Jean-charles Desgroux - Rock Fusion: Funk, Hip-Hop, Nü-Metal & autres métissages
Chronique Livre

- Style
Fusion - Label(s)
Le Mot et le Reste - Date de sortie
18 mars 2021
On a l'habitude – et un peu marre à dire vrai – des bouquins qui expliquent que Varg Vikernes a commis l'irréparable après qu'Euronymous ait craché dans son Yop. On a lu et relu les rapports d'enquête complotistes prouvant que, au vu du tag sanglant laissé au plafond par Kurt Cobain, il ne pouvait bien évidemment pas s'agir d'un suicide mais plutôt d'un meurtre politique fomenté par un grand laboratoire pharmaceutique sud-africain servant de couverture au Mossad. On a baillé plus d'une fois sur des mémoires universitaires nous expliquant doctement que si les métalleux se jettent les uns sur les autres dans les pits c'est parce qu'ils sont jeunes et en mal de sensations fortes, et que s'ils portent pleins de patches au dos de leur veste c'est pour afficher leur attachement à leurs groupes préférés et se signaler comme appartenant à la communauté des Brothers ov Metôôl. Bref cet été, pour lire sur la plage, on était à deux doigts d'opter plutôt pour le dernier Guillaume Musso, quand le Mot et le Reste nous a soudain signalé son intention de publier Rock Fusion, un petit pavé consacré à cette scène quasi-oubliée qui a un jour décidé de prendre le meilleur de différents mondes pour vérifier si, la musique offrant un champ des possibles plus large encore que les maths, le résultat ne pourrait pas être plus grand plus beau plus fort que la somme de ses composantes.
Petit mot rapide sur l'auteur qui, je l'avoue, était de moi inconnu avant l'achat de ce bouquin (je n'aurais pas dû résilier mon abonnement à Metal Pipolz) : Jean-Charles Desgroux a usé ses oreilles et ses stylos Bic dans les colonnes de Rock Sound ou encore Rock&Folk. Il a par ailleurs déjà publié des bouquins consacrés au Hair Metal, au Stoner, à Alice Cooper et à Iggy Pop. Du coup 1) pas étonnant que je n'ai pas croisé ce nom jusqu'ici 2) peu de chances que ce nouvel ouvrage évoque le métissage Disco / Grind de Not A Br(a)in...
Pour bien cerner le contenu de Rock Fusion – qui, vous l'aurez remarqué, met en avant le terme « Rock » plutôt que « Metal », ce qui est raccord avec le background de J.C. – il faut ne pas survoler trop vite le sous-titre : Funk, Hip-Hop, Nü-Metal & autres métissages. En effet si les 2 premiers termes n'ont rien de choquant – rappel : les Anglo-Saxons ne parlent jamais de Fusion (ou en tous cas pas dans ce contexte) mais plus communément de Funk Metal ou de Rap Metal – l'ajout de Nü-Metal à cette liste enfonce un clou déjà passablement martelé par la pochette de Korn (visible à la droite de celle de Rage Against The Machine) : on va trouver des porteurs de baggy au sein d'un nombre conséquent des pages de cet ouvrage. Et j'avoue que de mon point de vue cet aspect est plutôt à ajouter à sa colonne Débit qu'à sa colonne Crédit. D'autant que sans aller jusqu'à une scène de niche comme le Nawak Metal (on en reparle plus loin), une autre Fusion aurait pu plus naturellement trouver sa place ici : le World Metal qui, au-delà de System of a Down, nous a donné les Orphaned Land, Dirty Shirt, Russkaja, Kultür Shock et autres Viza. Mais n'étant pas du genre à balancer une pizza à la poubelle parce qu'un cuisiner farfelu y a placé quelques tranches d'ananas à la place du basilic, cette peau de banane thématique n'allait pas arrêter un lapin jaune lancé poignée en coin sur la route de Fusionland.
