Cave In - Heavy Pendulum

Chronique CD album (70:45)

chronique Cave In - Heavy Pendulum

Pas évident de se confronter aux disques de groupes qui font figure de mastodontes dans leur style, tant leur influence et leur longévité font parfois autorité. D'autant plus quand il faut parvenir à écrire quelques lignes à leur propos. Et Cave In, du haut de leurs presque 30 ans de carrière, font définitivement partie de cette catégorie.

 

Plusieurs questions se posaient de façon évidente au moment d'attaquer Heavy Pendulum, ce septième et nouvel opus du combo de Boston (sans compter de nombreux EP, lives et collaborations) :

 

  • est-ce que, après trois décennies d'existence, l'astre que représente Cave In dans la cosmologie du hardcore parvient toujours à briller suffisamment pour que sa lumière parvienne jusqu'à nous, où ne percevons-nous que les restes d'une étoile trop lointaine et déjà morte ?

  • Nate Newton, bassiste de Converge, Doomriders et Old Man Gloom et remplaçant de Caleb Scofield à ce poste depuis la mort malheureuse de ce dernier il y a quatre ans, s'intègre-t-il efficacement à la formation ou fait-il office de simple pièce rapportée ?

  • dans quelle mesure la collaboration de Stephen Brodsky au projet Bloodmoon réunissant lesdits Converge à Chelsea Wolfe l'année dernière a-t-elle influencé le processus de composition et la direction que prendrait Heavy Pendulum ?

 

Avant de nous aventurer dans les méandres de l'album, il me semble important de souligner la superbe de l'artwork, œuvre de Richey Beckett, qu'il m'a paru indispensable de nommer. Celui-ci laisse facilement supposer que l'on retrouvera les côtés space-rock si chers à Cave In, tout en ayant une tendance assez sombre. Mais finalement, à l'écoute de ce disque, on pourra plutôt penser que l'espace, tel qu'imagé ici, s'est écrasé, et que c'est sur les routes désertiques et poussiéreuses des anneaux de cette planète bientôt submergée que se fera l'écoute de Heavy Pendulum.

 

Il m'a fallu bien des écoutes (douze ? quinze ? aucune idée) pour parvenir à mettre vaguement de l'ordre dans les idées qui guideraient les réponses, forcément incomplètes, à ces quelques questions. Et à d'autres. Il faut dire que le format du disque est déjà un sérieux obstacle à toute prétention à la facilité : Heavy Pendulum, ce sont plus de 70 minutes de musique, réparties sur 14 morceaux, dont deux de plus de sept minutes, et même un (le dernier) qui vient exploser la barre des douze. Cela en fait donc un objet de fait assez difficile à appréhender dans son ensemble. Même le chef n'en pense pas moins, c'est dire ! Et même si on a quelques problèmes avec l'autorité, on ne peut cette fois pas vraiment lui donner tort. Brodsky le dit lui même dans « Blinded by a gaze » : « Long is the road ! (leading to you) ».

 

Bref, pour donner des pistes, ce qui m'a permis de me mouvoir avec un peu plus d'aisance dans cette très grosse heure de musique a été de considérer l'album comme fait de plusieurs blocs, où les morceaux les plus longs font souvent office de séparateurs, car ils marquent régulièrement une rupture dans le style.

 

Le premier de ces blocs regroupe les trois premiers morceaux (dont « New Reality » et « Blood Spiller » ont été choisis comme singles), tous assez énergiques et qui donnent une image de ce qu'on trouvera à mesure l'écoute : un hardcore « à la Cave In » teinté de mélodies stoner-rock et autres dérives grungy.

Dès les premières notes de « New Reality », on aura une bonne idée du type de son qui nous accompagnera sur Heavy Pendulum, avec une grosse disto et une basse (de Nate Newton, donc) qui râcle bien là où il faut et un son assez moderne (faut dire qu'il y a un autre Converge derrière les manettes : Kurt Ballou) et qui sonnerait comme un « heavy The Bronx » ; tandis que « Blood Spiller » ira tirer plutôt du côté du grunge sombre d'un Alice In Chains remâché à la sauce hardcore, et que « Floating Skulls » nous offrira un solo quasi heavy. On appréciera au passage la contribution de Newton en tant que deuxième micro plus harsh sur ces pistes et d'autres tout au long de l'album.

 

On a donc déjà l'une des réponses aux questions du début : Nate Newton dans Cave In, gros check, ça marche parfaitement, à la basse comme au mic.

A noter aussi que l'influence de Caleb Scofield, malgré son décès, est toujours bien présente : le riff du couplet de « New Reality » ou les paroles d' « Amaranthine », par exemple, viennent directement de ce qu'il avait écrit il y a plusieurs années.

