HELLFEST 2022 - Le week-end de Moland - Seconde partie

HELLFEST 2022 Le week-end de Moland - Seconde partie (dossier)
 

 

Jour 4

 

slomosaTrois jours de canicule : une certaine idée de l’enfer, de quoi confirmer que le Hellfest porte bien son nom. Les 3 jours de pause avant le second round furent salutaires pour celles et ceux ayant décidé de vivre la totalité de cette double édition historique. Pour autant, si le second weekend débute relativement doucement, les portes du site n’ouvrant qu’en milieu d’après-midi, son programme n’en demeure pas moins dense, puisqu’on assistera, ce jour-là, à 8 concerts. Et pas des moindres, puisque parmi eux, 2 énormes claques qui encore une fois, font mentir les commentaires selon lesquels le Hellfest programme toujours les mêmes artistes ou “prend les gens pour des cons” : l’un ne compte qu’un 1e album à son actif, mais connaît déjà un tel succès que sa place sur la scène de la Valley ne souffre aucune contestation. L’autre n’a pas sorti d’album depuis 20 ans, par conséquent, on comprend aisément que ce sont pour tous 2 un premier passage à Clisson. Msieudames : à ma gauche, Slomosa, à ma droite, Lowrider. Le 1e sert un stoner rock énergique aux mélodies d’une évidence folle qui s’impriment dans l’esprit et le corps en donnant littéralement envie de remuer le popotin. Résolument un groupe de live qui, sans avoir à gigoter dans tous les sens, se donne corps et âme, avec vivacité et nonchalance.  Il convient de voir ces Norvégiens dans une plus petite salle pour se rendre compte de la folie qui s’empare de leur public lorsqu’ils déroulent les titres de leur album. Leur tournée en compagnie des grands Sasquatch, qui les mènera au Deserfest d’Anvers, offrira l’occasion à des milliers de chanceux de le vérifier. Le second, après un album mythique devenu une référence, “Ode to Io”, a opéré, 20 ans plus tard, un retour en force et en grâce avec “Refractions”. Non contents de signer l’un des meilleurs albums de stoner de 2020, les Suédois transforment l’essai à Clisson avec un des meilleurs shows, au rayon stoner. Lorsque leur set, après avoir envoyé du steak par kilos enrobé de groove de bon aloi, arrive au titre “Pipe rider”, chargé d’une dimension hautement sensuelle qui donne envie d’escalader les rideaux, c’est alors pendant 11 longues minutes que le public peut allègrement partager ses fluides corporels, ne serait-ce que de la sueur bienvenue. Comme le Hellfest sait se montrer généreux, les prestations in extenso de ces 2 groupes sont visibles chez Arte Concert. L’occasion pour les malchanceux de la loterie des billets, les esprits chagrins qui veulent quand même avoir bon goût, ou encore ceux qui désirent revivre l’instant, d’avoir une idée de la magie qui circulait à l’ombre de la Valley ce jour-là.

 

“La vie est une série de cycles” (Paulo Coelho). La journée de la Temple commence dans une ambiance mystique et se termine dans une atmosphère chamanique. A moins que ce soit le contraire, on perd rapidement la notion du temps et de l’espace avec les 2 formations suivantes. Belle cohérence, d’autant que Lili Refrain, qui ouvre le bal des sorcières, partage la route avec Heilung qui clôture la messe. La 1e, seule sur scène, seulement armée d’un clavier, d’une guitare et d’une série de pédales, construit sa musique, entre drone et folk psychédélique, par couches de séquences successives. Au fur et à mesure que ses compos prennent corps, comme des esprits des forêts répondant à l’appel d’incantations ancestrales, le public entre en transe et en communion. Je me souviens des seconds, la 1e fois que je les ai découverts, ici même, suivant les conseils d’un ami plus avisé que moi. Un groupe qui provoque moult débats chez les metalleux au sujet de sa légitimité. On laisse ces discussions pour les passionnés, docteurs ès vikings et autres Jean Ragnar, je me souviens m’être dit que la chanteuse principale, Maria Franz, ne porte pas un costume particulièrement effrayant, avec sa robe blanche, ses bois dressés sur la tête, sa longue chevelure rousse et cette frange qui lui barre les yeux, mais que je n’aimerais pas la croiser au détour d’une clairière baignée par la lumière de la lune. Je voulais m’assurer que, passé l’effet de surprise de la découverte, un concert de Heilung souffrait une seconde fois et ne relevait pas de l’esbroufe caricaturale. Eh bien ma foi, aucun regret d’avoir préféré ce concert à celui de Scorpions (qui avait l’air, en face, d’avoir préparé une setlist fort solide) tant le voyage dans les mystères sauvages du folklore de l’Age de Fer s’avéra aussi immersif que la dernière fois.

