Haken - Fauna

Chronique CD album (1:02:06)

chronique Haken - Fauna

C'est une réflexion que je ne m'étais jamais faite jusqu'à aujourd'hui, mais étrangement, animaux et Metal semblent faire plutôt bon ménage – ou bonne ménagerie, oui, haha, z'êtes impayables. Que l'on pense aux flying whales de Gojira, au Gorilla Death Club de Ze Gran Zeft, à Pantera, à Animals As Leaders ou à Horse the Band, l'alliance zoo-musicale fonctionne plutôt pas mal. Tiens, dernièrement encore, sur Full Body Stomp de Detraktor, les deux plus grosses buteries étaient associées à de féroces bestioles : « Gorila » et « Bear Fight ». Bon, je suis sûr qu'en y passant le temps qu'il faut on pourrait trouver plein de contre-exemples cinglants (… Chameleon de Helloween ?). Mais en attendant, Fauna, le 7e et dernier album de Haken, s'inscrit des deux pattes et des deux mains dans cette liste des collaborations fructueuses.

 

Alors il y aurait beaucoup à dire sur la superbe pochette de l'album, ainsi que sur les textes de chacun de ces 9 titres qui, à travers des zooms sur telle ou telle bébête, traitent en filigrane de sujets touchant en fait le bipède humain : je vous laisse mener votre propre enquête, le groupe tout comme mes confrères chroniqueurs se sont déjà étendus en long et en large sur le sujet, vous n'aurez pas à cliquer bien loin si le sujet vous intéresse. Mais comme ici les chroniques ont déjà tendance à être longues, pour une fois on va s'éviter quelques chapitres non musicaux surnuméraires, d'autant que ça en fait déjà deux si je compte bien. D'ailleurs profitons de la fin de celui-ci pour vous donner une dernière information périphérique : Fauna voit le retour derrière le clavier de Peter Jones, après une parenthèse de 14 ans hors du groupe. Et vu à quel point cet album est badass, l'adage qui explique comment on cuisine les meilleures soupes semble encore une fois se vérifier.

 

Fauna, donc. Cet album est un doux émerveillement durant pas moins d'une généreuse heure. On y retrouve tout ce qu'on aime chez ces virtuoses composant à hauteur d'être humain, et manipulant leurs éprouvettes musicales avec gourmandise mais sans jamais perdre leur flegme typiquement britannique. Comme à chaque nouvel album, la mission que ceux-ci ont acceptée consiste à explorer les possibilités infinies offertes par les instruments classiques du Rock. Car ces derniers ont encore beaucoup à révéler à quiconque tente décalages, dépoussiérages, découpages insolites, et breaks apparemment incongrus mais prenant tout leur sens dans le merveilleux cabinet des curiosités que peut être la musique. Si le Metal progressif de nos amis se voit cette fois encore qualifié de « moderne », c'est qu'en effet, certaines coquetteries rythmiques, certains poinçonnages guitaristiques sont typiques de cette école métallique où l'on enseigne les préceptes du bon Docteur Meshuggah. Pour autant il ne s'agit là que d'un élément parmi de nombreux autres, l'une des caractéristiques principales de Haken étant que, quels que soient les détours empruntés, quelle que soit la richesse des drapés, quel que soit le degré de folie atteint par le maelstrom généré, jamais le schéma directeur des morceaux ni l'accroche de refrains forts ne sont oubliés. Fauna, c'est un peu l'affolante richesse des Dream Theater, Thank You Scientist et Panzerballet, mais passée au filtre mélodico-émotionnel de Leprous, Devin Townsend et Vola. Ou comment gagner sur les deux tableaux.

 