A l'image d'Une Nuit En Enfer, Rock Fusion est constitué de deux parties bien distinctes : d'abord 70 pages dédiées à poser le contexte et dresser un historique du genre, puis 200 pages consacrées à 100 groupes qui – d'après l'auteur du moins, mais à quelques très rares exceptions et à notre réticence vis-à-vis du Néo près on n'émettra pas d'objection majeure – sont des incontournables. Le cours d'histoire introductif est particulièrement pertinent et instructif. Situant le big-bang du genre en juillet 1986, au moment où Aerosmith et Run DMC offrent une seconde vie métissée à « Walk This Way », Mister Desgroux évite l'écueil de l’exhaustivité académique qui nous aurait imposé un flash-back vers l'époque lointaine où les percussions sumériennes étaient mélangées pour la première fois au kanoun égyptien, puis une longue descente de frise musi-chronologique passant par le duo Assurancetourix / Clavdivs Novgarvm. Plus proche de nos attentes, le livre se contente de brosser un rapide tableau des figures majeures sous l'égide desquelles est née cette scène (Miles Davis, Hendrix, Funkadelic...), de rappeler tout aussi rapidement comment est apparu le Rap, avant d'entamer la tant attendue visite guidée qui nous présente les principaux acteurs et les moments forts qui ont jadis – c'est qu'on vous parle d'un autre siècle jeunes gens ! – contribué à la notoriété de cet audacieux mouvement. Défilent donc sous nos doigts fiévreux Rick Rubin, les Beastie Boys, la B.O. de Judgment Night, le single « Cop Killer », les Red Hot, MTV et ses « heavy rotations », FNM et le single « Epic », le festival Lollapalooza, la sortie du premier Rage Against The Machine... Vous connaissez sûrement les grandes lignes vous aussi. L'intérêt du travail de J.C. est d'articuler entre elles ces infos qu'on a tous plus ou moins en tête, et de dresser une carte détaillée qui nous permet de combler les éventuels trous et de bénéficier enfin d'une vision d'ensemble de l'histoire du genre.
Puis démarre le long et délicieux défilé des groupes et albums ayant durablement marqué la Fusion. Alors évidemment, cette liste ne peut que s'avérer frustrante, puisque malgré des notes évoquant les diverses discographies, celle-ci met en avant un seul album par groupe (... quoique Jean-Charles s'autorise à déborder un peu du cadre). Et parce qu'on y trouve forcément toujours certaines impasses qu'on juge, à l'aune de nos goûts, impardonnables (Ni Waltari, ni Mucky Pup, ni Dog Fashion Disco dans les 100, vraiment?). Mais il s'agit néanmoins de ce genre de liste qui donne l'eau à la bouche, et qui peut se consulter avec gourmandise, au petit bonheur, comme on parcourt un livre de recettes. Ou alors méthodiquement, comme un complément à l'exposé offert en début de livre, l'ordre suivi étant assez logiquement chronologique.
Mais ne croyez pas pour autant qu'il suffit d'imprimer « Fusion » sur une couverture pour que le lapin jaune qui vous cause frétille de la queue comme un Youtubeur à l'Elysée. Au contraire, c'est dans ce genre de circonstance qu'il devient aussi intolérant qu'un connard en Lacoste découvrant une micro-éraflure sur la carrosserie de sa décapotable. Car si si, des éraflures il y a au sein de ces pages érudites. A nous de dresser une liste :
1) Quand on évoque la Fusion, on pense basse slappée gironde, sueur et phéromones Funk, soleil et palmiers, distorsion aguicheuse, déhanchements sous la boule à facettes, bermudas & fiesta autour de la piscine. Bref, on pense immanquablement Sea, SEX & Sun. Or, s'il n'enfile pas non plus le gilet mauve élimé du vieil universitaire faisant crisser sa craie sur le tableau noir, Jean-Charles Desgroux utilise ici un ton quand même plus proche de la froideur technique du rédacteur de fiche Wikipedia que de l'exubérance passionnée du testeur de cocktails en club naturiste. On s'attendait à un film érotique, on reçoit un cours d'éducation sexuelle. Forcément, Popaul boude un peu... Mais reconnaissons-lui ça : l'auteur a dû coller avec les standards de la maison qui accueille ses écrits.