 

Entre-temps, je me serai égaré non sans plaisir devant du black metal doomesco progressif (The Ruins of Beverast), du stoner rock de Strasbourg fort sympathique sans faire frissonner pour autant (Los Disidentes del Sucio Motel), du hardcore funky et groovy (Slope). En parlant de Slope, je ne connaissais pas ce groupe, c’est parce que l’équipe de CoreandCo les a interviewés que j’ai saisi l’occasion de satisfaire ma curiosité en me rendant là où je ne vais que rarement : la War Zone. Parce que les groupes qui s’y produisent ne me parlent en général pas assez, parce que cette scène à part se trouve excentrée, à l’opposé de la République démocratique socialiste de la Valley Libre, il arrive qu’on doive lutter avant même de fouler ses terres sauvagement piétinées, et il n’est pas rare qu’on se trouve pris en otage dans son vortex, une fois en son sein, en clair, la War Zone, ça se mérite. Mais l’effort fourni se trouve souvent récompensé, ne serait-ce que pour l’ambiance unique qui y règne. La War Zone, c’est le royaume ultime du pogo et du slam débridé, sous le regard éternel de tonton Lemmy. Du reste, c’est là qu’un photographe réalisera ses meilleurs clichés de crowdsurfing. C’est donc dans cette intention que je me rends au concert de Slope, et comme prévu, le spectacle fut autant sur scène dans la fosse.

 

slope

 

Enfin, un des points d’orgue de la journée, on le doit aux Citrouilles. Depuis leur réunification, les teutons d’Helloween reviennent en grâce. Le retour au bercail du chanteur Michael Kiske et du gratteux fondateur Kai Hansen a relancé la machine à tubes avec une tournée hyper généreuse (le concert au Zénith de Paris commençait directement avec les 13 minutes de l’épique “Halloween”, ouverture couillue et sans concession qui annonçait 2 heures d’un setlist intense) et un album presque aussi excellent que les mythiques “Keeper of the seven keys parts 1 and 2”. Format festival oblige, le show s’avère raccourci, mais les 75 minutes défilent à une vitesse folle, emportées par la liste de tubes que le groupe enchaîne, de “Eagle fly free” au fédérateur “I want out”, en passant par des extraits du dernier opus et un rapide survol des albums de l’ère Andi Deris. Ainsi qu’une medley pied au plancher de l’époque où tonton Kai officiait au chant. Un bon quart d’heure de speed thrash mélodique qui a tout fracassé dans la fosse de la mainstage. Dommage que les ballons géants aux couleurs de la cucurbita pepo aient été emportés par les bourrasques de vent sitôt lancés sur le public. Car il convient de préciser que si la météo de la semaine précédente restait sous le signe de la canicule, celle de cette seconde partie de festival s’annonce aux antipodes.