 

Dans le deuxième de ces « blocs », coincé entre le morceau éponyme « Heavy Pendulum » et l'autre single « Blinded by a gaze », on trouvera des tempos souvent plus lents, proches d'un stoner/rock à l'ancienne et aux guitares psychédéliques pouvant faire penser à Kyuss ou Earth sur le premier (agrémenté de son interlude acidée « Pendulambient »), tandis que le second viendra répondre à une autre des questions du préambule : « Blinded by a gaze », placé en pivot de l'album avec ses sept minutes, semble en effet dériver directement de la collaboration Bloodmoon, avec cette exploration d'ambiances d'un Converge ralenti et là encore un peu grungy (mais cette fois plus réminiscent de Soundgarden peut-être).

Et mine de rien, on trouve aussi entre les deux cet excellent « Careless Offering » à la basse bien grasse, qui rappellerait presque Unsane engagés dans une improbable traversée du désert, tandis que le son des mini solos de guitare semble tout droit sorti de la gratte d'Adam Jones. Et là, on a déjà un aperçu de l'aspect multidirectionnel de cet album.

 

Notre troisième bloc, au départ d'« Amaranthine » et allant se perdre dans le long et stonerisant « Nightmare Eyes », apporte encore de nouvelles petites choses sur une base plus orientée hardcore : Newton qui vient poser des intonations très proches de celles de Scott Kelly de chez Neurosis, un côté « groove et space guitars » sur « Searchers of Hell » et une overdose de fuzz qui intervient dans le second interlude « Days of Nothing », fuzzée donc, acidée de nouveau, déverbée, relayée, ou le contraire, vous voyez de quoi je parle. Un vrai voyage, chimique ou stylistique, à vous de voir.

 

Un dernier bloc là encore plus orienté stoner rock avec les pénultième et antépénultième pistes, avant de venir buter sur ce dernier morceau, « Wavering Angel », bloc à lui tout seul dans cet album tant il diffère des autres.

Celui-ci est trèèès long pour clôturer l'album du haut de ses douze minutes, mais sa longueur est à mon avis justifiée, car elle apporte encore de l'eau au moulin de Cave In. Sa dimension acoustique initiale en fait quelque chose à part, qui va gratter du côté des albums solos de Steve Von Till, mais avec une voix qui donne cette fois un aspect plus rétro, presque à la Led Zep (pensez « Soldier of Fortune »), absolument pas rocailleux comme chez les hurleurs de Neurosis (ça, c'est Nate Newton qui s'en charge dans certains morceaux, on l'a déjà dit), bien que l'ensemble s'emballe un peu plus dans la durée.

 

Au final, je ne voulais absolument pas faire de track by track pour cette chronique, mais les différentes directions empruntées par le quatuor m'y ont un peu contraint, de même que la durée du disque, pour arriver à en dire quelque chose. Et bizarrement, je ne me voyais pas trop en laisser de côté : même si l'album est vraiment long, je ne sais pas vraiment lequel des morceaux on pourrait retirer, tous ont leur petit quelque chose. Mais il est tout de même vrai qu'il est difficile d'accorder une écoute attentive d'une seule traite.

 

Bref. Sur Heavy Pendulum, Cave In convoquent de façon kaléidoscopique les influences des classiques du rock et de ses dérivés de différentes époques, pour un long voyage à la conjonction des poussières : celle que l'on soulève sur les routes désertiques du stoner-rock, celle qui s'accumule sur les fringues de l'arrière-salle des concerts de Seattle et celle, d'étoile, qui fait briller le space-rock si particulier qui accompagne leur carrière. Sans oublier évidemment la poussière soulevée par leur hardcore authentique, qui teinte l'intégralité de cet album, mais qui laisse donc la part belle à tous les univers de ce rock moins extrême. Un peu comme si Cave In s'étaient dit : "Hey, si on essayait de jouer comme Cave In ?"

 

S'il y a quelque chose à retenir de cette probablement trop longue chronique, c'est que Heavy Pendulum est un album qui se révèlera après de nombreuses écoutes, une fois qu'on aura trouvé par quel bout le prendre. Pour moi, c'était cette histoire de blocs. Pour vous, peut-être autre chose. Dans tous les cas, c'est un disque qui s'avère, à mon humble avis, être un grand cru de la maison Cave In.

 

A écouter donc pour répondre à la première des questions qui étaient posées en introduction : attendez la nuit, sortez, levez les yeux. Cave In brillent bien fort dans le ciel et dans le firmament du hardcore qui ne s'embarrasse pas de cadres inutiles.

photo de Pingouins
le 18/05/2022

15 COMMENTAIRES

Tookie

Tookie le 18/05/2022 à 07:37:41

Amen.

pidji

pidji le 18/05/2022 à 08:49:50

Bon, je le trouve toujours trop long 😐
Par contre, pris individuellement, certains titres sont juste excellents.

