'il faut vous dire que les suisses ont tapé très fort avec ce cinquième opus (chez Hummus Records). L'idée d'illustrer musicalement un livre n'est pas nouvelle (on a tous en tête Fall of Efrafa, R.I.P.) mais est toujours, à mon sens, digne d'intérêt. Rorcal a ici réussi ce difficile exercice et nous offre, oserais-je le mot, un chef-d'oeuvre, justifiant aisément leur place dans mon Top 3 2019. Sans vouloir commencer par la conclusion, jamais je ne me suis senti aussi tabassé et littéralement malmené après l'écoute d'un album. Les coups sont précis, puissants et surtout, toujours portés là où tu ne t'y attends pas.
Analyse.
Muladona, à la base, est une oeuvre littéraire écrite par l'écrivain américain Eric Steiner Carlson publiée chez Tartarus Press en 2016. Le pitch? Au crépuscule de la Première Guerre Mondiale, la fièvre espagnole infeste les Etats-Unis, y compris une petite ville texane au doux nom d'Incarnation. Les corps s'entassent, les restrictions et les mises en quarantaine se multiplient. Un garçon, esseulé et chétif, reclus dans la littérature se fait visiter par la Muladona, un démon mi-femme mi-mule, issu de la mythologie catalane. Commencent alors une lutte psychologique et une quête d'identité dont je ne vous dévoilerai pas la fin. Bref, ça fleure bon le cadavre, les chrysomies, la sueur, les démences, la violence innée d'un Texas ségrégationniste et les psychoses. Terreau parfait qui ne demande qu'à être arrosé d'un blackened doom ravagé, ravageur, ravageant.
Après, il ne suffit pas d'avoir des ingrédients de qualité pour réussir un plat. Encore faut il savoir les cuisiner, les mélanger, les marier. Et c'est ici parfaitement fait. On retrouve cette sérénité, ce calme, cette attitude observatrice et réfléchie q'un écrivain peut (et doit?) avoir; bref cette douceur littéraire entrelacée dans ce tumulte et ce fracas musical tout au long de l'album mais que l'on retrouve tout particulièrement dans 'This Is How I Came to Associate Drowning With Tenderness', la piste d'intro ou encore ' I'd Done My Duty To My Mother And My Father. And More Than, I'd Found Love'. On peut vraiment ressentir le travail de collaboration entre Eric C. Steiner et Rorcal, chacun laissant respectueusement une place à l'autre. C'est notamment en ça que réside la réussite et l'intérêt de cet album: c'est un peu plus que de la musique.
Sur ce point, Rorcal nous offre quelque chose de beaucoup plus nerveux qu'à l'habitude. On y retrouve bien entendu une extrême lourdeur, mais à l'exception de 'She Drained You of Your Innocence and You Poisoned Her with It' jouant sur un petit effet d'attente et de tension, on s'oriente vers un black en état d'urgence, stressé et psychorigide (dans ce sens où il ne cherche pas à tergiverser). La durée de cet album en est finalement la preuve: 37minutes 55 secondes c'est assez court, mais le quintet est ici pour aller à l'essentiel.
S'ajoute à cela la violence et la rage d'un post-core subtilement dilué venant te frapper aveuglément comme sur 'I was the Muladona's Seventh Tale '. Ça blaste à tout va sur un chant dépuratif et tendu. 'Carnations were not the smell of death. They were the smell of desire' se place sur ce créneaux laissant ici la part belle aux guitares leads. Original, cela illuste, parmi tant d'autres choses, le beau et sérieux travail de compo du groupe.
L'ensemble est finement empaqueté par une production léchée et plus que propre. Chaque détail est perceptible dans cet énorme fracas pour notre plus grand plaisir d'auditeur éclairé. Chacun a été au rendez-vous dans cette longue et parfois pénible chaine que peut-être la création d'un album.
Pour conclure, c'est un chef-d'oeuvre. De A à Z. Point.
2 COMMENTAIRES
Seisachtheion le 05/02/2020 à 09:28:30
Du très très lourd cette galette...
Dams le 06/02/2020 à 09:51:35
Génial ! Merci Vincent
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