 

helloween

 

 

 

Jour 5

 

Adonc, “après le beau temps, la pluie” (proverbe moldave). Si l’on évoque avec insistance la météo, c’est parce que celle-ci a une incidence sur notre programme. Dans le fond, on se demande si, à choisir, la canicule ne serait pas préférable à une journée passée sous la pluie. Au moins, on peut mourir de déshydratation, mais allongé ou le séant posé sur l’herbe, tandis que quand le ciel déverse son ire et transforme le sol, même sous l’abri des chapiteaux, en champs de boue et en fleuves sortis de leur lit, c’est sur ses appuis et ses talons endoloris qu’il convient d’affronter les éléments. En adepte de la Valley, scène couverte, donc, militant pour sa bétonnification, outre son indépendance, je me sentais à l’abri. Que nenni. Contrairement à l’Altar et à la Temple, le sol de la Valley est recouvert de gazon, d’herbe... à l’instar de celle que la musique qu’on y écoute donne envie de fumer. Malgré le sol devenu sludgesque, cette scène a attiré beaucoup plus de monde qu’à l’accoutumée, nombre de malheureux cherchant un refuge. Ce qui fit l’affaire des groupes programmés cette journée-là sous la Valley. hellfest 2022Pour me montrer honnête, la journée n’a pas commencé sous la pluie, on a ainsi pu vérifier sous le ciel menaçant mais clément de la War Zone que les P3C (Pogo Car Crash Control), malgré un nouvel album surprenant car plus calme, plus mélodique, voire plus pop, n’a rien perdu de sa hargne sur scène. Du reste, ces nouveaux titres s’intègrent parfaitement aux déjà anciens, plus rageurs, véritables générateurs de tsunami humain dans la foule. On a pu constater aussi qu’on aurait mieux fait d’aller voir en intérieur, dans une jauge plus petite, la semaine précédente, Killing Joke, tant le groupe perd en intensité sur l’immense scène de la mainstage, en journée, qui plus est... Pour le reste, tous les concerts qu’on avait prévu de voir en extérieur se sont déroulés sous des trombes d’eau, entamant notre motivation et nous poussant à abandonner l’idée d’y assister. Kreator, Ministry, Alice Cooper... et surtout, surtout, surtout : Nine Inch Nails... Ce dernier concert manqué relève de l’énorme erreur de décision, puisqu’au moment où nous jetions l’éponge, regagnant notre camp de base, la tête entre les épaules, le ciel se calmait, et tous les échos récoltés convergent vers le même constat : le show de la bande à Reznor fut monumental...

 

 

Heureusement que la journée ne fut pas totalement gâchée par la pluie, car sous la Valley, ce fut un savant cocktail de stoner, avec les bien nommés Stöner, même si, malgré les présences de Brant Bjork et de Nick Oliveri, il ne s’agit pas du groupe officiant sous cette étiquette qui nous aura le plus marqué durant ces 7 jours de folie ; de drone folk avec un des pionniers du genre, Earth, clôturant notre soirée avec classe ; de noise rock jouissivement froid et d’indus mythique avec Human Impact et Godflesh, mais nous y reviendrons. Et enfin, le post-rock romantique et dépressif d’une des grandes Circé actuelles, à l’instar des Emma Ruth Rundle, Chelsea Wolfe, Anna Von Hausswolff et autres Julie ChristmasAA Williams. La miss avait signé une collaboration avec les papes du post-rock japonais, Mono, eux-mêmes présents la semaine précédente. Quoi de plus naturel que de la voir sur la même scène, pour défendre son nouvel opus, “As the moon rests”, savant équilibre entre post-rock très atmosphérique et doom plus rugueux, qu’elle distille avec grâce et délicatesse, à peine visible dans la pénombre.

 

Avant de revenir sur les 2 énormes claques de la journée, un mot sur notre incursion dans l’antre du black metal pour nous délecter du show des Portugais encagoulés de Gaerea. 3 albums, 1 EP, et déjà sur le devant de la scène, celle du black metal et celle du Hellfest, avec une musique qui, en live, se veut à la fois énergique (les musiciens ne se montrent pas avares en versatilité du langage du corps), sombre et mystique. Après “Limbo”, le groupe revient en 2022 avec un nouvel album qui compte parmi les meilleurs du genre de l’année.