2) J'ai déjà dit à quel point le choix de mêler le Néo à la Fusion me grattait désagréablement les muqueuses à la paille de fer. La sensation est d'autant plus irritante quand on constate à quel point l'espace attribué à cette scène aurait pu (dû!) être consacré à ces groupes qu'on qualifie sur ce zine de Nawak, groupes d'autant plus indiqués qu'ils poussent jusqu'au bout le concept de Fusion en mélangeant non pas seulement 2 mais N genres, en poussant la décontraction inhérente au genre jusque dans le burlesque, et en montant souvent d'un cran l'exigence technique au point de flirter alors avec le Progressif. Car si JC ne pouvait pas ne pas parler de Mr Bungle et Carnival in Coal (puis de Waltari et de Psykup, du bout des lèvres, dans son Addenda), la couverture du genre s'arrête là. Et j'avoue que je ne peux m'empêcher de pousser conséquemment un « … mais POURQUOIIIIIIIIII NOM DE NOM ? ». Où sont-il les Tub Ring, Dog Fashion Disco, Estradasphere, Stolen Babies, Shaolin Death Squad, Diablo Swing Orchestra, Umlaut, Unexpect, Sleepytime Gorilla Museum, Kontrust, Hentai Corporation et Nuclear Rabbit ? Sans compter que cette impasse induit un autre écueil. Laissez moi passer au point suivant et on détaille la chose...
3) Conséquence logique du cadre stylistique tel qu'il est ici défini, la présence des groupes français dans Rock Fusion est quasi-infinitésimale. En dehors de Carnival in Coal, la France s'y résume à FFF, Shaka Ponk, Lofofora / No One / Silmarils et la Team Nowhere... Quel triste aperçu de la richesse hexagonale !!! Dès que l'on s'ouvre un peu à la scène Nawak, en aval de Carnival in Coal on trouve un formidable geyser de talents, parmi lesquels (désolé pour le name dropping étouffe-chrétien) 6:33, öOoOoOoOoOo (Chenille), Akphaezya, les Cool Cavemen, Costa Gravos, Empalot, Hardcore Anal Hydrogen, Igorrr (quand même!), La Fin de la Société, Pin-Up Went Down, Pryapisme, Sebkha-Chott, Toumaï, Ufych ou encore Vladimir Bozar. On ne peut que trouver dommage qu'un ouvrage francophone sur la Fusion ne mette pas plus en avant ce foisonnement de créativité débridée !
4) Si Jean-Charles Desgroux est sans conteste une encyclopédie vivante de l'âge d'or de la Fusion, il a manifestement eu moins l'occasion de se pencher sur ses extensions les plus récentes, car si l'on en croit le livre, aujourd'hui ce genre tout rabougri peut se résumer à quelques reformations de vieilles gloires ainsi qu'à l'émergence du Trap Metal. Et la dernière grande sensation du genre serait Fever 333 (comment ne pas vouloir une loi pour légaliser l'euthanasie des styles musicaux dans ce cas?). C'est oublier l'excellence de certains groupes, certes peut-être pas assez médiatisés (mais c'est là où le livre aurait pu faire la différence plutôt que d'acter la mort du genre), mais aussi actifs que créatifs : Twelve Foot Ninja, Maximum The Hormone, Osaka Punch, Zeal and Ardor (cantonné à l'Addenda lui aussi), Troldhaugen, Ailiph Doepa, Moron Police, Polkadot Cadaver, Melted Bodies, Celebrity Sex Scandal, Ninjaspy et (je me répète, mais cocoricooooo que diable) Igorrr.
