Cave In + Amenra + Marissa Nadler - Songs of Townes Van Zandt Vol III

Chronique CD album (44:18)

chronique Cave In + Amenra + Marissa Nadler - Songs of Townes Van Zandt Vol III

Quand on s’intéresse à l’histoire de la folk, forcément, on pense à Bob Dylan. Mais, à l’instar d’un Sixto Rodriguez, talentueux loser qui n’accédera à la notoriété qu’a posteriori, par le truchement d’un documentaire lui étant consacré, Townes Van Zandt compte parmi ces écorchés vifs qui cracheront malgré eux à la face du succès, dans un élan d’autodestruction dont se nourrit d’une certaine manière leur génie créatif. Et dont l’œuvre continue à vivre, incarnée par les moult reprises que lui consacrent une palanquée d’artistes y ayant puisé leur inspiration. En clair, TVZ représente une grande partie de la quintessence de la folk dont il convient de faire perdurer l’esprit. La profondeur de sa voix, la sincérité de ses textes, et sa façon de les habiter, rappellent le parcours chaotique d’un Bukoswki, ce genre d’êtres marqués par la vie, artisans de leur propre calvaire, fait d’excès en tous genres, de l’alcool aux drogues dures, en passant par les relations amoureuses destructrices. De leur passion, dans le sens primal du terme.

 

Pas étonnant de voir Scott Kelly, l’un des membres tutélaires de Neurosis, l’un des 5 meilleurs groupes de toute l’histoire de la dépression, citer ce chanteur essentiel parmi ses influences. Pas étonnant non plus de le voir initier une série d’albums de reprises, en 2012, en compagnie de son compère Steve Von Till, autre pilier de Neurosis (sachant que les 2 jouissent chacun d’une carrière solo dans la folk) et de Wino, le patron de Saint Vitus, avant de récidiver avec un 2e volume, passant cette fois le flambeau à Nate Hall, le leader de US. Christmas, groupe d’americana expérimental, malade et génial, découvert par tonton Scotty et signé chez Neurot Recordings, le label de Neurosis, John Baizley, de Baroness et Mike Scheidt de Yob, l’un des rejetons les plus inspirés de Neurosis. Il y a, dans ce bestiaire d’authentiques blessés de la vie une cohérence qui confine à l’évidence. Quand on sait que Wino et Kelly ont officié au sein du supergroupe Shrinebuilder, par exemple, on parvient à une conclusion sans ambages : il n’y a pas de hasard.

 

Jamais deux sans trois. En 2022, le 3e volume consacré à la discographie de Van Zandt déboule dans les bacs, avec de nouveaux invités. Là encore, ces noms au générique ne sont pas les fruits d’une quelconque coïncidence. Steve Brodsky, de Cave In, a découvert la musique de TVZ en 2010 ; lors d’une tournée à travers la lande irlandaise en compagnie de Scott Kelly, qui jouait tous les soirs un classique du monsieur. Marissa Nadler connaît le chanteur depuis qu’elle a commencé à donner de la voix elle-même, et le place au sein de ses sources d’inspiration. Quant à Amenra, qui ont longtemps officié dans l’écurie de Neurot Recordings, même si la folk américaine ne fait pas partie de leur ADN, restent néanmoins sensibles à cet univers et s’approprier le répertoire de TVZ relève de la logique, tant sa musique entre en résonance avec la leur. A se demander si le post-metal sludgesco-tellurique inventé par Neurosis et décliné par ses moult rejetons, d’Amenra à Cult of Luna, en passant par Isis, Yob, Thou, voire Mastodon, ne serait pas, dans le fond, de la folk distordue pleine de rage électrique. Cette électricité qui strie les nues et fends les arbres.

 

Adonc, quand Marissa Nadler chante du Townes Van Sant, on l’imagine aisément dans un bar texan plongé dans l’obscurité et le silence des volutes de fumée de cigarettes. Elle y insuffle cette légèreté fugace et fragile qu’on retrouve dans la résilience des textes narrant les rêves brisés et les vicissitudes d’une existence qu’on piétine allègrement en se riant de la mort. Il y a une forme de simplicité qui confine à l’authenticité la plus pure, dans les arrangements de ses versions de « Quicksilver daydream of Maria » ou de « Sad Cinderella ». Tout comme Bukowski, Van Zandt ne versait pas dans la pose, ses excès et sa folie créatrice lui servaient de moteur qu’il convenait de nourrir constamment pour survivre, tout simplement. Cave In, eux, creusent les mélodies, font traîner les mots, les vers, les couplets, pour mieux leur conférer du sens. Van Zandt n’était armé que de sa guitare. Eux, tout en subtilité, sortent l’artillerie et la font pétarader à grands renforts de grincements, et c’est ainsi que les guitares pleurent à l’unisson du verbe. Leur version de « The Hole » fout littéralement la chiale. Amenra, enfin, nous ont accoutumés à des versions acoustiques de leur propre musique. C’est avec cette même aisance qu’ils livrent ici des versions cathartiques de l’œuvre de TVZ en puisant dans les tripes de ses chansons pour en faire des nœuds avec les leurs. « Flyin’ shoes » tutoie l’éther et si des larmes en coulent, c’est avec la dignité de ceux qui savent qu’ils peuvent survivre. Les néophytes s’amuseront à comparer les versions originales à celles que livrent ici Amenra, Cave In et Marissa Nadler. Tous offrent leur interprétation, tout en équilibre, s’appropriant l’œuvre de TVZ tout en sachant s’effacer. L’exercice difficile semble maîtrisé et ainsi, l’esprit de l’artiste perdure.

photo de Moland Fengkov
le 30/07/2022

7 COMMENTAIRES

Pingouins

Pingouins le 30/07/2022 à 10:17:37

Très bonne chronique moland !
Ca fait toujours plaisir de voir ces albums de cover de Townes Van Zandt, parce que j'aime vraiment beaucoup ce qu'il a fait.
Les tomes II et III n'atteignent toujours pas le premier, à mon sens, peut-être aussi du fait de l'effet de surprise, mais je trouve qu'il avait aussi un côté plus minimaliste, moins arrangé, plus intimiste. Sur celui-ci, je retrouve ça surtout sur Quicksilver daydream of Maria, Kathleen ou Nothin'.
Bon, c'est sûr que je le réécouterai quand même !

Xuaterc

Xuaterc le 30/07/2022 à 17:52:31

Une émotion de dingue. Je me suis écouté un live du bonhomme que je connaissais pas

Moland

Moland le 30/07/2022 à 22:05:08

Vous faites plaisir, camarades. Quand Pidji m'a proposé de chroniquer cette sortie, je ne pouvais refuser, tant les artistes impliqués et cités dans mon texte me touchent, tous. Merci d'avoir lu. 

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 06/08/2022 à 23:16:23

A priori pas ma cam, ma ta chro excellente donne très envie.

Moland

Moland le 07/08/2022 à 08:15:38

Crom, merci de l'avoir lue :) Tu me diras si l'envie a été récompensée et satisfaite. 

Dams

Dams le 09/08/2022 à 13:40:54

Superbe compilation et oui la version de "The Hole" est magnifique ! Cave In est décidément en pleine forme cette année.

Moland

Moland le 16/08/2022 à 10:06:55

Dams, j'aime bien comme chacun apporte sa petite touche, en toute modestie. Y a une forme de respect, dans leurs versions. 

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements

  • Seisach' 6 les 17 et 18 octobre 2025
  • Devil's days à Barsac les 9 et 10 mai 2025
  • ULTHA au Glazart à Paris le 27 juin 2025