Si on commence à dresser un 1e bilan, à la veille du dernier récit quotidien de notre live report, on peut constater que chaque jour réservait son lot de meilleur concert du festival. Mastodon, Elder et Electric Wizard, le 1e jour, Mono le 2e, Ecstatic Vision et Sortilège le 3e, Slomosa et Lowrider le 4e, Ufomammut le 7e, et donc, Human Impact et Godflesh le 5e. Le 6e nous en réserve encore moult.

 

Godflesh, dont je fais partie des fans de la 1e heure, je ne les avais jamais vus en live, et je m’interrogeais sur la possibilité d’être déçu face à 2 musiciens et une boîte à rythme, relativement statiques, après toutes ces années, à balancer des boucles froides et infinies. Autant l’indus sur album peut vous emporter loin, autant sur scène il peut ennuyer. Eh bien, pour le coup, nous avons eu droit à un des concerts les plus intenses du festival. Dès “Love is a dog from hell”, le groupe emporte la Valley dans les limbes de la neurasthénie. Hypnotique en diable, sa musique enroule l’esprit dans les circonvolutions de ses boucles glaciales. Oppressante au possible, elle ne laisse aucun répit à l’assistance, médusée, avec force larsen et des riffs acérés martelés par les coups de boutoir des machines. Le duo nous ravit avec des classiques comme “Streetcleaner”, “Jesu”, ou encore “Like rats” en guise de final.

godfleshLes connoisseurs auront remarqué que Msieur Justin K Broadrick arbore fièrement un t-shirt de SPK. Les mêmes connoisseurs apprécieront logiquement la chronique ultime de l'un des classiques de ce groupe mythique, pierre angulaire de l'histoire de la musique industrielle. Si vous vous intéressez à l’indus mais n’avez jamais écouté l’album suivant, sachez deux choses : primo, il s’agit d’une lacune qu’il convient de combler de toute urgence au risque de voir l’équilibre du monde demeurer dans son bouleversement permanent ; deuxio, la plupart des groupes d’indus dignes de ce nom que vous pouvez vénérer l’ont fait, eux. La preuve par l’image avec Godflesh au Hellfest. Une grande majorité d’amateurs et de pratiquants du genre considère « Leichenschrei » comme une de ses références ultimes, au même titre que « Zeichnungen des Patienten O.T. » des Teutons de Einstürzende Neubauten, sorti en 1983, soit un album quasi contemporain à celui de SPK, lui-même arrivé dans les bacs en 1982. En parlant des fans et des amateurs, il est toujours intéressant de lire les commentaires de ceux-ci sur les réseaux sociaux, car, à genre exigeant, fans exigeants. Partant, leurs interventions se révèlent pour moult d’entre elles pertinentes et éclairantes. J’aime beaucoup la comparaison, par exemple, souvent abordée, entre les deux albums cités ci-dessus. Si l’opus de la bande à Blixa Bargeld dégage une énergie organique de la froideur de sa musique, celui des Australiens en représente le pendant cérébral. Par conséquent, ces 2 classiques deviennent complémentaires. Tenter de les classer, c’est faire fausse route.
D’aucuns pourraient entamer l’écoute et la découverte à reculons. On ne saurait les blâmer. Pour autant, il faut savoir que, paradoxalement, même s’il ne s’avère pas aussi avenant que les productions futures de SPK, davantage tournées vers le grand public, mais de qualité plus discutable, cet album reste on ne peut plus abordable pour tout néophyte. Si l’absence globale de mélodie domine tout du long, celui-ci se montre, au milieu de son chaos, structuré, rythmé, organisé. On se tient à des années-lumière du bruitisme brut, radical et limite indigeste d’un Merzbow ou d'un Whitehouse, par exemple. En somme, « Leichenschrei » met en musique une certaine idée de la maîtrise dudit chaos. Même s'il convient d'apporter quelques nuances à cette assertion, en définitive.