Freaks

Freaks le 18/05/2022 à 13:30:04

Y-a du Mutoid Man la dedans donc moi ça me va.. Et la pochette aussi est vraiment classe.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 18/05/2022 à 15:02:54

Dommage pour la voix, ça grondait bien au début.

pidji

pidji le 18/05/2022 à 16:20:40

Bah des fois y a Nate Newton qui braille bien comme il faut ! Mais c'est sûr qu'il faut aimer la voix claire de Brodsky

Freaks

Freaks le 18/05/2022 à 16:51:36

Brodsky est un chanteur avec des qualités et une aisance vocale impressionnante. Puissance et largesse des poumons, tessiture très cool (subjectif), palette de scream variée, interprétation et expressivité qui tape direk dans l'cardio. De la haute voltige vocale et une émotivité (tant dans le clair que dans le braillement) que je kiffe ++. Bon après on a le droit de pas aimer hein! mais intrinsèquement ça reste de la bombe ce chanteur.

Moland

Moland le 18/05/2022 à 19:01:55

Veni ecuti validi.
J'adeure Old Man Gloom (2  chroniques en rayon ici) et Neurosis compte parmi les 5 meilleurs groupes de toute l'histoire des rayons, ça relève de l'évidence, l'attente de cet album. Ta chronique rend bien compte de ce qu'il propose. Merci. 

Eric 32

Eric 32 le 20/05/2022 à 09:18:28

Il est énorme cet album !
C'est sûre qu'il est long mais il n'y a rien à jeter.

Pingouins

Pingouins le 20/05/2022 à 10:49:30

Eric : ben oui je suis d'accord, comme je le disais dans la chronique. S'il fallait enlever deux ou trois pistes je serai plutôt incapable de choisir lesquelles. Au final c'est peut-être New Reality que j'aime le moins.

Va falloir encore le faire tourner un paquet de fois pour découvrir les faces cachées de toutes les planètes de ce système disquaire !

Moland

Moland le 20/05/2022 à 16:32:29

J'aime beaucoup ton passage sur la poussière. Bien vu. 

Pingouins

Pingouins le 20/05/2022 à 17:31:00

Merci Moland :)
Au moment de la rédaction ça m'est venu comme une évidence.

Dams

Dams le 25/05/2022 à 19:52:49

Ah oui, grosse sortie que ce nouveau Cave In !
Le style évoqué est tout à fait juste !

CTEkills

CTEkills le 02/06/2022 à 07:41:28

Cave In, c'est comme un long voyage initiatique avec ses erreurs de parcours, ses cul-de-sacs, ses trouvailles inattendues, ses repos plus longs que prévus entre deux étapes et ses drames qui font grandir. C'est aussi des réussites et un spectre musical élargies par tous ces détours.
C'est un groupe qui a appris et compris ce qu'il est. Je pensais que Final Transmission était leur testament musical, mais ce sera sûrement ce disque qui sonne comme un aboutissement.
Je n'étais même pas au courant qu'ils sortaient un disque, découvert chez mon disquaire et acheté tout de suite en version bleu.
Aujourd'hui je ne vois pas à quel autre groupe l'on pourrait les associer. Leur personnalité sur ce disque est unique, résultats de leurs influences évidentes mais aussi de leur propre parcours.
Dans une récente itw sur youtube au sujet de la sortie de cet album Brodsky parle de ses influences et de son parcours musicale : guns'n roses et Slash qui lui donne envie de faire de la guitare, metallica, megadeth, Kurt Cobain et nirvana qui lui donne la confiance d'être capable d'être un artiste, son fanatisme pour tous les sorties du label subpop, la découverte de l'underground et de l'emo des 90s, son approfondissement du metal par le boyfriend de la soeur d'Adam McGrath, Adam McGrath qui lui fait découvrir le hardcore et son problème avec le hardcore "macho" des tough guys résolu par la découverte de converge.
Bref un parcours dans lequel beaucoup de gens à la petite quarantaine comme eux et moi peuvent se reconnaître. Et aujourd'hui, j'adhère totalement à ce disque qui offre une vraie variété tout en réussissant à garder une homogénéité, notamment par la signature sonore. En somme ce qu'on attend d'un grand disque qui passe le cap de l’épreuve du temps.

Tookie

Tookie le 02/06/2022 à 11:38:38

T'as mis le doigt sur quelque chose de juste CTEkills : je pense aussi que ce disque a une part d'intemporalité, ça ajoute à son charme ET sa réussite artistique.

Dams

Dams le 02/06/2022 à 20:54:31

Par moment j'entends comme du "Vheissu" de Thrice dans cet album, si justement ces derniers pouvaient s'en inspirer...

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements