Rorcal - Silence
Chronique CD album (41:11)

- Style
Blackened sludge indus' - Label(s)
Hummus Records - Date de sortie
29 septembre 2023 - écouter via bandcamp
Nul besoin ici de vous présenter Rorcal. Le nombre de chroniques présentes dans ces pages prouve à lui seul l’intérêt que le webzine porte à ce groupe depuis ses débuts. Quatre années après le chef d’œuvre Muladonna, les Suisses reviennent avec fracas : Silence.
Sorti en ce début d’automne (chez Hummus Record), ce sixième album repousse une fois de plus les frontières musicales, techniques, artistiques et ce, sans jamais perdre en cohérence.
Brillamment orchestré, cet hymne nihiliste est fait pour résonner dans les cages thoraciques de quiconque se fait lucide. 'Hope is a cancer', clament-ils.
Analyse.
Le silence est une thématique qui n’est pas des plus aisée à aborder en musique. C’est pourtant ce qu’ont fait les Suisses, au travers d’un blackened sludge aux teintes indus d’une frontalité qui leur est maintenant propre et reconnaissable. Silence se trouve être quarante cinq minutes de haine déversée inlassablement au cours de laquelle Yoni Chapatte nous exprime fatalement, non pas son désespoir, mais sa haine de l’espoir. Vous saisissez la nuance ? De 'Hope is a cancer' à ‘Childhood is a knife in the throat’ en passant par ‘The Worst in Everything ‘, on ne peut avoir que peu de doute sur l’intention des cinq individus.
Du point de vue musical, les fûts sont martelés avec technique et constance. D’’Early Mourning’ à ‘No Alleviation, Even in Death’ et surtout ‘Under the Nail’ la rythmique, motrice, pousse l’ensemble dans une tempétueuse dynamique qui, couplée à la compression du mixage nous percute de l’intérieur en permanence.
Les guitares, apparaissent de prime abord comme compactes, massives et monolithiques, gagnant, au passage, en intensité par rapport au précédent opus. On pourrait même se permettre de dire qu’elles sont ici plus profondes (je ne parle pas ici de la tonalité mais du magma émotionnel qu’elles expriment). Et pourtant, et pourtant ! Elles renferment de nombreuses variations, fourmillent de nuances et vont de subtilités en dissemblances. ‘Hope is a cancer’ en est un bel exemple ( parmi tant d’autres) avec ces envolées toutes en tension, tel un rapace prenant de l’altitude pour fondre et percuter sa proie.
Au milieu de toute cette fureur, résident tout de même quelques points de respiration, comme par exemple sur ‘Extinguished Innocence’. Mais ce souffle d’espoir est bien fébrile et se fait timide devant les menaces musicales qui déferlent par la suite.
Mais le coup de maître de Rorcal est d’avoir réussi à créer du silence, d’avoir composé ce qui n’est pas composable. Pour complètement apprécier cette subtilité, il faut apporter quelques précisions que le groupe délivre lui même :
« L'humanité court inexorablement à sa perte et précipitera dans son sillage tout ce qui a fait le monde. Aucune autre trajectoire ne se dessine, ne s'esquisse. Il n'y a plus rien à sauver. Nous allons plonger dans un abîme d'oubli, dans ce grand crépuscule qui se lève devant nous.
Et face à la certitude de l'effondrement, il n'y a rien de plus hideux, de plus dégradant que l'espoir. C'est un mensonge. Il nous aveugle, il nous étouffe. C'est un mythe à détruire. Ce n'est qu'à cette condition que nous pourrons accepter le pire en toute chose. Et le chérir.
Ainsi, lorsque l'idée même d'espoir disparaît, il ne reste plus que le SILENCE. »
L’intérêt se porte alors autant sur l’album que sur le silence qui le suit. ‘No Alleviation, Even in Death’ se clôt, ainsi que l’album, sur un climax d’une tension et d’une nervosité incontestable. C’est une véritable déflagration de silence qui résonne en nous ; d’une puissance sans nom. De la même manière que l’architecte Renzo Piano pouvait créer du vide, Rorcal créé du silence. Et c’est en ça que le groupe tient son élégance. Ils ne se contentent pas de nous beugler leur haine et leur hargne. Ils l’expriment de manière intelligente (pour ne pas dire intellectuelle) et subtile et font naître en nous de nouvelles sensations que l’on a peu l’occasion d’avoir.
Rorcal déroule ici son savoir-faire et sa pleine maîtrise. Suffocation et tabassage en règle sont donc au programme. Mais les messieurs, dans leur noir dessein, s’évertuent à construire d’obscurs artefacts diffusant en chacun de nous une gangrène silencieuse faisant pourrir la pensée, ruinant l’enthousiasme. Ils réussissent à nous faire prendre conscience, à nous faire vivre le vide sidéral, silencieux, qui nous est intrinsèque.
Les limites sont une fois de plus repoussées.
2 COMMENTAIRES
Moland le 12/10/2023 à 05:58:58
Excellent album et 1 chronique qui lui fait honneur. J'aime bien le concept de création du silence.
Pingouins le 12/10/2023 à 22:13:00
Bien dense comme il faut, trois écoutes pour le moment et c'est massif, il va en falloir un paquet d'autres pour appréhender la bête.
Très belĺe chronique nounours.
AJOUTER UN COMMENTAIRE