Du reste, une écoute attentive permet de constater que le début de l’album prend presque par la main l’auditeur, l’installe en douceur dans son univers, pour le bousculer imperceptiblement hors de sa zone de confort jusqu’à l’acculer dans les rets d’un final bien plus brutal. C’est finement amené, car les 43 minutes d’écoute se transforment alors en véritable voyage dans les tréfonds métalliques de l’âme et de la conscience. Et c’est là où on peut se demander si ladite maîtrise évoquée plus haut ne se résume pas à un leurre, tant la perte volontaire de contrôle se fait progressivement sentir. Mais évidemment, il ne compte pas parmi les albums qui livrent leurs arcanes dès la 1e écoute. On n’apprivoise pas ce genre d’oeuvre. Exigeant, c’est lui qui vous accepte, au gré des écoutes répétées pour percer ses mystères et dévoiler ses richesses. Attendre de lui qu’il couche le 1e soir, c’est élever les selfies dans les bagnoles ou les chiottes au rang d’art total.


SPK, donc. Soit Socialistisches Patienten Kollektiv. A vrai dire, on ne sait jamais trop la véritable signification de cet acronyme. Sur la compilation « Auto Da Fé », autre album essentiel de sa discographie, il s’amuse à expliciter ses 3 lettres comme suit : SePpuKu. Pourquoi pas. L’indus, en général, et SPK, en particulier, construit son monde au-delà de la musique elle-même. Il s’agit d’un concept, d’un état d’esprit, d’un mouvement d’ordre politique, même. Contestataire en diable. Qui aime brouiller les pistes, ne jamais caresser dans le sens du poil, quitte à toucher moins de monde. Un art protéiforme, nourri à la musique, mais pas que : le cinéma, la littérature, la peinture et la philosophie. Autant d’influences qui trouvent leurs expressions, après digestion, sur scène, où le nihilisme patenté du mouvement cherche à pousser le public dans ses derniers retranchements, au sens 1e du terme (un Internaute raconte comment il s'est rendu compte, après avoir restitué son repas sous forme de flaque à grumeaux sur le trottoir à l'issue d'un concert, qu'il s'agissait précisément de l'effet escompté par la performance du groupe) mais aussi dans des écrits en forme de manifestes. Il devient rapidement clair que pour bien comprendre la quintessence de l’indus, la musique reste un élément parcellaire. Mais qui détient le pouvoir de traverser les âges pour se faire le vecteur du message.
SPK, c’est avant tout Graeme Revell, que les cinéphiles connaissent davantage par le truchement des bandes originales qu’il signe notamment pour « Calme blanc » de Philip Noyce (avec Nicole Kidman encore rousse, avant sa rencontre avec Tom Cruise), « Chasse à l’homme » de John Woo, ou encore « The Crow » d’Alex Proyas, « Sin city » de Robert Rodriguez et « Strange days » de Kathryn Bigelow, liste non exhaustive. Avant de briller à Hollywood, le monsieur était un tantinet plus vénère. En 1978, une année qui, parait-il, a vu naître moult albums définissant d’ores et déjà le son des 80’s, celui qui officie sous le nom de guerre d’Operator fonde avec Neil Hill, alias Ne/H/il, son collègue d’asile psy, SPK, d’après le nom d’un collectif marxiste. Ses 3 premiers albums s’inscriront au panthéon de l’Histoire de l’indus. « Leichenschrei », autrement dit, « chant funèbre » ou « cris de cadavres », en fait partie. On y retrouve l’idée paradoxale de créer à partir de la destruction dont parle le nom même d’Einstürzende Neubauten.