Il y aurait beaucoup à dire – encore, oui – sur la symbiose qui existe entre ces musiciens aguerris, sur les subtilités déployées par Raymond Hearne derrière son kit, sur la progression de certains titres dont la course semble dictée par de multiples petites touches impressionnistes, et sur les modulations incessantes que Ross Jennings apporte à son chant, ces variations judicieuses compensant largement, par leur justesse et leur à propos, un spectre vocal moins large que celui d'un Devin, ou un cristal moins pur que celui d'un Einar Solberg. Mais tout cela n'est que cuisine interne, finalement, cambouis et détails techniques, qui s'effacent devant la magie des morceaux proposés. Cette magie, c'est d'abord celle de refrains larger than life, qui caressent d'un vent frais et inondent de lumière cœurs et oreilles. Ceux de « Taurus », de « Nightingales », de « Sempiternal Beings »... Mais ne couchons pas ici l'intégralité de la tracklist, l'exercice serait stérile, bien que représentatif de la réalité. Cette magie ce sont également mille détours excitants, mille breaks croustillants, mille sourires arrachés à l'auditeur. C'est l'approche osée de « The Alphabet of Me » qui démarre comme un morceau de New Wave intimiste, puis va expérimenter, au bout d'une minute, sur un terrain où même un fan de R'n'B pourrait se sentir à l'aise... C'est la séduction féline de cette basse qui ouvre une fenêtre sur les paysages exotiques de « Island in the Clouds ». C'est la démonstration formidable d'un « Lovebite », morceau des contrastes semblant pensé, malgré son improbable effervescence, pour le format radio (3:49 au compteur, et des « Oh-ého » qui impressionnent durablement la matière grise). C'est le long « Elephants Never Forget », qui semble avoir été composé sous le haut patronage du Queen de « Bohemian Rhapsody » – ou du Pervy Perkin de ToTeM, pour rester plus proche des albums chroniqués en ces pages. D'ailleurs, si des réalisateurs nous lisent et que parmi ceux-ci certains prévoient de réaliser un remake des Aventures du baron de Münchhausen (la probabilité est particulièrement faible, je vous l'accorde), qu'ils sachent que ce titre constituerait un élément de choix au sein de la B.O.

 

Mais voici venir le moment ô combien frustrant de la fin de chronique, où en deux-trois phrases bien troussées le lecteur paresseux attend qu'on lui permette de zapper tout le blabla précédent en lui expliquant en mots excessivement simples pourquoi l'album est [une merveille indescriptible à écouter les yeux fermés / un échec cuisant à éviter à toux prix]. Or la tâche consistant à réduire Fauna et les émotions qu'il provoque en deux phrases me semble bien au-delà de mes capacités. J'ai adoré cet album – beaucoup aimé initialement, et puis chemin faisant, adoré, oui, c'est le mot. Et les raisons qui l'éloigne de la note maximale ne méritent même pas qu'on s'y attarde. Alors si vous faites partie du public cible, sautez le pas, et plongez dans cette ménagerie fantastique !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: perché quelque-part sur un magnifique petit nuage planant dans les mêmes cieux que Dream Theater, Thank You Scientist, Panzerballet, Leprous, Devin Townsend et Vola, Haken livre avec Fauna un septième album grandiose, qui ressemble fort à un point d'orgue. Il s'agit là de ce genre d’œuvre qui va se loger profond en vous pour vous susurrer à chaque écoute de nouvelles vérités sublimes. En vérité je vous le dis : tant que des musiciens continueront à proposer ce genre de musique, il y aura de l'espoir...

photo de Cglaume
le 17/07/2023

8 COMMENTAIRES

AdicTo

AdicTo le 17/07/2023 à 11:09:22

Et pourtant, « une merveille indescriptible à écouter les yeux fermés » définirait très bien cet album ;-)

Perso il n’y a que Lovebite à laquelle je n’accroche pas. Trop tubesque à mon goût (et pas que dans le format).

Le reste est un régal comme tu le soulignes si bien.


cglaume

cglaume le 17/07/2023 à 13:29:27

Rhoo, l’est bien Lovebite. Rien que le titre 🤣 (… on a le droit de le traduire en Franglais, si)

AdicTo

AdicTo le 18/07/2023 à 05:53:48

Miam 😋

noideaforid

noideaforid le 20/07/2023 à 22:50:31

Il y a pas mal de synthé dans l'album. D'habitude, c'est pas ta tasse de thé. 

cglaume

cglaume le 21/07/2023 à 05:32:43

Oui mais le synthé peut sonner de 1000 manières différentes. Quand c’est pour balancer des gros néons roses et des ritournelles Nintendo qui phagocytent tout l’espace sonore, bof. Par contre si son usage est plus mesuré, par exemple pour tapisser le fond de nappes de bon goût, why not 🙂

noideaforid

noideaforid le 21/07/2023 à 12:34:54

Et ça donne vraiment un aura particulier ici. J'ai une accroche qui commence à naître sur l'album, mais pièce par pièce. La bête n'est pas facile à appréhender. 

Matt666

Matt666 le 22/09/2023 à 12:46:42

La pochette fait penser à l'album de T.R.A.M je trouve. Font c***r ces chanteurs qui ne gueulent pas, ça gâche tout haha

cglaume

cglaume le 22/09/2023 à 13:29:43

TRAM ? Connais pas...

Voyons voir: "Tram était un duo musical britannique composé de Paul Anderson et Nick Avery. Faisant partie du mouvement slowcore, Tram a été reconnu pour son instrumentation luxuriante jouée à un rythme très lent."

Slowcore... Lent... moui, ça doit pô être pour moi ça ! :D  

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