« Ça en fait des « grommelleries », dis, lapin ! A croire que tu n'as pas apprécié le livre ? »
Bien au contraire ! D'ailleurs ce n'est pas un hasard si c'est le premier livre chroniqué par votre serviteur après de nombreuses années à pratiquer cette activité. Mais vous savez comment sont les râleurs de mon espèce : les 2 semaines de vacances tous frais payés sous les tropiques ont beau s'être déroulées de manière idyllique, on n'en retient que les petits loupés ! Tu parles d'une vieille carne ! Alors retenez plutôt que Rock Fusion est une formidable ode manuscrite à un genre trop vite retombé dans la confidentialité, et qu'il permettra même aux plus connaisseurs de [re]découvrir certaines petites merveilles (mention spéciale à cet Addenda ici maintes fois mentionné, véritable liste au trésor pour qui saura fouiner un peu).
La chronique, version courte: vous rêviez d'une Bible de la Fusion ? Jean-Charles Desgroux l'a écrite pour vous. On pourra évidemment reprocher à l'ouvrage d'être essentiellement un Ancien Testament, et d'occulter quasi-complètement la scène Nawak Metal... Néanmoins l’œuvre s'avère délectable, érudite et truffée de nombreuses occasions de parfaire sa Cdthèque en même temps que sa connaissance du genre.
12 COMMENTAIRES
Crom-Cruach le 22/07/2021 à 11:21:34
4 albums essentiels sur la couv... Quoique Korn en fusion ? Je m'interroge.
pidji le 22/07/2021 à 11:31:52
Surtout sur ce premier album de KoRn !
Ok pour "Life is Peachy", mais pas vraiment l'éponyme je trouve.
Garth Algar President le 22/07/2021 à 11:32:49
Quelle époque quand même avec tous ces groupes exceptionnels... FNM, Primus, Living Colour, RATM, Soundgarden, AIC et j'en passe... On écoutait ça en trippant sur des parties endiablées de Street of Rage sur Megadrive, ah la la ça avait tellement plus de fun et de caractère !!!!
el gep le 22/07/2021 à 12:07:04
On pensait que Schwartznigger allait nous sauver de la fin du monde nucléaire (ou la précipiter, en fait!) et on a appris à considérer les femmes comme des objets sexuels grâce à Playboy! Toute une époque... Quelle bande de gogoles on était! (lol)
Sinon Fishbone faisait de la fusion bien avant AeroDMC, mais bon on s'en fout, c'était juste histoire de replacer Fishbone, les vaillants soldats oubliés.
Crom-Cruach le 22/07/2021 à 13:01:19
FISHBONE mais oui bordelacouille et Living Colour car Elvis is dead !
cglaume le 22/07/2021 à 13:33:34
Le livre choisit de traiter le Neo dans la Fusion Cromy, c’est dans son titre (et moi aussi ça me chiffonne un peu haha) :P
Et sinon le livre parle bien évidement de Fishbone, Gepetto. Mais comme je l’écris, il ne cherche pas à retourner le plus loin possible en arrière dans une course archéologique à l’exhaustivité :)
Crom-Cruach le 23/07/2021 à 00:02:16
Il ne remonte pas dans le temps. Il ne cause pas des groupes récents. Un livre entre deux âges ?
Eric D-Toorop le 23/07/2021 à 00:22:19
Ceci dit si le Nü-Metôôôl est bien présent, "Nawak" c'est avant tout un titre de Pleymo. ça se tient ^^
Eric D-Toorop le 23/07/2021 à 00:25:44
Et c'est aussi un label Electro plutôt Gabber ^^
cglaume le 23/07/2021 à 00:55:31
Eric, c'est villain de salir ainsi mon Nawak :P
papy_cyril le 23/07/2021 à 11:00:38
"d'occulter quasi-complètement la scène Nawak Metal..." t'as pas compris que Jean-Charles est gentleman et te réserve à toi d'écrire un bouquin sur le Nawak ;-) ?
cglaume le 23/07/2021 à 15:44:19
Haha. Ça pourrait être un projet pour un lapin retraité. Sauf que la retraite c’est pas pour demain !! :D
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