Digne héritier des travaux de pionniers comme Throbbing Gristle et Cabaret Voltaire, SPK signe avec « Leichenschrei », son 2e opus, une œuvre-manifeste. Une porte d’entrée essentielle vers un univers jusqu’alors inexploré. Une balise dans l’obscurité que des norias de groupes éclaireront davantage par la suite. Il compte parmi ces classiques pour lesquels on peut, avec outrecuidance mais sans retenue, lâcher la meute de superlatifs définitifs et péremptoires. Sans que son approche reste réservée à une élite, car plus accessible en apparence que son prédécesseur (« Information overload unit »), il ne cède à aucune facilité et se gorge de violence sournoise, dans la nature même de ses samples, des matériaux utilisés pour construire ses pièces musicales, entre stridence et dissonances, dans le contenu des textes évoquant les déviances du comportement humain et autres horreurs (« Post mortem » contient le témoignage d’une femme qui raconte comment un homme a tenté de lui refourguer la syphilis en frottant son vit sur son sandwich, tandis qu’on assiste aux commentaires d’une dissection. Ambiance), le tout soutenu par ces pulsations mécaniques tout le long de l’entreprise qui lui confèrent un certain groove plutôt plaisant, quand ce dernier ne fait pas basculer l'écoute vers la séance d'hypnose.


Une fois qu’on a accepté d’entreprendre le périple dans les atmosphères sales et malades de l’album, on accède à un état de lâcher prise et d'hyperconscience proche de celui que procurent les substances psychotropes. Un trip hallucinogène loin du psychédélisme cher au space rock des 70’s mais proche de l’extase sexuelle que pourrait provoquer l’accouplement du corps avec la machine, dans un élan cathartique d’auto destruction. En outre, si l’on s’en tient à l’aspect musical, force est de constater et d’admettre que ce monument de l’Histoire de l’indus a échappé à tous les coups de calendrier pour se montrer des plus actuel, voire intemporel. S’il sortait en l’état en 2022, nul doute qu’il se hisserait sur le podium du top de fin d’année.

 

human impact

 

Human Impact existe depuis peu (2020), il s‘agit donc d’une opportunité inespérée de voir ce groupe tourner en Europe, a fortiori au Hellfest. Formé par Chris Spencer de Unsane (un des chantres de la scène noise newyorkaise), de membres des Swans (les papes ultimes du rock industriel) et de Cop Shoot Cop (génial groupe d’indus noisy qui laisse la part belle à la basse), le groupe se montre digne de ce name dropping de catin de luxe. Chris Pavdica, qui a officié chez les Cygnes, laisse pour l’occasion son poste de bassiste à Cooper que les fans de la Circé géniale Julie Christmas connaissent puisqu’il a traîné sa 4-cordes dans un des groupes de la sorcière, Made out of Babies. On n’y perd pas au change, tant le bougre impressionne avec sa mâchoire carrée et son regard de possédé. Tandis que Spencer essore sa guitare entre chaque riff tranchant, nappé des stridences des machines de Jim Coleman. Stylistiquement parlant, la musique de Human Impact, mélange de noise, d’indus et de post-punk, ne ressemble à celle d’aucun autre groupe programmé durant cette 15e édition. Partant, l’énergie démente qui se dégage de sa performance se transforme en vagues de claques qui saisissent l’auditoire aux points sensibles et le laissent groggy. Clairement un des meilleurs concerts auxquels nous aurons assisté.

 

 

Jour 6

 

L’avantage, quand on n’a prévu d’aller voir aucune tête d’affiche devant les mainstages, c’est qu’on peut batifoler sans pression du côté des autres scènes, sans que le programme de la journée ne se transforme en casse-tête. Quoique... Oh, on aurait pu aller shooter la féérie des gerbes de bière pendant le concert de Airbourne, il faut bien admettre qu’en terme d’énergie, ce groupe ne se montre jamais timide. Mais bon, on venait de tenter de réaliser des images au milieu du mosh pit de la War Zone durant le concert de Touche Amore, et on avait prévu, pour nous remettre de nos émotions et fêter notre survie après un passage dans le vortex, de savourer un plat de moules-frites avec à notre gauche la statue du Commandeur et à notre droite le concert de Discharge en guise de fond sonore. Il paraît, et Arte Concert en témoigne, que celui de Nightwish fut grandiose, et nous le vérifierons quelques mois plus tard à Bercy : les maîtres du metal symphonique finlandais en ont encore sous le capot, et même si je reste un fervent membre de la team Anette, force est de constater que Floor Jansen, bien plus technique, se balade aux quatre coins de sa palette vocale sans donner l’impression de fournir un quelconque effort. Au moment où je zappe ce concert, je ne sais pas encore que quelques mois plus tard, j’aurai les tétons qui frétillent durant la version acoustique de “How’s the heart ?” Pour finir sur les concerts que nous avons délibérément évités, non sans remords, citons ceux de Conjurer qui remplaçait Katatonia mais jouait en même temps que Converge et Chelsea Wolfe, venus interpréter l’intégralité de leur album en commun, le bijou “Bloodmoon : I”, assurément le point d’orgue de la soirée, nous en resterons d’ailleurs à cette sensation intense de violente mélancolie que le concert nous laisse au fond du cœur et du corps en évitant d’enchaîner avec le concert des Kaisers du speed thrash mélodique teuton, Blind Guardian, venus servir un menu de leurs titres les plus épiques et glorieux. En regagnant la sortie, nous aurons l’opportunité de chanter à tue-tête les paroles de “Valhalla” qu’on entend retentir au loin, reprises par le public en liesse : “Valhalla, deliverance, why’ve you ever forgotten me”... Enfin, les camarades de Conviction ne nous en voudront pas de leur avoir préféré les mystico-psychédéliques de Kadavar. Si le groupe de doom français semble avoir tout donné pour sa 1e apparition au Hellfest (un album live sortira quelques mois plus tard pour ceux comme moi qui ont raté cet événement), les Allemands, eux ont enflammé la Valley. De “Lord of the sky” à “All our thoughts”, en passant par la reprise fiévreuse du “Helter skelter” des Beatles et le groovy à mort “Doomsday machine” qui donne envie de faire l'amour avec une sorcière, le corps enduit de beurre de cacahuète, ou encore “The Old man” avec son riff principal aussi entêtant qu’un hymne, le trio dégingandé a administré une véritable leçon de wock’n’woll qui sentait bon le patchouli, la poussière et le stupre, et laissait un bon goût d’acide sur le palais. C’était la 1e fois que je voyais Kadavar sur scène, et je savais que, à l’instar de groupes comme Electric Wizard, Slomosa, Lowrider, Uncle Acid and the Deadbeats, ou encore Sasquatch, Clutch, Red Fang, Planet of Zeus, ce groupe donnait à entendre la quintessence de sa musique de façon organique, en live.

 

autarkhLe début de cette journée fort riche en émotions aura commencé avec des allers-retours entre la Valley et la Temple. Autarkh, pour commencer, énorme coup de cœur de 2021 sur album. Formé sur les cendres de Dodecahedron, dans le même esprit que des groupes comme Oranssi Pazuzu, Terra Tenebrosa ou encore Decoherence, Autarkh sert du metal extrême et surtout expérimental, avec l'utilisation de l'électro. C'est à la croisée des genres, ça peut autant faire frétiller les tétons d'amateurs de black metal, d'indus, de death metal, voire, de zouk moldave. En revanche, je ne sais pas si c’était dû à l’heure relativement matinale, mais leur concert, fort honnête, ne m’a pas fait vibrer davantage. A revoir en salle, je pense. A contrario, je n’avais jamais vraiment creusé la discographie de My Own Private Alaska, mais voir ce chanteur, assis sur son tabouret, en bord de scène, soutenu par un piano et une batterie, s’époumoner pour faire vivre ses textes comme ces conteurs au coin du feu qui perpétuent la mémoire des gens de rien, donne envie de fouiller davantage l’oeuvre de ce groupe atypique. Tout comme, dans un autre registre, la découverte, par simple curiosité, du folk metal de bon aloi de Fejd confirme l’idée selon laquelle les récompenses se tapissent entre les grosses lignes de l’affiche pour quiconque sait se montrer curieux.

 

Enfin, concluons avec une triplette de claques monumentales qui viennent compléter celles déjà évoquées plus haut et qui font de ce samedi 25 juin 2022 une des plus belles journées de cette édition. Dans l’ordre chronologique : Hällas, tout d’abord. Grimés comme à la façon d’un Rocky Horror Picture Show sataniste, les Suédois, emmenés par le bassiste-chanteur Tommy Alexandersson et sa voix reconnaissable parmi 1000, enchaînent leurs titres comme autant de tubes de heavy psyché progressif suranné mais paradoxalement d’une modernité insolente jusqu’au tube ultime, “Star rider”, et ses mélodies entêtantes. Epique, sensuelle, lyrique, sa musique, par le truchement des compositions, variées, aux mélodies ensorceleuses, envoie la Valley dans un espace-temps qui navigue entre les années glorieuses du rock des 70’s et les expérimentations heureuses des 80’s. C’est un sans-faute, un orgasme auditif à répétition, une certaine idée de la perfection. Suit le trio toulousain de Slift qui, dans une disposition resserrée autour du batteur, libère et fait circuler dans le cercle ainsi formé par les musiciens toute l’énergie que dégage sa musique. Clairement, si sur disque, le doute peut subsister pour certains, c’est sur scène qu’il convient de se rendre compte que le rock psychédélique furieusement endiablé de ce groupe s’exprime véritablement. Cosmiquement puissant, ou fiévreusement cosmique. Et puisqu’abondance de biens ne nuit pas, la Valley nous finit de nous régaler avec un des fleurons de la scène stoner hellène si prolifique et si riche que je rêvais de voir un jour : Villagers of Ioannina City. Ce groupe présente la particularité d’intégrer habilement à sa musique des éléments de folk grecque par le truchement d’instruments à vent comme le didgeridoo, la clarinette ou la cornemuse. Le groupe sait prendre son temps pour installer l’auditeur dans son univers avant de l’envoyer sur orbite, et comme prévu, son concert s’avère démentiel. Après autant de coups de cœur, la découverte de Moonsorrow, fort plaisante, s’avère néanmoins anecdotique...  Après une telle programmation sur une seule journée, comment peut-on encore émettre des réserves sur l’éclectisme du Hellfest ?

 

Villagers of ioannina city

 

D’ailleurs, en guise de conclusion et de bilan, si mes comptes s’avèrent exacts, ce qui reste à vérifier, vu que je suis nul en maths, pour cette double édition historique, j’aurai assisté à environ 65 concerts, dont les ¾ représentaient une 1e fois, avec à chaque journée, entre 1 et 3, voire davantage, coups de cœur, dans le sens où lesdits concerts continuent à m’habiter. Au-delà des chiffres, des extrêmes en termes de températures, entre le 1e et le second weekend, on se doit d’admettre que cette édition ambitieuse qui voulait marquer le coup, après 2 années de pandémie, se termine, certes en énorme cluster (on ne compte plus les cas de tests positifs qui ont suivi le festival, Metallica devant même annuler certaines dates de la suite de sa tournée) mais aura réussi à satisfaire ses ambitions ainsi que l’attente du public. Pas de tout repos, une édition qui se méritait, mais qui restera longtemps dans les mémoires. Et puis finir par “Master of puppets”, patrimoine de l’humanité, avant un véritable ultime feu d’artifice, ça clôt tout débat futile. Vivement la prochaine !

 

photo de Moland Fengkov
le 24/12/2022

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